Rencontre avec Lee Cronin
L’avant-première de The Hole in the Ground a eu lieu lors du 2019 Sundance Film Festival. Le film est ensuite sorti au cinéma et en VOD dans plusieurs pays courant […]
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L’avant-première de The Hole in the Ground a eu lieu lors du 2019 Sundance Film Festival. Le film est ensuite sorti au cinéma et en VOD dans plusieurs pays courant […]
L’avant-première de The Hole in the Ground a eu lieu lors du 2019 Sundance Film Festival. Le film est ensuite sorti au cinéma et en VOD dans plusieurs pays courant février/mars. Il n’a pas encore de date de sortie en Europe continentale, mais le réalisateur Lee Cronin a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions. Retrouvez notre critique du film ici.
Film Exposure : Comment s’est passée la campagne promotionnelle ?
Lee Cronin : Je n’ai pas arrêté. Ça a été très intense, plus que ce à quoi je m’attendais. Hier [ndlr : le 4 mars] était mon premier jour de retour à la normale depuis la mi-janvier. J’ai bien eu une ou deux journées de travail ci et là, mais ça ne permet pas d’en faire énormément. Donc depuis hier, je recommence à écrire, comme à mes habitudes. Ce fut intense, mais pour de bonnes raisons, en tout cas j’espère.
FE : Au début de The Hole in the Ground, on voit Sarah et Christopher sortir d’une fête foraine, et de ce qui ressemble à un train fantôme. Votre travail précédent était le court-métrage Ghost Train, dans lequel un enfant disparaît dans une attraction abandonnée pour en ressortir des années plus tard, changé. Dans ce court, et malgré son aura surnaturelle et inquiétante, l’attraction semblait appartenir au paysage, comme si elle occupait sa place légitime. Les humains semblent jouer avec quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Le ressenti est similaire dans votre nouveau film, avec cet immense trou en forme d’entonnoir. Dans les deux cas, les humains se confrontent à une anomalie de la nature qui les absorbe et qui les change. S’agit-il de quelque chose qui vous parle spécifiquement, ou que vous trouvez inquiétant ?
LC : C’est parmi les questions les plus intéressantes que j’ai entendues au cours des 6 dernières semaines. Je pense que oui. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis intéressé par les objets, en tout cas les objets inhabituels se trouvant au centre d’une histoire et autour desquels le choses peuvent évoluer. Je suis persuadé que la nature recèle des choses terrifiantes que nous ne comprenons pas vraiment, et cela m’attire. Je n’avais jamais considéré le train fantôme comme faisant partie du paysage, mais je suppose que c’est tout à fait possible. C’est un objet qui a vécu, qui appartient fermement à l’univers qu’il habite. C’est aussi un portail vers le changement. Essentiellement, je suis tout aussi intrigué que terrifié par les moments susceptibles de changer notre vie, et qui découlent des décisions que l’on prend. Par exemple, dans The Hole in the Ground, si Sarah avait écrasé l’araignée dans la maison, ils ne seraient pas sortis, n’auraient pas trouvé le trou, et peut-être que rien de tout ça ne serait arrivé. Il s’agit d’une décision a priori tellement simple. Dans Ghost Train, c’est pareil : les personnages se demandent s’il préfèrent aller à la plage, ou dans cet endroit dont ils ont vaguement entendu parler. Et ils font un choix ; un choix qui me terrifie. Ça me rappelle comment l’idée pour The Hole in the Ground est née. Je suis tombé sur un article consacré à un homme vivant en Floride qui regardait tranquillement la télévision, quand un trou s’est ouvert dans son salon. Il s’y est engouffré et a péri ainsi. Les secours n’ont pas pu le sauver. Et j’ai pensé : « Et s’il avait décidé d’aller pisser à ce moment-là ? Ou s’il avait eu une migraine et était allé se coucher à la place ? » En termes concrets, ça revient à se demander si partir 5 minutes en avance peut mener à être renversé par un camion. Les interprétations surnaturelles de ce phénomène m’effraient, et en lisant cet article, j’avais trouvé ça à la fois palpable et difficile à croire. Donc oui, ces objets m’attirent. Mon prochain projet s’appelle Box of Bones, et il parle littéralement d’une boîte d’os. Je me sers de ces objets pour changer le point de vue de mes personnages, pour les forcer à se redéfinir.
FE : La forêt, et plus généralement la nature, occupent une place importante dans le cinéma d’horreur irlandais. La forêt peut rendre les gens fous, comme dans Without Name de Lorcan Finnegan, ou dans Shrooms il y a de cela plus de 10 ans, ou encore dans The Hallow, Wake Wood, From the Dark, etc. Tous ces films se déroulent dans un décor rural, au sein ou en lisière de la forêt, qui invoque des éléments surnaturels. Pensez-vous que ce décor est d’autant plus puissant pour les histoires se déroulant en Irlande ? Est-ce qu’il encourage la réémergence de forces anciennes, voire païennes ?
