Il y a deux ans, Finn traitait le sabre laser perdu depuis l’Épisode V comme un « machin » et nous terminions notre critique du Réveil de la Force sur l’espoir de voir Luke en faire un meilleur usage, et Rian Johnson témoigner d’un plus grand respect du mythe et de ses symboles forts. Dans le bain nostalgique qu’était l’Épisode VII, nous saluions toutefois la naissance d’un personnage prometteur (Rey) en nous réjouissant de le voir décoller dans une suite que nous espérions affranchie de tout fan-service envahissant. Autant dire que nous étions bien loin d’imaginer que cet Épisode VIII viendrait à ce point décevoir, un à un, chacun de nos espoirs, et le sourire aux lèvres.


Attention, le texte qui suit révèle des points clés de l’intrigue.

Quelque chose de fascinant se dégage de ces Derniers Jedi. En effet, personne n’aurait pu prédire qu’il viendrait déconstruire avec autant d’entrain ce que l’Épisode VII tentait, tant bien que mal, de bâtir. Là où J.J. Abrams ployait le genou devant un héritage qu’il peinait à renouveler autrement qu’en le répétant, Rian Johnson prend un malin plaisir à saboter non seulement les maigres bases de cette nouvelle trilogie mais aussi des piliers de la saga tout entière. Le traitement de la majorité des personnages est l’indicateur le plus flagrant de la volonté de destruction qui semble avoir animé le réalisateur au moment de l’écriture. Cette destruction se fait sur deux fronts. Premièrement, Johnson balaie de manière expéditive la quasi-totalité des personnages peu ou pas développés dans l’épisode précédent. Censé représenter l’ennemi suprême de cette nouvelle trilogie, Snoke (et le mystère qui l’entourait) est liquidé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’envie d’en finir avec cet « Empereur bis » encombrant est tellement pressante que personne ne semble s’être soucié de l’incohérence scénaristique de la scène en question ; au regard de l’étendue de son pouvoir (qui lui permet tout de même de faire communiquer Rey et Kylo à distance, dans des champs-contrechamps d’une pauvreté visuelle affligeante), il paraît effectivement ridicule qu’il se laisse berner ainsi par son apprenti. De la même manière, le personnage de Phasma, dont les spots promotionnels nous vendaient le rôle cette fois-ci important, périt dans l’indifférence la plus totale.

Jusqu’ici nous saurions nous réjouir de ce qui pourrait encore ressembler à des choix osés pour se débarrasser des éléments les plus stériles du Réveil de la Force. Sauf que sur un deuxième front, et c’est ici nettement plus grave, Rian Johnson défait volontairement ce qui a fait l’essence du mythe. Le ton de cette destruction à coups de marteau – et de gags – est donné d’emblée par la réaction de Luke, que l’on retrouve dans la même position qu’au terme de l’Épisode VII. Il ne s’agit pas ici de pester contre une écriture du personnage qui ne correspondrait pas strictement à nos fantasmes ; nous étions à vrai dire prêts à recevoir n’importe quelle lecture de Luke pour autant que celui-ci ait une réelle utilité dans le récit et que son traitement s’avère cohérent. Force est de constater qu’en plus d’être littéralement inutile, Luke Skywalker se voit insulté par un traitement qui le fait passer pour un demeuré. Que celui qui a failli à conduire Kylo Ren sur le chemin de la lumière ne veuille plus entendre parler de la Force, soit. Au-delà du fait que l’idée même de se retirer sur l’île sanctuaire des Jedi est dès lors un contresens absolu, cela imposait de trouver un argument de taille pour justifier son changement d’avis sur l’entraînement d’une nouvelle apprentie. Qu’on réduise le déclencheur de ce revirement majeur à la simple projection du signal de détresse envoyé par Leia dans l’Épisode IV démontre parfaitement que le fan-service idiot passe désormais avant l’écriture d’une psychologie consistante pour les personnages. La remarque sur la coupe de cheveux de la Princesse est une démonstration supplémentaire de cette incapacité à prendre au sérieux les enjeux et les personnages dans les situations qu’ils sont censés traverser. Et la dégringolade ne s’arrête pas là pour Luke. Nous serions en effet curieux d’entendre les défenseurs du film nous expliquer ce qu’il transmet à Rey durant son « apprentissage ». Imaginez-vous, celui qu’elle appelle désormais « Maître Luke » ne lui aura strictement rien appris, et ce en près d’une heure de film. Repensez maintenant à ce que Yoda parvenait à enseigner à Luke en trois fois moins de temps dans l’Épisode V. Outre la vision proleptique de la caverne, Dagoba était le théâtre d’étapes essentielles dans la formation du padawan Skywalker, qui y comprenait la puissance de la volonté et la nécessité de la foi en la Force.

