Locarno 2016 – Jason Bourne et la loi de l’attraction
En remplissant efficacement son cahier des charges tout en mettant à nu le squelette des blockbusters d’action, Jason Bourne frise l’expérimental et engendre une véritable fascination.
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En remplissant efficacement son cahier des charges tout en mettant à nu le squelette des blockbusters d’action, Jason Bourne frise l’expérimental et engendre une véritable fascination.
Avec The Bourne Identity (2002), le scénariste Tony Gilroy remodela la figure de l’agent secret et du film d’espionnage. Alors que la licence de James Bond s’éloignait de toute crédibilité en s’enfonçant dans le grand-guignol – à cette époque Pierce Brosnan surfait sur des vagues gigantesques et combattait Madonna à l’escrime dans Die Another Day –, celle adaptée de Robert Ludlum a en effet imposé, du moins dans sa première trilogie, une rigueur « réaliste » et une concision qui depuis servent de modèle – Casino Royal (2006) et le reboot de 007 avec Daniel Craig en sont les preuves directes. Neuf ans après The Bourne Ultimatum (2007), l’Anglais Paul Greengrass met à nouveau en scène les filatures sans fin du personnage amnésique le plus iconique des années 2000 et poursuit son objectif d’épuration du film d’action.
Dans ses deux premières incursions dans l’univers de Jason Bourne, Paul Greengrass avait fait montre d’un minimalisme croissant : les intrigues se raccourcissaient dans chaque film et servaient essentiellement à la mise en place de scène de filatures, de courses-poursuites ou de règlements de comptes. Avec ce nouvel opus qu’il scénarise lui-même, le réalisateur poursuit sa quête de l’épure dans un film qui, à l’image de son titre – Jason Bourne –, s’avère dépourvu de toute fioriture et vise à l’essentiel.
Après une brève remise en contexte, on se retrouve dans un schéma très connu où l’on suit l’ex-agent dans plusieurs pays, à nouveau traqué par la CIA, sur fond de conspiration internationale. Concrètement, le nouveau film de Paul Greengrass ne raconte guère plus. Bien que le scénario cherche à apporter de la consistance à son histoire en la contextualisant dans des problématiques contemporaines (Snowden est cité à deux reprises en lien avec des questions de sécurité de données ; le réseau social populaire de la diégèse est facilement comparable à Facebook), toute l’énergie est concentrée dans l’élaboration des scènes de filatures qui construisent le récit.
À l’instar de The Bourne Supremacy (2004) et surtout de The Bourne Ultimatum, Jason Bourne raconte par ce qu’il montre. Les scènes où des protagonistes se rencontrent pour apporter les quelques éléments narratifs du film se déroulent toujours dans des endroits bondés et où le danger est imminent, ce que soulignent par ailleurs les percussions alarmantes de John Powell. Le récit semble jouir de sa manière de proposer, simultanément, une extrême concision tout en démontrant un souci du détail.
Le montage soutenu renforce ainsi la multiplication de toutes les formes de communication déployées : appareils et écrans multiples, casques d’écoute et autres logiciels de localisation permettent l’élaboration de séquences extrêmement structurées. De cette mise en place mathématique naît une certaine forme de « pornographie tactique », un voyeurisme technique directement issu du cinéma d’attraction. Le rapprochement entre les films monstratifs des premiers temps et les blockbusters actuels n’est assurément pas une idée nouvelle, mais le film de Greengrass fascine par son honnêteté toute transparente. Là où d’autres grosses productions tentent souvent de masquer leurs carences scénaristiques en rajoutant des enjeux vides, Jason Bourne affiche son contenu narratif limité sans honte et l’expose pratiquement de manière métadiscursive (voir le dialogue final entre le personnage d’Alicia Vikander et son supérieur).
Bien évidemment, l’intérêt du film ne réside pas uniquement dans cet aspect théorique mais bien dans les attractions proposées. Souvent copiée mais rarement contrôlée, la mise en scène de Greengrass ne sombre jamais dans la facilité formelle et la shaky cam abusive. Bien au contraire, le réalisateur maîtrise le chaos qu’il crée pour sa caméra et qui s’inscrit parfaitement dans la lignée de son œuvre – le tardif Green Zone (2010) étant probablement l’exemple le plus probant de son cinéma d’urgence. Les deux poursuites principales, en Grèce puis à Las Vegas, gardent une constante lisibilité et témoignent d’un aspect brut que le prude cinéma hollywoodien n’emploie guère.
Il évident que l’on ne retrouve pas dans ce cinquième opus l’originalité narrative qui canonisa le personnage dans The Bourne Identity (2002). Toutefois, en remplissant efficacement son cahier des charges tout en mettant à nu le squelette des blockbusters d’action, Jason Bourne frise l’expérimental et engendre une véritable fascination. Des qualités que l’on retrouve très rarement dans d’autres productions de cette envergure.
JASON BOURNE
Réalisé par Paul Greengrass
Avec Matt Damon, Alicia Vikander, Vincent Cassel, Tommy Lee Jones
Date de sortie: 10 août 2016
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