Johnnie To ne quitte jamais bien longtemps le crime thriller. Après deux comédies, l’une romantique (Don’t Go Breaking My Heart 2) et l’autre musicale (Office), on l’entend presque prendre une grande bouffée d’oxygène quand une escouade de policiers hongkongais fait irruption en un long plan-séquence dans l’hôpital où se déroule intégralement Three, son nouveau film. Reposant sur un trio inédit – la superstar continentale Zhao Wei, le stakhanoviste hongkongais Louis Koo et la star de la pop taiwanaise Wallace Chung – ce huis-clos tendu traversé d’éclairs de fantaisie procure un bonheur inégal.
Une neurochirurgienne (Zhao Wei) brillante mais proche de l’épuisement, et qui vient de commettre deux erreurs médicales, voit sa situation empirer quand fait irruption dans son unité médicale une escouade de policiers escortant un dangereux criminel (Wallace Chung) dans un état critique. Ce dernier a une balle dans la tête qui pourrait lui ôter la vie à tout moment, mais il prétend vouloir réflechir avant d’accepter qu’on l’opère. Cela n’arrange pas le chef de l’escouade (Louis Koo): il apparaît petit-à-petit que c’est lors d’un interrogatoire violent durant lequel le criminel a été menacé qu’il a reçu cette balle, quand le coup de pistolet de l’un des policiers est parti tout seul. Commence alors une lutte psychologique entre les agents qui veulent protéger leurs arrières et obtenir du criminel les informations nécessaires pour arrêter ses comparses qui sont en train de commettre une série de braquages, le criminel qui cherche à gagner du temps pour que les dits comparses viennent le libérer, et la chirurgienne qui est déterminée à sauver ce nouveau patient, qu’il soit un gangster sociopathe ou non.
Ce n’est pas la première fois que Johnnie To plante sa caméra dans un hôpital. En 2000, sa comédie satirique Help!!!, écrite et réalisée avec Wai Ka Fai, étrillait sans grande subtilité – et à grand renfort de gags de dentiers – le poids de la bureaucratie et la perte des valeurs hippocratiques dans les institutions hospitalières hongkongaises. Three, dans son propre genre, est un exercice bien plus intelligent, concis et contrôlé – du moins jusqu’aux vingt dernières minutes. En huis-clos presque intégral, le film introduit ses tenants et ses aboutissants avec une grande économie: de rapides coups de téléphone, des reportages télévisés aperçus furtivement, quelques échanges laconiques et beaucoup de regards lourds de sens créent un effet d’élargissement qui ferait presque oublier qu’on ne voit pas le ciel pendant une heure et demie.

Tendu mais enjoué, le film entoure son trio central d’une gallerie de bouffons qui évoluent comme dans leur propre film, ricochant de temps en temps sur l’intrigue centrale: on y trouve un Lo Hoi Pang hilarant en vieux patient infantile et influençable, Timmy Hung (le fils de Sammo) en geek égocentrique, et bien sûr Lam Suet, le fétiche et souffre-douleur de Johnnie To, dans le rôle d’un policier brave mais gaffeur, dont les tentatives de rattrapper ses bourdes l’enfoncent d’autant plus (joue-t-il alors le même personnage que dans PTU ?). Les nombreux couloirs, salles d’opérations et sas de l’hôpital donnent au réalisateur l’occasion de jouer à tout instant avec la profondeur de champ, et l’arrivée des policiers est accompagnée d’un plan-séquence de plusieurs minutes, qui sans être comparable à celui qui ouvre Breaking News, n’en souligne pas moins la dimension d’exercice de style visée par le réalisateur. Et quand les rideaux qui séparent les lits d’hôpital sont constamment ouverts puis refermés, il est difficile de ne pas y voir une référence espiègle de Johnnie To à la construction théâtrale par excellence de son film: unité d’action, unité de temps, unité de lieu.
Mais Three ne se limite pas à un simple exercice de style, ni à une somme d’éléments familiers. Certes, l’escouade de policiers dirigée par Louis Koo semble sortie de n’importe quel polar hongkongais: une équipe soudée telle une famille, qui se retrouve à marcher sur des oeufs après avoir commis l’erreur de supposer que la fin justifierait les moyens, et qui en essayant de limiter les dégats et de couvrir ses arrières, ne parvient qu’à nouer la situation encore plus. Ainsi, après avoir usé d’un stratagème pour mettre les empreintes de Wallace Chung sur un pistolet, afin de pouvoir prétendre que celui-ci était armé lorsqu’il a été blessé à la tête, l’escouade découvre avec panique qu’ils n’ont pas choisi la bonne main – le criminel est gaucher. Cet examen tragi-comique d’hommes de lois prêts à contourner celle-ci pour obtenir justice n’a rien de nouveau, mais retrouve ici une certaine fraîcheur dans un effet de miroir intéressant avec le dilemme rencontré par le médecin joué par Zhao Wei: le serment d’Hippocrate l’engage à sauver toute vie humaine, mais sauver cette vie en particulier, celle d’un sociopathe violent et manipulateur, pourrait mener à la mort d’innocents.

C’est une opposition que Johnnie To exploite malheureusement assez peu, préférant jouer avec son décor et construire une tension plus immédiate, et se limitant à une durée de moins d’une heure et demie. Zhao Wei et Louis Koo sont tous deux superbes, elle puissamment sympathique, profondément humaine et parfaitement crédible, lui en équilibre constant entre droiture monolithique, panique profonde et cynisme fatigué. Leurs face-à-face crépitent de tension et d’une aversion mutuelle mêlée de respect, mais restent trop rares et fugitifs. To semble préférer le numéro efficacement ricanant de Wallace Chung, qui excelle en sociopathe sardonique et verbeux, mais reste le seul personnage caricatural du trio central, et se donne en spectacle plus qu’il n’interagit avec le policier et le docteur.
Et de fait, Three finit par basculer dans un certain excès de spectacle: suite à une séquence délicieuse où le policier Lam Suet recherche dans l’hôpital un des complices du criminel, avec pour tout indice un air de Mozart à siffler (nous n’en dirons pas plus), Johnnie To déchaîne une fusillade finale qui n’est pas à la hauteur de sa mise en place graduelle. Chorégraphiée dans ce même statisme paradoxalement cinétique qui fait le charme des scènes d’action de The Mission ou d’Exilé, voulue de toute évidence comme un grand morceau de bravoure cathartique tel celui qui clôt PTU, cette fusillade est malheureusement gâchée par un recours excessif et assez disgrâcieux aux images de synthèse pour des effets de ralentis vus à 360° et des giclées de sang, le tout sur une chanson d’Ivana Wong dans un effet de décalage lourdaud. On gardera surtout de ce finale la vision irrésistible d’un Lam Suet en panique, courant partout avec un poignard planté dans la fesse. Une conclusion assez sommaire tente de régler proprement les dilemmes du policier et du docteur, mais il est difficile de redevenir sérieux de manière convaincante une fois que Lam Suet a été poignardé à la fesse.
THREE
Réalisé par Johnnie To
Avec Zhao Wei, Louis Koo, Wallace Chung, Lam Suet
Date de sortie inconnue en francophonie
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