SIRĀT – désert narratif
Partagé entre l’observation détachée d’un monde arbitraire et l’ébauche d’une critique de l’être humain absorbé par ses propres préoccupations, Sirāt ne développe rien.
Film Exposure
Site consacré au cinéma proposant des articles de fond et documentés.
Partagé entre l’observation détachée d’un monde arbitraire et l’ébauche d’une critique de l’être humain absorbé par ses propres préoccupations, Sirāt ne développe rien.
Œuvre qui se souhaite à mi-chemin entre Mad Max (1979) et Le Salaire de la Peur (1953), le dernier film d’Óliver Laxe Sirāt remporte Le Prix du Jury au Festival de Cannes 2025. Inquiet de la disparition de sa fille, un père accompagné de son fils se retrouve au cœur d’une rave dans le sud du Maroc. Une rencontre avec un groupe de sympathiques ravers les entraîne à travers le désert dans un road trip improvisé qui va tourner au cauchemar.
Le scénario se veut simple, et pour cause, Sirāt mise avant tout sur une expérience sensorielle. De fait, la première partie du film est convaincante et gagne à être vécue en salle. Le travail sonore, porté par l’utilisation de la musique EDM, nous immerge immédiatement dans l’univers des personnages en quête d’évasion et installe une atmosphère hypnotique. Cette connexion sensorielle établie rend la violente rupture à mi-parcours d’autant plus brutale. En ce point réside la deuxième grande force du film qui bascule d’un road trip léger à un survival aux allures apocalyptiques, n’hésitant pas à balayer les quêtes initiales pour propulser ses personnages dans un périple vidé de sens. Le titre du film prend alors sa pleine signification, « sirāt» désignant dans la tradition islamique le pont étroit séparant le paradis de l’enfer. Les personnages plongent brutalement dans le réel, matérialisé par un désert dont la présence se fait écrasante. Plus qu’un décor, c’est désormais un environnement cruel et arbitraire qui façonne les actions du récit. Un virage nihiliste qui aurait pu donner au film tout son intérêt, mais qui devient malheureusement son plus grand défaut.
En transformant un road trip en voyage vers le néant, Sirāt mise alors sur la tension née de l’imminence d’une fin sans issue et confronte ses personnages à la brutalité d’un monde indifférent. Cependant, le film mise sur un tel chaos qu’il en vient à devenir victime de son approche. La tension établie porte cette seconde partie jusqu’à un certain point, puis la répétition de certains ressorts l’épuise et finit par nous désengager de son entreprise. Les accès de violence crue apparaissent alors moins comme une nécessité dramatique qu’une manœuvre ostentatoire, un effet occasionnellement accentué par un humour mal amené (« Jesus, I’m so high ! »). Le nihilisme affiché semble alors davantage un prétexte pour balayer récit et personnages qu’une véritable réflexion sur la nature de l’homme ou sa capacité à affronter certaines circonstances.
Les similitudes vues par certains avec Le Salaire de la Peur ne font que souligner ce manque de fond. Là où l’œuvre de Clouzot développait une profonde critique sociale qui justifiait son approche, le film de Laxe s’enferme dans une forme de détachement qui peine à convaincre. On devine la présence d’un contexte politique instable, volontairement tenu à l’écart pour évoquer un danger omniprésent, mais qui n’est jamais véritablement traité. Le spectateur se retrouve alors face à un film qui s’acharne à ne rien déployer. Pire : les personnages, présents de leur plein gré, sont punis pour leur insouciance et leur ignorance du contexte politique dans lequel ils évoluent, alors que le film lui-même réduit ce contexte à un simple outil dramaturgique, le simplifiant et le filtrant pour mieux servir son récit.
Partagé entre l’observation détachée d’un monde arbitraire et l’ébauche d’une critique de l’être humain absorbé par ses propres préoccupations, Sirāt ne développe rien si ce n’est une énième démonstration d’une stupidité humaine, recyclant ses ressorts jusqu’à l’usure. Au-delà de ses effets chocs, le long-métrage ne parvient pas à se déployer. Reste alors une œuvre qui reproduit, en moins abouti, ce que d’autres ont déjà exploré avant elle.
SIRĀT
Réalisé par Óliver Laxe
Avec Sergi López, Bruno Núñez, Jade Oukid
Sortie en francophonie le 10 septembre 2025