Le 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et les projections indiquent que le 2024 pourrait la dépasser largement. Cette hausse des températures sans précédent est principalement attribuable aux émissions de gaz à effet de serre produites à grande échelle par le développement industriel, dont les pays dits développés sont les principaux responsables. Récemment, la politique et les médias ont commencé à en discuter de plus en plus fréquemment et, avec eux, le cinéma s’est également penché sur la question, en proposant des récits allant de la dénonciation à l’inspiration. La question se pose : comment le cinéma raconte-t-il le changement climatique et que peut-il faire à ce sujet ?


Le cinéma a commencé relativement récemment à traiter du changement climatique de manière plus générale, principalement par le biais de récits dystopiques qui explorent des mondes futuristes dans lesquels la nature a été compromise et où l’humanité est fortement dépendante des nouvelles technologies. Des films comme Snowpiercer, The Day After Tomorrow et Interstellar illustrent des scénarios extrêmes d’une planète trop froide ou trop chaude, tandis que des films comme ceux de la saga Mad Max offrent des visions apocalyptiques d’un monde en ruines. Ces films ont tendance à reléguer le changement climatique à l’arrière-plan, en le traitant uniquement comme cadre d’histoires post-apocalyptiques. D’autres films approfondissent le sujet en le plaçant au centre de leur récit de manière métaphorique, comme mother!, ou en racontant ses conséquences, comme le pionnier Soylent Green, qui décrivait déjà en 1973 un monde surpeuplé, pollué, pauvre et sans nourriture.

Princesse Mononoke

Depuis les années 1990, les films d’animation ont également commencé à aborder le thème du changement climatique. L’animation, avec sa capacité à mélanger réalisme et mysticisme, offre une vision unique qui permet de communiquer la dure réalité des phénomènes en cours. Il ne s’agit pas de simples histoires pour enfants, mais de puissants outils éducatifs pour tous les âges. Des films tels que Princesse Mononoke, Boy and the World, Cloudy with a Chance of Meatballs et bien d’autres dépeignent la cupidité et la stupidité de l’humanité, en soulignant à quel point celle-ci est souvent aveugle aux faits et sourde aux avertissements sur les catastrophiques répercussions de son comportement.

Tous les films cités jusqu’à ici appartiennent à la catégorie des films de fiction et suivent tous plus ou moins la même structure : l’humanité entreprend quelque chose de mal, ceux qui mettent en garde contre les conséquences ne sont pas écoutés et tout le monde en subit les malheurs. Ces films peuvent être divisés en deux catégories : la première comprend les films dont l’histoire se déroule dans un présent où la catastrophe climatique peut, semble-t-il, encore être évitée, comme dans How to Blow Up a Pipeline, Princesse Mononoke, ou, sur un ton plus métaphorique, Don’t Look Up. La deuxième catégorie comprend les films se situant dans un futur dystopique, dans lequel l’humanité vit avec les conséquences irréversibles de son passé irresponsable. WALL-E en est un exemple : les humains sont contraints de vivre dans un vaisseau spatial parce que la Terre est devenue une immense décharge. Plus proche de nous, Hell réalisé par le Suisse Tim Fehlbaum imaginait un futur proche dans lequel la température de la Terre a augmenté de 10 degrés.

How to Blow Up a Pipeline

À ces œuvres de fiction s’ajoutent les documentaires tels que Chasing Ice et Our Planet, qui visent à exposer clairement les causes et les conséquences du changement climatique. Ces films fournissent des informations scientifiques précises et des témoignages d’experts, contribuant ainsi à sensibiliser le public et à stimuler l’action individuelle et collective. En outre, des films tels que An Inconvenient Truth ou Before the Flood, qui profitent de l’implication de célébrités, parviennent à sensibiliser et à informer un public plus large.

Les films cités jusqu’ici tendent à se concentrer principalement sur une perspective eurocentriste. Cependant, le changement climatique est un problème global qui affecte de manière différente les individus en fonction de leur situation géographique, de leur classe sociale, de leur appartenance ethnique, etc. L’approche eurocentriste reflète une image déformée de la réalité, puisque bien que les nations occidentales soient parmi les plus grands émetteurs de CO2 par habitant selon le Global Carbon Project (https://ourworldindata.org), ce sont les nations les plus fragiles économiquement qui sont confrontées aux conséquences les plus sévères du changement climatique. Ces nations, bien qu’elles souffrent le plus des impacts négatifs, n’ont souvent aucun moyen de faire connaître leur histoire. Il faut donc élargir la perspective cinématographique pour inclure les voix et les expériences des populations les plus vulnérables, afin de permettre une représentation plus représentative du changement climatique dans le cinéma.