LC : Il est tout à fait possible de le voir ainsi, en effet. Il existe bien sûr beaucoup de films d’horreur et de thrillers du monde entier basés dans des lieux sombres et isolés, mais je pense que l’industrie horrifique irlandaise du moment est particulièrement intéressante en cela qu’il existe effectivement une résurgence qui explore notre passé sombre et mystérieux. Dans le temps, l’Irlande était entièrement recouverte de forêts, et abritait donc nombre de ces endroits impénétrables. Tout ça a progressivement disparu à mesure que le pays s’est développé. J’ignore s’il y a une raison spécifique, mais j’avoue que le fait que beaucoup de cinéastes soient attirés par cet aspect est intéressant. Peut-être que cela fait partie du caractère unique du pays aux yeux du monde. Les gens associent l’Irlande à l’amusement, mais on a aussi nos fantômes et nos monstres, toutes ces choses qui se tapissent dans la campagne. Les gens qui vivent ailleurs associent la campagne irlandaise à la beauté, mais aussi au mystère, au côté insondable des lieux. Ça constitue forcément un bon point de départ pour raconter des histoires.
FE : Tom Comerford est votre directeur de la photographie depuis Ghost Train, et il a également tourné Pilgrimage de Brendan Muldowney il y a quelques temps. Tous ces films présentent des couleurs délavées, avec des niveaux de gris qui donnent à l’image un caractère menaçant. The Hole in the Ground transforme efficacement les paysages irlandais en une version d’eux-mêmes que l’on n’est pas habitués à voir, plus sombre et plus sinistre. S’agissait-il de votre objectif, à vous et à Tom ?
LC : Oui, c’était voulu. Nous avons voulu exercer un contrôle sur les paysages irlandais de sorte à les utiliser pour qu’ils paraissent menaçants. Nous avons beaucoup échangé sur la volonté d’isoler complètement les personnages. Les paysages donnent une idée d’étendue, ce qui explique qu’on ouvre le film sur un court voyage. Même dans leurs moments intimistes, par exemple à la fête foraine, aucun figurant n’apparaît nulle part. Alors que Sarah et Christopher quittent les lieux, on voit un chariot émerger du train fantôme, mais personne ne se trouve dedans. L’idée, c’est qu’ils sont seuls, isolés. Cet isolement vient de l’utilisation des paysages, qui confèrent également au film une dimension onirique, parfois proche de la fable. Le film allie fantastique et réalité. Les circonstances animant la relation mère-fils sont d’ordre domestique, et l’horreur se trouve au sein du foyer. Je voulais que le monde semble étrange, en décalage avec eux. C’est pourquoi lorsque l’on voit d’autres personnages, par exemple lors du dîner chez des voisins ou lorsque Sarah se rend au travail, je ne perds pas de temps à établir où l’on se trouve. Ils vivent en marge des autres. Même lors de ses visites chez le médecin, l’action n’est pas cadrée plein centre, afin de mieux isoler les personnages. Tom et moi, nous savons ce que chacun veut créer, donc on ne passe pas énormément de temps à en discuter. On a parlé de la palette de couleurs, des types de plans requis, et comment donner l’impression que la forêt, une fois que l’on y pénètre, s’étend à l’infini. De ce point de vue-là, on a toujours su comment placer notre caméra.
FE : En termes de films d’horreur, on distingue souvent deux écoles de pensée. Certains préfères les frissons et les jumpscares, alors que d’autres misent sur l’atmosphère et le malaise. Certains films combinent les deux, par exemple The Canal d’Ivan Kavanagh. The Hole on the Ground appartient à la deuxième catégorie, celle de l’horreur qui cultive l’inquiétude et l’incertitude plutôt que les chocs soudain. On a même parfois l’impression de regarder un film de Kiyoshi Kurosawa.
