Ip Man 4 : adieux au maître
Il avait promis en avoir fini avec ce personnage et pourtant, le revoilà. Donnie Yen endosse une dernière fois le rôle du légendaire maître de wing chun Ip Man pour […]
Site consacré au cinéma proposant des articles de fond et documentés.
Il avait promis en avoir fini avec ce personnage et pourtant, le revoilà. Donnie Yen endosse une dernière fois le rôle du légendaire maître de wing chun Ip Man pour […]
Il avait promis en avoir fini avec ce personnage et pourtant, le revoilà. Donnie Yen endosse une dernière fois le rôle du légendaire maître de wing chun Ip Man pour la rocambolesque conclusion à la saga d’arts martiaux qui a fait de lui une superstar mondiale du cinéma d’action, et pas seulement auprès des fans du genre. Après trois films (et un spin-off que l’on préférerait oublier) de qualité variée et basés sur un même modèle de drame historique saupoudré d’impressionnantes joutes martiales, Ip Man 4: The Finale ambitionne de graver l’héritage de la franchise dans les annales mondiales du 7e art en abordant des enjeux martiaux et raciaux paroxystiques. Deux sujets éprouvés pour la série, qui ne laissent au final la place qu’à une seule question : vers quels territoires nous mènera la captation de l’action ?
Si vous avez vu la bande-annonce, vous vous souvenez sans doute de Scott Adkins demandant à un adversaire terrassé si son kung fu chinois se résumait à ça. Une référence directe à une scène d’Ip Man 2, dans laquelle le champion de boxe occidentale posait la même question à un groupe de boxeurs chinois qu’il venait de mettre au tapis. Quiconque est un habitué de la franchise, ou même des films d’action chinois en général, ne trouvera rien de très original dans The Finale. L’exposition dramatique prend initialement le pas sur les démonstrations physiques, entraînant l’ultime chapitre de l’épopée d’Ip Man vers les États-Unis. Le maître s’y rend pour trouver une école pour son fils, difficile, à qui il souhaite apprendre l’indépendance et les difficultés de la vie.
Pendant un temps, le script s’intéresse à la fascinante question de la transmission et de l’héritage. Cherchant à obtenir l’aide des immigrants chinois établis en Amérique, Man se trouve confronté à des questions portant sur son plus célèbre disciple, Bruce Lee, qui a ouvert son propre club et publié un livre en anglais sur les arts martiaux chinois. Considérant le kung fu comme une spécificité culturelle que la communauté chinoise se doit de préserver coûte que coûte, les maîtres ayant émigré aux États-Unis entament une bataille idéologique avec Ip Man (et, dans une moindre mesure, Bruce Lee), qui motive une bonne partie du récit. Le sujet est captivant et apporte une dose de nuance salvatrice au scenario, qui s’engage par ailleurs dans des schismes raciaux hyperboliques.
Rien de surprenant, cela dit : l’intérêt de la franchise pour le public chinois a toujours été l’imposition d’une identité chinoise en opposition aux autres, à savoir les Japonais et les Occidentaux. Dans les deux cas, les opposants d’Ip Man ont toujours eu tendance à être des stéréotypes grandement ou totalement dénués de complexité humaine. Après tout, c’est bien normal pour des films fonctionnant avant tout comme des expressions d’un sentiment nationaliste. On parle ici de nationalisme chinois, à ne pas confondre avec son pendant européano-américain, celui-là constituant un processus nécessaire de digestion des conquêtes passées et d’exaltation de la fierté d’un peuple pour son originalité culturelle.
Il convient toutefois de remarquer que, depuis Ip Man 2, la franchise a réussi à éviter le manichéisme absolu en termes de représentations raciales en utilisant un hypercadre composé de personnages satellites positifs, tels que le commissaire hongkongais ou le supérieur hiérarchique de Scott Adkins, limitant ainsi les clichés machiavéliques aux antagonistes principaux.
Plus proche de l’hagiographie que de l’épopée historiquement exacte, la franchise Ip Man restera sans doute dans l’histoire grâce à son savant mélange d’action et de mélodrame, mettant en avant un protagoniste simple et profondément attachant, capable de préserver son humilité en toutes circonstances. Donnie Yen a su, grâce à ce rôle, développer ses talents d’acteur et a prouvé qu’il pouvait avoir autant d’impact à l’écran avec ou sans ses poings. Désormais loin du festival de narcissisme super-héroïque qui a pu autrefois le définir (voir Ballistic Kiss, sa troisième réalisation), Yen sait aujourd’hui donner la priorité au récit, ce qui confère à la saga une dimension plus solennelle et universelle.