Non content de réduire Luke à une figure de vieux corniaud à l’utilité rachitique (et puérilement frimeur dans sa dernière apparition), Rian Johnson va jusqu’à brûler, dans tous les sens du terme, l’héritage spirituel des Jedi, sous les rires d’un Yoda grotesque. La scène est on ne peut plus explicite : l’héritage est liquidé, la spiritualité jugée vaine et source de rigolade, en témoigne l’hilarité de Yoda au moment d’expliquer l’inutilité des textes fondateurs à un Luke qui vient de changer trois fois d’avis en deux minutes sur son intention de leur mettre le feu. « Détruisez-moi cette tradition qu’on puisse rigoler ! », et on rigole à coup de plans tout droit sortis d’un film de Mel Brooks.

« Une pensée et une doctrine pessimistes, un nihilisme extatique peuvent, en certains cas, être indispensables […] à titre de pression puissante, de marteau pour briser les races décadentes et expirantes, pour les écarter du chemin et frayer la voie à un nouvel ordre de vie, ou pour inspirer aux êtres dégénérés et languissants le désir de mourir. » [1]

Aussi impertinent et insolent soit-il, ce grand tabula rasa aurait pu se présenter comme un moyen de forcer un nouveau départ (qui serait prêt à aduler une idole qui vient de se ridiculiser ?). Nous aurions alors eu affaire à une sorte de nihilisme actif, au sens où l’entreprise de Johnson aurait consisté à libérer l’espace pour une proposition réellement nouvelle et donc plus saine que le recyclage morbide et parfois dégénéré à la base du film d’Abrams. L’idée de sacrifier les vieux héros et de passer le témoin à la nouvelle génération n’était pas mauvaise en soi. Mais la moindre des choses quand on tourne à ce point en dérision ceux qui nous ont précédé, c’est de proposer quelque chose de vivifiant. Or, on ne trouve rien de tout ça dans Les Derniers Jedi. Après avoir esquissé la possibilité intéressante d’une troisième voie, Kylo Ren est catapulté au rang de calife à la place du calife. Rien ne bouge du côté du Premier Ordre, la couronne a simplement changé de tête et le nouveau Leader Suprême ne semble plus intéressé par son projet d’en terminer avec les vieux clivages. De son côté, Rey n’a pas évolué d’un iota en 150 minutes de film. Non seulement elle n’a rien appris de son maître, mais sa prétendue « exploration du côté obscur » n’aboutit à aucun tiraillement. À l’image du score de John Williams (le plus faible des huit films) dépourvu de réelle nouveauté marquante, Rian Johnson se contente de détruire sans jamais parvenir à créer quoi que ce soit.