Heureusement, on assiste depuis quelques années à une augmentation de la production de films, documentaires et non, qui racontent comment le changement climatique affecte ceux qui n’en sont pas à l’origine. Ils montrent le point de vue des populations qui subissent les conséquences dévastatrices du changement climatique dans le présent, mais qui n’ont ni le pouvoir ni la possibilité de l’arrêter. Certaines de ces communautés, comme celles qui vivent dans les zones arides de l’Afrique subsaharienne, sont confrontées à des sécheresses prolongées et à d’autres phénomènes extrêmes qui menacent leur mode de vie. Banel e Adama et Between the Rains appartiennent à cette catégorie. Ces films, le premier de fiction et le second documentaire, racontent tous les deux les défis auxquels sont confrontées les tribus d’éleveurs de bétail respectivement au Sénégal et au Kenya. Ces communautés, intimement liées à la nature et à leurs traditions, interprètent souvent les événements météorologiques extrêmes comme des signaux divins, en toute ignorance du changement climatique.

Between the Rains

Between the Rains, réalisé par Andrew Harrison Brown et Moses Thuranira, et en compétition au Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains, est un documentaire sur la communauté Turkana, dans le nord du Kenya. Le film raconte l’histoire de Kolei, un jeune éleveur qui tente de s’adapter aux changements radicaux des conditions climatiques. La communauté Turkana, tribu nomade qui suivait traditionnellement la pluie avec son bétail, est aujourd’hui contrainte à la sédentarité par les politiques nationales de contrôle du territoire. Impuissante face à la sécheresse prolongée, qui est interprétée comme un refus de la nature de donner la pluie, la communauté se retrouve en compétition avec les communautés voisines pour le contrôle du territoire et de ses ressources. Ces conflits, favorisés par le faible coût et la facilité d’accès aux armes à feu, causent de nombreux morts et renforcent le ressentiment et la haine. La guerre est perceptible dans les conversations entre les doyens du village, et les jeunes ont le devoir de devenir des guerriers pour protéger le bétail. Il n’y a pas de place pour l’innocence de Kolei, qui est perçue comme une faiblesse : « Tu ne devrais pas faire des choses comme une femme », lui dit sa grand-mère lorsque Kolei essaie de lui apporter de la nourriture.

Between the Rains

La frustration contre la nature est en revanche tournée vers sa propre communauté dans Banel e Adama, œuvre première de Ramata-Toulaye Sy, dans laquelle le désert sénégalais est le théâtre d’une autre histoire de sécheresse et de tensions sociales. Le film aborde les mêmes thèmes que Between the Rains dans un petit village sénégalais touché par la sécheresse et les températures extrêmes. Banel et Adam sont deux amoureux désireux de se marier. Lui est éleveur de bétail, comme Kolei, mais a aussi le rôle de chef du village. Elle est une jeune femme déterminée et rebelle qui ne veut pas se soumettre aux règles imposées par sa communauté. Banel est obstinée, elle ne comprend pas les signaux de la nature et tourne toute sa frustration vers les villageois. De même que dans Between the rains, les tribus ennemies sont considérées comme la cause de la sécheresse, Banel est perçue par les sages du village comme l’origine de ce malheur, comme celle qui va à contre les règles de la nature. Banel attend la pluie avec impatience, non pas pour le bien du village comme Kolei, mais pour son désir de liberté et d’avenir heureux avec Adama. Cependant, sa rébellion contre l’attente interminable la conduit à la folie et en fin à la mort.

Banel e Adama

Ces films, contrairement à ceux mentionnés précédemment, nous confrontent à un présent désastreux en abordant un problème actuel que nous pouvons et devons encore résoudre. Banel e Adama et Between the Rains sont un appel à l’aide, le dernier cri pour la préservation de peuples et de cultures en voie de disparition. Le changement climatique, dont ces communautés ne sont pas responsables et contre lequel elles ne peuvent pas lutter, est la cause des souffrances montrées dans les deux films. Mais c’est l’ignorance, entendue au sens littéraire du terme comme manque de connaissances, qui les rend incapables de s’adapter et d’évoluer par rapport au nouveau climat. Ces populations doivent changer, mais ne savent pas comment, ne comprenant pas les causes ni les conséquences de ce qui leur arrive.  La production de ces films joue un rôle crucial non seulement pour sensibiliser le public au changement climatique, ce que font déjà des documentaires plus connus, mais ils servent surtout à déplacer l’attention d’une approche eurocentriste vers ceux qui sont les véritables victimes du changement climatique. Il est essentiel de leur garantir une liberté en leur redonnant une voix. Il faut les informer et les écouter, mais avant tout les impliquer dans le processus décisionnel des politiques climatiques mondiales. Cette action doit être entreprise immédiatement, car « une justice différée est une justice refusée ».

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