Les Enfants du Temps - AfficheMakoto Shinkai n’est pas idiot. Du moins, le suppose-t-on. Il sait qu’il ne peut pas totalement revenir au style épuré qu’il avait développé dans ses premiers films. Il sait aussi qu’après le phénomène planétaire de Your Name, film japonais le plus rentable de tous les temps, il est attendu au tournant et qu’il ne peut pas décevoir son public, que pour cela, il doit offrir du nouveau tout en restant sur ses bases. Pas simple pour un réalisateur qu’il y a à peine vingt ans réalisait ses premiers courts-métrages, seul, sur After Effects. Les Enfants du Temps, son septième film sorti ce début d’année sur nos écrans, se révèle ainsi être une œuvre à mi-chemin entre blockbuster et réinvention.


D’emblée, Shinkai reprend les éléments qui ont fait son récent succès et en assume totalement la réitération. On retrouve l’habituelle histoire d’amour contrariée de deux adolescents que tout oppose, mais dont les sentiments évoluent au long du récit jusqu’à se révéler dans un dénouement si intense qu’il efface leur timidité. Puis, c’est le rythme visuel et narratif qui se trouve resserré et utilisé à une allure souvent ahurissante, loin des premiers films contemplatifs du cinéaste, où l’atmosphère d’apesanteur hypnotique et poétique était primordiale. Ici, l’histoire, fourmillante de rebondissements, installe ses diverses couches narratives en un temps record et conserve un rythme similaire sur toute sa durée, sans sacrifier pour autant sa lisibilité. Pour cela, le film évite certaines facilités et se sert du montage comme outil de prédilection – dont la rapidité est connue et digérée du public habitué à la narration ultra-découpée des séries animées –, faisant passer les éléments-clés de l’intrigue avec un minimum de contexte et un maximum de fluidité.

Mais c’est surtout l’humour, un autre des principaux aspects de Your Name, que l’on retrouve dans Les Enfants du Temps, cette fois-ci en décuplé. En effet, le comique de situation est présent sur toute la longueur du métrage, au lieu d’être apposé avec minutie et justesse. Certains personnages sont d’ailleurs conçus dans ce seul et unique but. Natsumi, une étudiante bien formée qui travaille au même endroit qu’Hodaka, le héros, et Nagisa, frère pré-adolescent d’Hina, l’héroïne, qui fait fondre toutes les filles de son école, en sont les exemples les plus probants. On voit ainsi clairement la volonté du film de s’inscrire dans un genre grand-public décomplexé, à grand renfort de blagues sur la poitrine des personnages féminins ou sur la timidité toute naturelle d’adolescents face à leurs désirs et leurs sentiments. Le comique contrôlé et parfois subtil de Your Name se retrouve là en roue libre, transformant plusieurs passages du film en scènes de série animée fan-service aux gags potaches et vite oubliés.

Ceci dit, tous ces éléments de redite s’intègrent parfaitement à l’intrigue, grâce au savoir-faire narratif et visuel du réalisateur. C’est alors dans des éléments nouveaux que Les Enfants du Temps va surprendre, éléments qui touchent plus le fond que la forme et qui vont ouvrir tout un nouveau pan d’analyse du travail de Shinkai.

Les Enfants du Temps - Eclaircie

Première grande nouveauté : la présence des adultes. D’habitude mystérieusement absents, filmés hors-champ ou simples figures d’autorité sans envergure, les adultes n’ont jamais eu voix au chapitre dans ses films. Ici, au contraire, ils sont presque partout : Kei, le journaliste paranormal ; Fumi, la grand-mère de Taki, personnage central de Your Name que l’on retrouve ici pour un caméo ; et Yasui & Takai, deux policiers qui mènent la vie dure à Hodaka et Hina. Chacun d’eux est personnifié, développé et joue un rôle prépondérant dans la progression de l’action et l’évolution des personnages adolescents. Ils servent de contre-point à ces derniers et rejoignent ainsi un autre aspect primordial du film : l’incursion d’une réalité urbaine, violente et déprimante dans l’univers habituellement poétique du réalisateur. Une réalité que l’on découvre à travers le regard du héros principal.

Jeune fugueur qui quitte la campagne pour se réfugier à Tokyo, Hodaka se retrouve très vite confronté à la pauvreté et à tout ce qu’elle implique. La ville qu’il découvre n’est que pluie interminable, ruelles glauques, néons agressifs et habitants antipathiques. Il a, sans le savoir, échangé l’autorité familiale qu’il fuyait contre l’autorité d’un endroit étrange et étranger. Ne souhaitant toutefois pas tomber dans le misérabilisme, le film détourne l’attention de cette situation pessimiste en la traitant tantôt avec dérision, tantôt avec sérieux. Une technique intelligente qui crée, par contraste, une prise de conscience chez le spectateur, sans qu’il y ait eu besoin de la lui imposer. La solitude que ressent Hodaka donne au film un point de vue individualiste, qui va ensuite imprégner le récit et nourrir en retour les comportements du personnage, le faisant glisser, petit à petit, dans un cercle de violence. C’est là que Shinkai fait intervenir le personnage d’Hina, symbole d’altruisme par excellence, et l’oppose à celui d’Hodaka.