« Les valeurs supérieures sont dépréciées, les fins manquent et il n’est pas de réponse à cette question : “À quoi bon ?” », telle est la définition du nihilisme décadent décrit par Nietzsche. Et telle est la vérité de ce huitième épisode, dans lequel on se contente de détruire les valeurs supérieures et de manipuler des concepts absolument désincarnés comme l’« espoir » ou l’« amour ». Des concepts ou des valeurs qui ne signifient plus rien, puisque jamais liés à aucune action concrète. En clair : des arrières-mondes. « Nous allons gagner en sauvant ceux qu’on aime », déclare Rose après avoir empêché le seul sacrifice du film qui aurait pu faire sens, Finn ayant – enfin – compris son inutilité. Cet amour de pacotille rend médiocres des personnages qui déclinent en croyant s’élever. Parallèlement, l’exception de la Force est ruinée : aucune explication n’est donnée quant à sa maîtrise instinctive par Rey et Leia la manipule au détour d’une scène au ridicule anthologique. À quoi bon se fatiguer à viser de la cohérence et de la grandeur dans un univers qu’on ridiculise à coup de blagues méta et cyniques ?

Au final, tout semble indiquer que la saga Star Wars est devenue une entreprise purement commerciale qui répond désormais aux réactions du public comme une courbe financière aux décisions des actionnaires. « Vous avez reproché son mimétisme au Réveil de la Force ? Attendez, on va corriger le tir. » Cette nouvelle trilogie progresse ainsi de manière hystérétique, trahissant une absence totale de vision artistique sur le long terme de la part de Disney. C’est ainsi que Rian Johnson a pu avoir carte blanche sur l’écriture. Alors oui, c’est parfois très beau (la mer de sel, l’emploi de la couleur rouge, le frontal en vitesse lumière), Daisy Ridley et Adam Driver sont toujours autant investis, mais que reste-t-il de Star Wars si ses fondements deviennent les cibles de blagues à l’intérieur même de l’univers déployé ? Que devient un mythe s’il n’est pas accompagné du respect de ses valeurs supérieures et de son essence spirituelle ? Cela devient un produit. Le titre de ce huitième épisode était presque parfaitement adapté : Star Wars : le Dernier Homme, un film qui ne sait ni créer, ni aimer, ni s’élever. Une belle démonstration de décadence culturelle.

STAR WARS : LES DERNIERS JEDI
Réalisé par Rian Johnson
Avec Daisy Ridley, Adam Driver, John Boyega, Oscar Isaac, Mark Hamill, Carrie Fisher
Sorti le 13 décembre 2017

[1] Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, II, IV, §228

18 commentaires »

  1. Encore quelqu’un qui n’a rien compris au film. Critique sans intérêt pour le meilleur Star Wars après la trilogie originale, le seul qui respecte à la fois l’esprit et l’univers.

    Quand Jonhson fait un film qui respecte son public, partant du principe qu’il est intelligent, au final ce dernier se plaint de ne pas être traité à sa juste valeur: un demeuré.

    Ce film n’a absolument rien de commercial, au contraire il tacle le yes man JJ et Disney.
    Vu le torrent de haine que lâchait Mark Hamill sur la nouvelle trilogie Star Wars, pour qu’il vienne dire qu’il est satisfait de celui là, c’est qu’il y a peut-être une raison.

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  2. Bonsoir.

    La déconstruction du mythe décrite ici commence également à s’appliquer dans les productions Marvel, en témoigne Thor Ragnarok. A voir s’il s’agit d’une stratégie d’homogénéisation de gestion pour Disney, ou s’il s’agit d’une direction « logique » du cinéma moderne qui, à force de programmer les projets sans savoir quoi y mettre, doit finir inévitablement par tout détruire, pour éventuellement rebooter plus tard sur des bases neuves.

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  3. Et si on se contentait de regarder un film et de passer un bon moment sans perdre une eternité à décrypter le moindre millimètres de bande? Moi j’ai aimé, ben moi non, et s’est tout. Pas besoin d’insulter tout un travail avec des demonstrations pseudo philosophiques et artificielles. Un film se vit, il ne se fait pas découper vulgairement en tranche. La verve et le genie des premiers Star Wars ne sera plus, on le sait depuis la menace fantôme. Après le rachat par Disney, s’était couru d’avance, tout le monde le savais aussi. Alors pas la peine de faire les surpris et de se perdre en analyses et palabres, on a changé d’époque, de moyens, de cinema. C’est comme ça, contentons nous en. Sinon, autant fermer les salles et interdir la sorties des films…