Alors oui, les aspects politiques d’Ip Man 4 sont évidents, grossiers mais aussi cohérents avec tout ce qui a précédé. Personne aujourd’hui ne semble s’offusquer du fait qu’aucun Japonais ne présentait la moindre nuance dans le premier Ip Man, ou que la grande majorité des gweilos croisés dans Il était une fois en Chine – une autre franchise nationaliste – étaient des caricatures ambulantes. De très nombreux films d’action hongkongais des années 80 et 90 finissaient, rappelez-vous, par un combat impliquant des méchants Occidentaux se roulant leur moustache métaphorique. Ces stéréotypes ont toujours eu un objectif narratif clairement défini, et ne devraient par conséquent pas plus poser problème maintenant qu’à l’époque pour les fans de cinéma d’action asiatique.
En outre, Donnie a fait preuve, dans ses projets récents, d’une volonté plus explicite qu’autrefois d’aborder des questions sociales et culturelles. Par exemple, la scène montrant un gang d’adolescents attaquer une jeune Chinoise dans Ip Man 4 rappelle des thèmes abordés dans Big Brother, sorti l’an dernier. De tous les sujets abordés dans The Finale, le projet de Bruce Lee à transmettre sa culture à l’échelle universelle demeure le plus séduisant. Danny Chan, qui arbore une incroyable ressemblance à Lee, offre une prestation convaincante, un hommage affectueux à l’une des plus grandes stars du cinéma d’action. La scène de rixe/duel lui étant consacrée dans la première moitié du film, lorsque des karatekas défient ses élèves, lui donne l’occasion de faire la démonstration de ses capacités martiales.
Cette séquence illustre parfaitement la capacité du genre à créer des microcosmes. Ces moments suspendus dans le temps donnent l’impression que le récit va s’interrompre en faveur d’un spectacle purement cinétique (à l’instar des comédies musicales) mais, dans leur expression la plus maîtrisée, continuent en réalité de développer les personnages à travers leurs actions. C’est exactement ce dont il s’agit ici : un karateka apparaît soudainement (presque par magie) dans une ruelle et enjoint Bruce Lee à l’affronter en combat singulier. Lee accepte, et pénètre ainsi ce monde séparé à l’intérieur de la diégèse, un monde martial dans lequel seuls les combattants semblent exister. L’action, supervisée par le légendaire chorégraphe Yuen Woo-ping, s’articule autour de la personnalité quelque peu suffisante de Bruce.
Les combats restent globalement naturalistes et incorporent un usage limité des câbles afin d’augmenter quelques mouvements et de les rendre plus spectaculaires, comme c’était déjà le cas dans les précédents volets. Le réalisateur, Wilson Yip, adopte un style de captation formel, démonstratif et parfaitement intelligible, faisant de chaque coup, de chaque bond le point focal de l’attention du spectateur. Les fans d’action peuvent se délecter de séquences de combat plus fluides que jamais, qui donnent la vedette à la précision des mouvements et à la clarté des chorégraphies. Pourtant, aucune de ces scènes (le combat final entre Donnie Yen et Scott Adkins compris) n’atteint les sommets de la franchise.
Souvenez-vous de l’affrontement à 1 contre 10 de la première partie, du sparring amical et intense entre les deux maîtres Donnie Yen et Sammo Hung dans sa suite, ou du combat ultra dynamique faisant bon usage de l’ascenseur et des escaliers dans le 3e volet. Aucun d’eux ne reposait entièrement sur la performance des combattants, mais elles s’appuyaient aussi sur des mouvements de caméra dynamiques traduisant une urgence cinétique, une volonté de parler à l’instinct plutôt qu’aux yeux uniquement. Les plans étaient instables mais parfaitement cadrés, la caméra suivait les combattants, tandis que les grues ajoutaient des plans aériens ou en travelling saisissants et lisibles. Cette fois, Wilson Yip troque l’immersion et l’urgence pour un formalisme académique découlant d’une tentative d’offrir une collection inégalable de séquences de combat plus carrées que jamais. Le savoir-faire et l’implication des participants se font sentir à chaque seconde de pellicule, au détriment de toute prise de risque. Vers quels territoires l’action nous mène-t-elle ? En terrain connu. Le plus esthétiquement agréable de tous certes, mais un terrain connu quand même. C’est dans ce sens, et d’autres précédemment évoqués, que Ip Man 4 fait exactement ce que l’on attend d’un tel film, et rien de plus.