LC : Merci du compliment. L’ambiance et le ton, ce sont mes priorités. Vous savez ce que je trouve de très intéressant ? Ça fait des semaines que j’enchaîne les tables rondes, et parfois une personne arrive dans la pièce et me dit qu’elle a aimé le film parce qu’il n’y avait pas de jumpscares, que tout reposait sur l’ambiance et le ton, sur la création de la tension, de l’effroi. Je la remercie et dans la même journée, une autre personne m’affirme avoir adoré le film parce que les jumpscares étaient différents de ceux dont elle avait l’habitude. Tout est une question de point de vue. Le genre de l’horreur, à mon avis, permet aux spectateurs d’en retirer ce qu’il veulent, d’y trouver ce qu’ils cherchent. Il y a quelques moments de frissons dans mon film, mais ils n’ont pas nécessairement été pensés de façon traditionnelle, avec la montée en puissance musicale, suivie d’un silence de 20 secondes faisant se demander au public quand le jumpscare arrivera enfin. Je pense que mon intention initiale, ce qui me tenait vraiment à cœur dans cette historie, c’était de développer la protagoniste, puis de travailler l’atmosphère, de générer la crainte. C’est pour ça qu’il n’y a pas de prologue qui identifierait le projet en tant que film d’horreur d’entrée de jeu. Je voulais utiliser le son pour déstabiliser le spectateur pendant les logos d’ouverture, pour enchaîner sur le visage de Sarah, qui amène le public à se demander ce qui la tracasse, ce qui lui passe par la tête. Mon but était de continuellement resserrer l’étau autour du spectateur, de créer un crescendo. Déstabiliser les gens, puis les maintenir en apnée tout du long, c’était ça mon but.
FE : Les reflets, la perception et les doubles jouent un rôle important dans votre film. La fin est assez ouverte pour laisser le spectateur libre dans son interprétation, mais lorsque vous écriviez le scénario, quels étaient les thèmes auxquels vous souhaitiez inciter les gens à réfléchir ?
LC : Je voulais les inviter à réfléchir à leurs propres relations. Quand je raconte une histoire dans le genre de l’horreur, je cherche toujours les éléments les plus universels possibles. L’idée centrale de The Hole in the Ground est la suivante : mettez-vous dans une situation où quelqu’un que vous connaissez, que vous aimez et en qui vous avez confiance, semble soudainement être quelqu’un d’autre. Cela ne se limite pas aux relations mère-fils. Je pense aussi à des situations de la vie de tous les jours. Je pense à cette première dispute, la première vraie dispute réellement violente, qu’on a tous eu avec quelqu’un que l’on pensait connaître. Imaginez, après une relation d’un an et demi, lui découvrir un nouveau regard, une nouvelle intonation de la voix. C’est quelque chose qui me terrifie vraiment, et donc c’est sur ça que j’ai voulu me concentrer. Je veux que le public s’imagine ce que c’est de douter de l’identité d’un proche. Dans une autre mesure, je veux aussi qu’on pense aux circonstances des parents seuls, de leur force, et des défis qu’ils doivent relever. Le trou dans la forêt, c’est aussi une représentation du futur, de l’inconnu. L’histoire pourrait se dérouler un peu n’importe où, n’importe quand, et j’aime ça. On peut y prendre ce qui nous parle et l’interpréter. Lors de ma dernière séance de questions-réponses avec le public, j’ai demandé aux gens dans la salle s’ils pensaient que le film montrait le parcours psychologique de Sarah, ou s’il s’agissait indubitablement d’un film de monstre. L’opinion était divisée à 30 contre 70%. Je ne dirai pas de quel côté la balance penchait, mais c’est intéressant de voir que les gens y apposent leur propre lecture. Et c’était voulu, ça aussi. C’est à ça que sert l’épilogue. Ce n’est pas parce qu’on survit à une situation horrifique qu’on en oublie les cicatrices du jour au lendemain. Le doute et l’angoisse persistent, et je voulais terminer sur une incertitude, car dans le monde réel, on ne guérit jamais totalement de nos expériences passées. Lorsque l’histoire commence, Sarah est déjà quelqu’un qui porte des cicatrices. Elle ne s’en débarrassera jamais, mais ce qu’elle fait, c’est qu’elle arrête de fuir, qu’elle fait face aux ténèbres. C’est une idée qui m’est chère, car tout le monde devra regarder dans l’abîme. Enchaîner les interviews lors du lancement m’a fait redécouvrir mon propre film. Certaines personnes m’ont dit : « Oh mon Dieu, elle s’installe dans une maison isolée près des bois, c’est tellement stupide. » Et je dois réexpliquer qu’il s’agit d’une femme qui tente d’échapper à une situation de violence conjugale. Elle essaie de partir le plus loin possible, de se cacher du mieux qu’elle peut. La forêt, pourquoi devrait-elle en avoir peur ? C’est son ex-conjoint qui lui fait peur.
FE : Elle ne sait pas qu’elle est dans un film d’horreur.
LC : Exactement. Mais apparemment, ce n’est pas évident pour tout le monde. Le sound design, par exemple, a été exagéré de manière tout à fait intentionnelle. Il s’agit d’une personne très anxieuse. Dans cet état d’angoisse, les crises de panique peuvent durer très longtemps, et se transformer en état d’esprit. Je voulais vraiment rentrer dans son esprit.
Merci à Suzanne Murray de Wildcard Distribution et à Glenn Hogarty de Limelight pour avoir rendu cette interview posible.
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