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  4. En résumé: un film de dégénérés cosmopolites. Je rajouterais que tous les hommes du film sont ridicules d’une manière ou d’une autre, alors que tous les personnages féminins sont irréprochables. Le personnage aux cheveux violets incarné par Laura Dern n’est là que pour mettre en lumière les vilains préjugés machistes de Poe Dameron (« C’est elle l’Amiral Holdo? Je ne m’attendais pas à ça… »). Tout ce personnage sert uniquement à éduquer le public masculin, la morale finale complètement délirante étant que Poe Dameron aurait du lui faire aveuglément confiance. Le procédé est particulièrement pervers car tout est fait pour que le spectateur soupçonne que l’Amiral Holdo est au minimum incompétente, au pire une espionne du Premier Ordre (« Alors spectateur, tu doutais de la compétence et de l’intégrité de cette femme aux cheveux violets? Dans ton cul sale mâle oppresseur! »). Voilà ce qui arrive quand la productrice (Kathleen Kennedy) est une féministe cosmopolite fanatique obsédée par l’inclusion d’un maximum de femmes et de non-Blancs (sauf du côté des méchants évidemment). La nouvelle série de courts animés Forces of Destiny fait par exemple uniquement la part belle aux personnages féminins. Les hommes? Allez voir ailleurs.
    Et à part ça j’ai été choqué par ce Yoda totalement out-of-the-character. Il se comporte comme le Yoda mongolien d’Empire Strikes Back, alors qu’à l’époque il s’agissait d’un rôle: il jouait la comédie pour tester Luke. À partir du moment où il se dévoile il change du tout au tout et devient sérieux, comme on peut le voir dans les épisodes I-II-III. Soit Rian Johnson n’a même pas compris ça, soit il n’en a rien à foutre (le plus probable). Dans tous les cas ce Yoda euphorique n’a aucun sens.

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  5. Bonjour,

    Merci pour cette réflexion! Si je vous suis bien, le problème principal peut être résumé en disant qu’il y a une trivialisation d’un univers mythique, qui a lieu par le parasitage des quelques éléments épiques utilisés dans la mise en scène, par des éléments burlesques ou ridicules, implausibles par rapport à l’histoire ou inutiles par rapport à l’action (je ne peux quand même m’empêcher de noter une certaine candeur chez vous dans la mesure où nous parlons d’une franchise déjà très commerciale à l’origine, qui a ensuite été rachetée par Walt Disney, excusez du peu…). Sur ce point votre réflexion me paraît convaincante, et j’espère qu’elle inspirera d’autres critiques.

    Par contre, quelques petites choses me surprennent en vous lisant.

    1. Vous jetez contre cet épisode un tourbillon d’adjectifs négatifs alors que dans le même temps, vous faites preuve d’une bien grande tolérance envers le précédent (cf. votre critique également disponible sur ce site). Or, si l’un des deux est moins médiocre que l’autre (peut importe lequel), il semble que ce ne puisse être que marginalement, dans la mesure où le mimétisme dont vous parlez dans votre article sur l’épisode 7 a les mêmes effets que la forme de trivialisation dont nous parlons ici, bien que ne procédant vraisemblablement pas de la même intention: recycler ad nauseam des éléments de l’histoire tend a les transformer en poncifs, dépourvus de signification propre.

