9498910-15246434Il y a Dounia la rebelle, Maimouna la pieuse, Rebecca la papesse de la cité, Samir le sbire, Djigui le danseur extatique, Cassandra le transsexuel, Myriam la condamnée et Reda le pervers. Eux, ce sont les héros sublimes d’une tragédie protéiforme, orchestrée par la cinéaste Houda Benyamina. Lauréat de la Caméra d’Or à Cannes, qui récompense chaque année le meilleur premier long-métrage toutes catégories confondues, Divines sort aujourd’hui en salles après avoir fait sensation sur la Croisette.


Vivant avec sa mère dans un camp de Roms situé en banlieue parisienne, Dounia est épuisée. Épuisée de devoir remplir des bidons d’eau pour se laver ; d’être une bâtarde ; de se prêter aux exercices pratiques d’un BEP d’hôtesse d’accueil qui ne lui ouvre aucune perspective d’avenir ; de raccompagner sa mère ivre morte à la maison ; de faire profil bas face aux caïds de la cité ; ou encore de voler dans les supermarchés pour manger à sa faim. En compagnie de sa meilleure amie Maimouna, Dounia décide de prendre son destin en main en proposant ses services à Rebecca, la dealeuse qui pèse le plus dans sa cité. Des corvées ingrates aux missions les plus périlleuses, en passant par la vente de barrettes de shit, la jeune fille réalise peu à peu son rêve d’argent et de gloire, tout en se laissant aller à la découverte du désir, aux côtés de Djigui, un jeune vigile qui aspire à devenir danseur professionnel. Cette élévation individuelle et sociale se fait néanmoins au détriment de Maimouna qui, par amour pour Dounia, accepte de jouer à ce jeu ô combien risqué…

On entre dans ce récit par la grille d’aération d’une mosquée de fortune. Sur le trottoir, Dounia interpelle par texto Maimouna, qui écoute le prêche de son imam de père dans une salle de prière située au sous-sol. Le haut et le bas, la verticalité et l’horizontalité, deux niveaux chargés de symboles qui vont se confronter tout au long de ce récit. Un rap rageux, scandé dans une salle sans fenêtre, contrebalancé par les envolées baroques de Mozart, Vivaldi ou Händel. La noirceur d’un quotidien linéaire, percée de lueurs d’espoir représentées par des sommes astronomiques d’argent et de la drogue planquées dans les plafonds ou les murs. Les chorégraphies hystériques d’un danseur en quête de reconnaissance sur une scène surplombée d’un perchoir qui sert d’échappatoire aux deux amies. Les yeux de Dounia qui se lèvent lentement vers l’image du Christ, tandis qu’elle échange de la drogue contre de l’argent dans une église. Là-haut : la reconnaissance, la puissance et la gloire ; ici-bas : l’ennui et le sacrifice. Bref, autant de plans, d’images, de détails, qui marquent une dualité irréconciliable.

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Engluée dans cet horizon bouché, Dounia va peu à peu quitter terre pour s’élever toujours plus haut, gravissant les échelons à double tranchant de sa destinée. Entre ces deux niveaux de perception, le film prend de l’ampleur et décolle littéralement, à l’instar de cette scène où Dounia et Maimouna, en train de « crevarder » au pied d’une tour les poches pleines de drogue et d’argent, s’imaginent à Phuket au volant d’une Ferrari, une paire de Ray-ban sur la tête et un cocktail à la main. Avec un orteil qui traîne encore dans l’enfance, les deux jeunes filles se laissent complètement aller à leur fantasme, enclenchent l’autoradio, prennent un virage à droite, mettent les gommes et freinent brusquement pour trinquer à leur bonheur. En coulisses, Benyamina joue le jeu de ses personnages. Les filles roulent littéralement dans le plan, tandis que la cinéaste bruite leurs actions pour matérialiser ce monde imaginaire qui s’ouvre à elle, offrant au film l’une de ses plus belles séquences, une parenthèse fantastique qui permet une respiration nécessaire.

De nombreuses critiques évoquent l’idée d’un film organique. Divines est effectivement doté d’un souffle de vie qui lui est propre. Tantôt nerveux, tantôt apaisé, le montage épouse et souligne chaque scène, transportant le spectateur dans un corps qui pourrait être celui de Dounia. Qu’elle soit heureuse, en colère, hors d’haleine ou atterrée, le rythme du film évolue, transfusant un flux ininterrompu d’émotions au spectateur. De la même manière, Houda Benyamina jongle entre les genres, nous entraîne du côté du drame social puis du conte de fées, avant de plonger sans retenue dans la violence d’un film d’action pour remonter du côté de la comédie en jetant ça et là quelques répliques gratinées, de la trempe de « T’as du clitoris, ça me plaît » ou « Il t’a regardée comme un Big Mac en plein Ramadan ». Pris dans ce mouvement perpétuel, Divines ne cesse de surprendre, tout en suivant religieusement une structure en trois actes, qui pourraient être nommés ainsi : l’ascension, la consécration et la rédemption de Dounia.

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À la question sur ses influences, Houda Benyamina ne répond pas La Haine ou Bande de filles, mais Mean Streets, Laurel & Hardy et Les Valseuses. Deux idées de cinéma diamétralement opposées, qui forment une seule et même harmonie dans Divines : violence et légèreté, détresse et humour, noirceur et luminosité. Cette richesse permet d’ailleurs de comprendre pourquoi la réalisatrice se défend d’avoir réalisé un film de banlieue. Peu importe que ce milieu soit celui dans lequel elle a grandi, si ce n’est qu’il lui permet d’être authentique, ou qu’il fasse référence à certains des épisodes les plus sombres des émeutes de 2005. Divines ne prend pas le pouls d’une cité. Ce qui compte avant tout, c’est l’histoire d’une amitié indéfectible, inscrite dans le récit d’apprentissage d’une adolescente à la découverte de son désir et de son individualité.

Au cœur de cette aventure épique, Oulaya Amamra, la petite sœur de la réalisatrice, est remarquable dans le rôle de Dounia. Drôle, touchante et toujours juste, elle s’amuse à changer instantanément de visage, troquant son masque de séductrice pour son aplomb de racaille en un clin d’œil. Sublime, effacée, douce, agressive, raisonnable et inconsciente, l’actrice dévoile une palette de jeu ahurissante. En face d’elle, Déborah Lukumuena, alias Maimouna, apporte une fantaisie et une chaleur salutaires qui, comme tout ce qui constitue ce film, viennent équilibrer la chute infernale de Dounia vers les cieux. C’est certain, Houda Benyamina a réussi une œuvre flamboyante, un drame contemporain vraiment chanmé, qui prend aux tripes, à la gorge, au cœur et au clito.

DIVINES
Réalisé par Houda Benyamina
Avec Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Kevin Mischel
Sortie le 31 août 2016

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