Attention, le texte qui suit révèle des points clés de l’intrigue. Il est fortement conseillé d’avoir vu le film avant d’en continuer la lecture.

Il pleut depuis des mois sur Tokyo. Hina est une fille-soleil. En priant le ciel, elle peut provoquer une éclaircie. Hodaka va lui proposer de capitaliser sur ce don. Le problème est que plus elle l’utilisera, plus son corps s’effacera. Elle pourrait même disparaître entièrement (mourir) et le soleil reviendrait pour de bon sur la ville. C’est le choix qu’elle fait. Mais Hodaka n’est pas d’accord : il l’aime et refuse de la voir partir. Il va donc annuler le sacrifice d’Hina et la ramener sur Terre. Ce saisissant retournement de situation est inédit chez Shinkai. Faire passer l’individualisme avant le bien commun n’est pas un choix qu’on pourrait qualifier de moral. C’est pourtant ce que le film nous propose. L’égoïsme ambiant de la ville et de la société qu’elle représente s’est emparé d’Hodaka. « Tant pis pour le monde, qu’il reste fou ! » crie-t-il à Hina. Sauf qu’il le fait par amour, et s’il laisse, par son acte, l’humanité se débrouiller avec son destin, il espère en construire un meilleur avec celle qu’il aime.

Les Enfants du Temps - Pluie

La pluie revient alors, en trombes et, avec le temps, inonde Tokyo de manière irréversible. Mais là où il aurait pu rester sur un message catastrophiste, Shinkai (dans un des épilogues dont il a le secret) nous montre l’après. Les habitants ont pour la plupart survécu et se sont adaptés à la nouvelle configuration de leur ville. Fumi, la grand-mère, dira même que finalement Tokyo est redevenue ce qu’elle était il y a deux siècles, avant que les hommes ne construisent sur la baie. La nature a repris ses droits et l’humanité s’est adaptée. En ces temps anxiogènes, Les Enfants du Temps se termine sur un optimisme climatologique déroutant et rafraîchissant. Il nous livre une dose d’espoir plus que bienvenue, qui contraste en partie avec la noirceur du reste du film.

Les Enfants du Temps pâtit cependant de sa ressemblance avec Your Name, qu’il essaie par bien des égards d’égaler, sans pourtant y arriver. Tous les points cités en début d’article font évidemment preuve d’efficacité et font du film un divertissement grand-public, mais ce quasi copié-collé amène aussi des défauts, narratifs pour la plupart, qui entachent le potentiel du film. On pourrait parler du déséquilibre de traitement entre la dimension réaliste et fantastique du récit, des raccourcis et facilités scénaristiques, les heureux hasards de certaines rencontres avec d’autres personnages, etc. On sent que les étapes de l’intrigue sont prédéfinies et que ce sont elles qui font avancer le récit et non les actions des protagonistes, enlevant une part de crédibilité aux agissements de ces derniers. De plus, la romance est parfois trop appuyée, tombant dans une mièvrerie que Your Name arrivait, lui, à contenir et à traiter avec justesse et pudeur. Aussi, on remarque la volonté du film de conquérir un public adolescent toujours plus grand par le biais d’une sur-utilisation de musique J-Pop, notamment du groupe Radwimps, qui provoque des passages clipesques interrompant le rythme du film, et qui reflètent davantage un dessein pécunier qu’artistique.

Les Enfants du Temps - Hina

Malgré la facture toujours aussi exceptionnelle du film, force est donc de constater que ce mélange entre ancien style poétique et dimension divertissante atteint ici ses limites, sans pour autant les dépasser. Resservir une nouvelle fois la recette gagnante de Your Name, qui l’était justement car elle savait être unique et originale, ne serait ainsi pas une solution d’avenir pour Shinkai. S’il veut continuer, il devra faire un choix : assumer le côté blockbuster et perdre une partie de son public de la première heure, revenir au style poético-mélancolique qui l’avait révélé ou alors se réinventer totalement et nous proposer quelque chose d’encore jamais vu chez lui. La réponse à cette question arrivera en 2022 au Japon, date à laquelle son nouveau film sortira, comme il l’a lui-même annoncé lors de la première des Enfants de la Mer, à Paris en décembre dernier.

LES ENFANTS DU TEMPS (天気の子)
Réalisé par Makoto Shinkai
Avec Kotarô Daigo, Nana Mori, Shun Oguri, Tsubasa Honda
Sortie le 08 janvier 2020 (France) et le 22 janvier 2020 (Suisse Romande)

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