    2. Vous associez la scène de Yoda et de Luke sur l’Ile Jedi à cette opération de trivialisation, alors que (i) les livres ont été sauvés préalablement par Rey (il y a une scène où elle rabat une couverture sur un compartiment sous une banquette du Faucon); (ii) l’idée exprimée par Yoda dans cette scène semble être que la Force ou le côté de la Lumière ou peu importe comment on l’appelle, n’a pas besoin de livres, mais plutôt de gens qui participent à une chaîne de transmission de savoir et on suppose, de valeurs. Il semble là y avoir une intéressante pique contre « l’autorité du texte », voire (je spécule) contre l’autorité d’une forme de religion, dans la mesure où les Jedi se seraient peut-être écartés de leur voie en fondant une religion, allant au-delà de leur simple mission de gardiens d’une forme d’équilibre dans la Force. Quoi qu’il en soit, je pense que l’idée de cette scène fait écho à un thème récurrent dans le film et présent dans d’autres épisodes, à savoir raviver une forme d’espoir chez chacun (et en particulier les plus démunis, comme les enfants palefreniers travaillant de force pour les riches propriétaires du casino), comme si l’espoir était aussi important que son objet (la liberté, la justice, le Bien, etc.), et qu’en fin de compte, la Force avait besoin de l’espoir autant que ceux qui attendent d’Elle qu’elle leur apporte ce qu’ils espèrent.

    Vous qui semblez apprécier la compagnie des philosophes et sociologues, cela aurait pu être un point important pour tempérer votre diatribe, dans la mesure où c’est un point original par rapport à l’univers des films, plausible par rapport à l’histoire, et qui sait, de bonne augure pour l’épisode 9?

    Belles Fêtes à vous!

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    • Merci de votre commentaire.
      Non seulement il y a « trivialisation » d’un univers mythique mais il y a aussi, et surtout, déconstruction qui n’aboutit à aucune nouvelle proposition.
      Pas tout à fait d’accord quand vous dites que le mimétisme de l’épisode précédent a les mêmes effets que cette trivialisation. Le fan service du VII était stérile mais jamais insultant. Oui, le Han Solo d’Abrams est absolument dépourvu de fond propre, comme la quête de Rey (qui avait par contre réellement la possibilité de gagner en intérêt dans cette suite…). Mais l’effet est au pire un désintérêt pour le film, qui ne va pas jusqu’à entacher ce qui le précède. Pas sûr qu’on puisse en dire autant du personnage de Luke…

      Pour les textes sauvés par Rey, j’avais remarqué le plan, que j’aimerais bien qu’on m’explique d’ailleurs puisqu’il va à l’encontre de l’idée exprimée par Yoda justement. Je n’y vois pas grande cohérence. Quant aux gamins, oui… Ils sont là pour symboliser un espoir, une suite… J’y ai vu une esthétique publicitaire et serais prêt à parier que tout ça restera inexploité dans le dernier épisode de cette trilogie.

      Bonne fin d’année à vous aussi.

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      • Merci de votre réponse courtoise! S’agissant de Rey et les livres, je pense que l’idée est simplement que (a) la Force a besoin de « représentants » dans lesquels s’incarner, et qui peuvent transmettre une forme d’espoir/espérance permettant à la Force de subsister, et que comme Rey est une de ces représentants, il importe plus qu’elle accomplisse sa mission que les livres de la religion Jedi subsistent; (b) mais Rey a sa propre idée à propos de l’usage des livres, que peut-être Yoda ne peut pas encore deviner. Il me semble que ces deux propositions ne sont pas incompatibles.

        S’agissant enfin de la question de « l’insulte », je suis d’accord avec vous pour dire que les défauts sur lequels nous sommes apparemment d’accord (scènes inutiles pour l’action, dérision et second degré, incohérences…) sont regrettables, mais les qualifier « d’insultes » suppose que ces défauts « maltraitent » des personnages en ce sens qu’ils suggéreraient une conception des personnages qui n’est pas conforme à quelque conception des films précédents (précédents dans le sens de l’histoire), une non-conformité qui violerait significativement les valeurs incarnées par ces personnages du point de vue du spectateur. (Je note en passant qu’il y a là une double action de la subjectivité: tous les spectateurs n’intepréteront pas un personnage comme incarnant les mêmes valeurs; et tous les spectateurs n’accepteront pas également que ces valeurs soient dignes d’être incarnées.)