Cela ne veut pas dire que les fans d’action ne seront pas servis. Les combattants offrent des prestations estomaquantes, et l’affrontement final devrait satisfaire ceux qui attendent depuis longtemps un combat brutal entre Yen et Adkins. Se basant sur le paradigme bien connu pour les amateurs de la franchise de la distinction entre karate et kung fu (une opposition popularisée par Bruce Lee lui-même dans ses films), Yuen singularise les adversaires en conférant à Adkins la violence et la brusquerie, et à Yen l’agilité et la capacité à improviser. Rien de bien neuf, mais voir la force brute plier au son de ses ligaments déchirés revêtira toujours un caractère jubilatoire.
Dans une autre scène, Ip Man affronte un maître du Tai Chi dans sa demeure. Ce passage rappelle le premier combat d’Ip contre les vagabonds du premier volet. C’est un choc des titans et, pendant un moment, les maîtres des arts martiaux chinois deviennent maîtres de la diégèse. Ils commencent à contourner subtilement les règles de la physique et déplacent le mobilier au gré de leur volonté. Seule la nature, sous la forme d’un tremblement de terre, est capable de ramener le récit vers son fil narratif.
Il est important de relever que malgré ses défauts d’écriture, le film propose grâce à Wilson Yip des images frappantes, plus éloquentes que mille répliques. Après que le jeune Hartman est battu par son entraîneur militaire pour avoir eu l’audace de suggérer d’intégrer le kung fu au système de combat des Marines américains, Barton Geddes (Adkins) ordonne que le mannequin de bois pour wing chun soit brûlé. L’image est splendide, et place la destruction de l’héritage chinois sous le regard de l’étroitesse d’esprit américain. Elle seule aurait suffi, et le film n’aurait manqué de rien si tous ses dialogues redondants avaient été retirés.
La saga arrivant à terme (bien que la IpMansploitation continuera sans doute au rythme de quelques œuvres par an), il est intéressant de noter que la franchise s’est donnée pour objectif la promotion d’une fraternité universelle et la sublimation d’une culture sinophone fédérée. Ip Man étant toujours entraîné par les événements et forcé de rétablir son honneur présente un contraste intrigant avec la façon qu’a Bruce Lee de se lancer lui-même à la recherche de nouveaux défis. C’est la différence entre une vision chinoise de l’héroïsme, qui émerge par nécessité et au sein du peuple, et sa contrepartie américaine et individualiste. Pourtant, les films n’atteignent leur but qu’en représentant Ip Man comme l’unique pratiquant du kung fu capable de venir à bout des karatekas et boxeurs occidentaux. Certes, la franchise a tenté de faire d’Ip Man « juste un autre Chinois », et donc l’incarnation de son peuple, le traitement mythologique du personnage (qui va jusqu’à être comparé à Wong Fei-hung) apporte avec lui une impression involontaire de réussite individuelle. Si les films s’appliquent à laisser entendre que tous les Blancs ne sont pas mauvais, ils finissent aussi, malheureusement, par donner l’impression que ce ne sont pas tous les Chinois qui gagnent les affrontements, mais seulement Ip Man.
Malgré un script prévisible et une réalisation en demi-teinte, Ip Man 4: The Finale est un drame martial excellemment conçu, photographié, chorégraphié et exécuté, offrant une conclusion appropriée à une saga qui restera sans aucun doute une pierre angulaire du cinéma chinois en raison de son attrait culturel unique et de sa portée mondiale. En respectant à la lettre l’esprit de ses prédécesseurs, le film s’impose comme le blockbuster le plus rigoureusement compétent et divertissant de cet hiver, et offre à ses artistes martiaux la chance de conclure la décennie en fanfare.
Ip Man 4 – Aucune sortie en francophonie prévue pour le moment
Réalisé par Wilson Yip
Avec Donnie Yen, Scott Adkins, Danny Chan
Remerciements à Shelby Stiner de Well GO USA d’avoir rendu cette critique possible.