        Pour ma part, je ne vois pas en quoi l’une ou l’autre de ces conditions est réunie (ni à propos de Luke ni d’un autre personnage). Plus généralement, il me semble que les défauts mentionnés plus haut sont des défauts de facture, ils ne débordent pas sur la conception des personnages suggérées par le film, qui elle, suppose que l’on considère le film indépendamment de ces défauts de facture. Par rapport à Luke, par exemple, le film montre simplement un Luke usé et désabusé. Si on le montrait cynique, alors il y aurait de quoi se poser la question d’une mauvaise conception de ce personnage. Mais il n’est pas montré ainsi. Partant, je ne pense pas que Luke soit insulté, même si je comprends en vous lisant pourquoi il vous paraît décevant dans cet épisode.

        Bonne année avec un peu d’avance…

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  6. A vouloir voir Disney comme les représentant sur terre du Premier Ordre, on en oublie un peu que cette nouvelle trilogie est peut-être plus intelligente que les mauvaises blagues qui la ponctuent ne le laissent penser. Aussi, que l’on me permette ici une longue palabre pour montrer que, malgré la grossièreté parfois navrante de l’auto-dérision beaucoup trop présente dans ce 8ème opus, il se pourrait bien que la finalité de ce « nihilisme » soit plus salvateur qu’il n’y paraît.

    Oui, il y a de la déconstruction du mythe, mais quel mythe : simplement celui de la lutte du bien contre du mal, ce mythe qui permet à n’importe qui de justifier la guerre et le massacre, au nom du bien qui, comme on le découvre de plus en plus dans notre monde, est une valeur toute relative. L’empire, comme le premier ordre, dans le fond, cherchent juste à faire régner l’ordre et la paix dans la galaxie. De la même manière que l’armée américaine veut pacifier le proche orient, ou Bachar el Assad la Syrie. Luke Skywalker, dans le fond, n’est rien d’autre qu’un terroriste islamiste luttant au nom d’une religion et d’une croyance spirituelle qui lui donne la force de faire des attentats contre un empire « mondialisé » qui cherche à protéger ses intérêts. Cette lecture était cruellement mise en exergue par l’ouverture de l’épisode VII (je vous enjoint à la revoir) qui ressemblait tout de même étrangement à ce que pourrait être un raid de l’armée américaine visant à dénicher des terroristes dans un petit village Irakien peuplé d’innocents. Dès le début, le « grand méchant Disney » interrogeait la figure du GI, bras armé des états-unis, en faisant douter Flinn, en lui faisant prendre conscience qu’au nom de l’ordre et de la paix dans la galaxie, il massacrait des inoccent.

    On a tendance à prêter (du moins votre critique) tout le parti pris dans la « relecture du mythe » aux deux réalisateurs qui viennent de se succéder à la tête de la franchise. Comme si c’était eux qui s’étaient chacun saisis de l’histoire, à tour de rôle sans aucune vision à long terme. Hors, Hollywood, et qui plus est un géant financier comme Disney, confie ses récits à des armées de scénaristes, gouvernées par des armées de producteurs. Qu’on le veuille ou non, malgré leurs exigences de rendement, ces gens là ne sont pas des redneck du midwest, mais plutôt des gens intelligents, éduqués, et certainement très critiques sur le manichéisme hollywoodien (Bien Vs Mal) devenu encore plus problématique depuis que Trump, symbole de mal, se retrouve à diriger la « nation du bien ». Admettons maintenant ce présuposé farfelu, à savoir que les scénaristes de la nouvelle trilogie se sont donnés pour mission de rendre le monde meilleur grâce à la morale de cette nouvelle trilogie qui sera visionnées par des millions de téléspectateurs.

    De cette manière, tout la grossièreté de l’épisode VII, dans sa reprise absurde de la binarité bien/mal de l’épisode IV, aurait plutôt comme but d’atteindre le point Godwin cinématographique de la comparaison des méchants au régime Nazi. Je suis sûr qu’une scène de l’épisode VII vous revient à l’esprit. Une manière, dans le lancement de cette nouvelle trilogie, de pousser la lutte du bien et du mal à un point extrêmement absurde. Un grand méchant qui, contrairement à Dark Vador, est juste « méchant » et ne dispose d’aucune histoire personnelle justifiant sa position, et une gentille élue qui semblerait juste être l’élue parce qu’elle vient de nulle part est la fille de personne. Oui il s’agit d’anihiller le mythe, mais pour sortir d’une morale meutrière, celle qui disait que la fin justifiait les moyens.

    Entre deux blagues gratuites et mal placées dans ce 8e opus, on aura tout même noté une scène relativement surprenante. Après 2 attaques kamikazes, dont une ressemble tout bonnement, dans sa version interstellaire de la voiture bélier, à une tactique d’attentat très en vogue actuellement, on s’appête à assister un troisième « attentat » du genre, montrant un homme prêt à se tuer pour sauver in extremis et une fois de plus les rebelles en déroute. Oh scandale ! On vient empêcher ce sacrifice et sous le syeux ébahis d’un Finn toujours bien vivant, Rose nous balance la phrase la plus philosophique et morale du film : « Si l’on veut gagner, il ne faut pas combattre ce que l’on haït, il faut sauver ce que l’on aime ». Une autre manière de dire « faites l’amour, pas la guerre ». Morale fondamentalement chrétienne qui plus est : consacrez votre vie à aimer plutôt qu’à haïr, à construire plutôt qu’à détruire.

    Car ce qui est constamment mis à défaut dans cet épisode, c’est la vaine lutte du bien et du mal, chacun luttant pour sa vérité, sous le regard amusé des marchands d’armes et des commerçant qui s’enrichissent de cette débauche de moyens ayant pous seul but de détruire la vérité de l’autre. On pense à la planète casino opulente, qui montre combien la guerre profite à toute une partie de la galaxie tout en faisant souffrir une autre partie, fondamentalement inocente et non impliquée dans le conflit. On pense aussi à ce personnage qui affirme haut et fort ne pas choisir de camp, que c’est le seul moyen d’être libre et qu’il faut se contenter de servir ceux qui paient. Une manière de dire qu’une autre vie est possible dans cette galaxie ou tout n’est pas ou noir ou blanc, ou gentil ou méchant.

    Les deux « élus » ne sont pas en reste. Ils doutent, il ne savent pas, et Kylo Ren en appelle à l’avènement d’une nouvelle génération, il veut balayer cette incessante lutte du bien et du mal et ceux qui la perpétuent. La morale Jedi transmise par Luke est avant tout celle, tout en ying et yang, d’un monde où le mal n’est que le reflet de notre bonté intérieure. Que notre puissance, notre capacité à agir sur le monde extérieure peut-être effrayante parce qu’elle nous laisse fatalement entrevoir notre capacité destructrice, quitte à obscurcir ainsi la vision de nos capacité créatrices.

    Il nous manque cependant une pièce du puzzle, l’épisode IX, qui amènera sans doute une interprétation morale plus définitive et justifiera peut-être cette analyse. En tous les cas, il ne faut pas oublier que, plus encore que les deux trilogies précédentes, ces trois nouveaux opus ont été pensés comme un tout, parce que, jamais sans doute dans l’histoire du cinéma, on aura investi autant d’argent dans la conception d’un récit. Si les exigences de rentabilités monstrueuses ainsi engendrées expliquent sans doute le ton comique parfois désagréable de l’autodérision des personnages à l’égard du récit qui les a fait naître, elles sont aussi le gage, espérons-le, d’une véritable exigence dans la morale véhiculée par ces films reçus par un public mondial incoyrablement nombreux. L’occasion rêvée pour n’importe quel scénariste bien chrétien et bien intentionné d’insuffler, entre deux esclandres de Chewbacca, une morale bienveillante qui pourra peut-être, petit à petit, faire changer les mentalités de ceux qui pensent que notre monde moderne doit se lire à l’aune de cette incessante lutte du bien et du mal véhiculée par les récits depuis trop longtemps.

    Si l’on était pessimiste, on pourrai aussi interpréter tout cette morale comme un appel à l’individualisme et au consumérisme motivé par un renoncement à toute lecture morale du monde. Mais puisqu’il vaut mieux « sauver ce que l’on aime » plutôt que « combattre ce que l’on haït », tachons alors de sauver au mieux toute l’illumination morale qui semble de plus en plus suinter de cette nouvelle trilogie, plutôt que de critiquer vainement le ton parfois insipide du récit régit par les besoins financier d’amuser le public le plus large possible.

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    • Cette trilogie, contrairement à ce que vous semblez croire n’a pas été pensée comme un tout et c’est bien là que le bas blesse. Comme expliqué dans cet article, Johnson a eu carte blanche pour ce film, écriture et réalisation, balayant illico les quelques intrigues posées dans le VII qui méritaient développement.
      Pour la morale « neuve » qui nous serait proposée, pourquoi pas, l’idée est intéressante mais je suis curieux de savoir comment l’épisode IX va pouvoir démêler ce bouzin scénaristique.
      Cordialement

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    • Bonjour,
      Je me permets de vous répondre parce que j’ai beaucoup apprécié votre analyse générale. L’article, quant à lui, me donne plutôt l’impression d’une déception par rapport à des attendus : on attendais un passe pour Rey, un passé pour Snoke, on ne les a pas. Ce sont ces attendus qui empêchent à mon sens de s’ouvrir au film tel qu’il est.
      Par ailleurs, puisque j’ai lu dans un des commentaires que cette trilogie n’était pas perçue comme un tout, je pense que c’est faux, tout simplement parce que le scénario du dernier était déjà prévu. On voit D’ ailleurs ce que cette trilogie aurait dû donner : les trois anciens personnages, le passé, qui tente de se dresser contre un avenir craint (Kylo Ren) ou un avenir souhaité mais perçu comme impossible (Rey) : Han dans le 7, Luke dans le 8 et cela aurait dû être Leia dans le 9.
      Je pense écrire un article moi aussi, pour y réfléchir également. Mais quoi qu’il en soit, un film qui déclenche autant de réflexions ou de critiques ne peut pas être un mauvais film. Le mauvais film, c’est celui qui laisse indifférent, ou ne dépasse pas la joie ou le dégoût pur.

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    • C’est une des analyses les plus inintéressante qui m’ait été donnée de voir sur ce mauvais film. Cela ne le sauve pas car la plupart des scènes restent d’une bêtise profonde, mais d’un point de vue scénaristique en effet peux etre que quelque chose est à garder. En réfléchissant sur la maniére dont vous l’avez exposé, en effet il y a peux etre une sorte de cheval de troie implanté dans ce produit Disney. Je garderai donc ce bon souvenir, en quelque sorte vous avez donné de la valeure ajoutée à ce film. Le seul soucis c’est qu’il n’y a aucune vision à long terme et que l’épisode 9 partira en vrille dans une toute autre direction puisque la cohérence ne semble pas de mise dans cette nouvelle trilogie. C’est un mal récurent que d’apprécier les films actuels aprés en avoir discuté sur les forums, comme quoi il ne suffisent plus à eux même et ont besoins des cerveaux fertiles des spectateurs pour donner un sens à tout ça…

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    • Une question : comment Luke transmet-il ou exprime-t-il cette morale Jedi d’un monde où le mal n’est qu’un verso d’un tout « bien et mal » finalement inséparable ?

      Je ne crois pas non plus que la trilogie ait été pensée comme un ensemble cohérent. Je pense même plutôt que les films se font en réaction non pas les uns vis-à-vis des autres (ce qui arrive souvent dans les filmographie de véritables auteurs), mais plutôt en tenant compte de la réaction des spectateurs et des fans… En tout cas c’est clairement le ressenti que l’on a avec cet épisode, une réaction du scénario de Johnson à nos attentes.

      Sinon j’ai vraiment apprécié ce parallèle sur l’épisode 7 avec les Etats-Unis et ce court développement politique qui en découle.

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