Petes Dragon posterLa satisfaction ressentie devant Peter et Elliott le Dragon n’apparaît pas comme une surprise. C’était au contraire un film attendu, après une suite de grands spectacles estivaux plus indigents les uns que les autres. Son échec commercial, aussi prévisible que déplorable, laisse à penser que ce n’est pas sa voie que les studios privilégieront à l’avenir. Ce cas-là serait pourtant, de tous, le meilleur… qui n’aurait par ailleurs rien d’inconcevable. On ne compte plus le nombre de récits de cinéastes dépossédés des manettes d’une grosse machine. Pour un cinéaste personnel, ce qu’est David Lowery (et non un opportuniste qui n’attendrait, après un premier passage à Sundance, que l’adoubement au statut de yes-man), le choix pour un gros budget de réaliser un film pour enfants s’avère le plus avisé. Contrairement à un produit « adulte » qui se verra nivelé pour correspondre, ou aux normes d’un PG-13, ou à des critères décérébrés, il s’agit du type d’œuvres où les attentes des exécutifs et de l’auteur seraient le plus à même de globalement coïncider. Disney l’a bien compris qui, en quête de sang neuf, propose à de jeunes talents indépendants de revivifier son catalogue pour les petits, en prenant en compte qu’en-dessous d’une certaine tranche d’âge, le désir des parents de regarder eux-mêmes le film compte dans la décision de se déplacer en salles. On attend ainsi des nouvelles du Winnie l’Ourson scénarisé par Alex Ross Perry (1). Il n’y là rien d’un pacte faustien, mais au contraire un modèle louable, esquissant la possibilité pour des metteurs en scène indépendants de se voir offrir, une à deux fois par décennie, un ticket pour le grand-huit : un accès aux studios et les moyens qu’ils rendent disponibles, avec la liberté créative de les utiliser selon leur sensibilité – tout en s’assurant ainsi l’autonomie financière de réaliser des œuvres peu ou non rentables le reste du temps. Ce cas-là serait bel et bien le meilleur pour tous. L’univers du cinéma pour très jeune public est aujourd’hui celui qui en offrirait une illustration la plus rapprochée.


Car Peter et Elliott le Dragon est, d’une manière identifiable, une œuvre du réalisateur crédité à son générique. S’y retrouve le lyrisme délicat, le gothique pastoral, des Amants du Texas, de même qu’un sens de la reconstitution d’époque dénuée de passéisme (ici les années 1930, là les années 1980), un humanisme qui ne condamne aucun personnage (l’adversaire s’apparente dans le film plus à un grand marmot entêté qu’à un individu malfaisant). Fidèle à sa veine contemplative, Lowery élabore une rêverie esthète qui pourrait ne s’aborder que sous l’angle de la texture (un dragon poilu observé sous toutes les coutures), des couleurs (Bojan Bazelli à la photographie), où se ressent, sans qu’il n’y ait là rien de pesant, une cinéphilie à l’air libre sainement digérée (L’Enfant Sauvage de Truffaut bien sûr, mais encore La Forêt d’Emeraude de John Boorman pour ses enjeux de déforestation). Une œuvre dirigée non seulement à l’œil, mais à l’oreille, où la mélomanie du cinéaste, loin de jouer sur un effet juke-box, s’insère dans la narration, irrigue un film tout entier dévolu à renouer avec les sensations primaires, d’émerveillement, d’effroi, présidant au passage de la petite enfance à une phase plus développée. L’éducation à l’écoute est ainsi au centre d’une scène où, sorti des bois pour la chaleur d’un nouveau foyer, le petit découvre par sa nouvelle amie la patine d’un microsillon. Lui dont l’œil a été formé à l’expérience champêtre, découvre la force rassurante d’une mélodie. Inversement, il lui faut en état de civilisation affronter l’inquiétude sourde que génère à l’hôpital son propre reflet dans la glace.

L’ouverture sur un accident automobile imposant à Pete la perte de ses parents, au milieu d’un bois nocturne où apparaît en gardien la créature du titre frappe par sa dureté, peu atténuée par le relais effectué via un recours aux forces de l’imaginaire. Le deuil, de ses proches, mais plus communément de son innocence, est au cœur d’une histoire où il s’agit, ici très classiquement, de faire ses relatifs adieux au monstre servant d’objet transitionnel pour des affections perdues. Lowery joue de thèmes et d’images classiques, en embrassant leur charge émotive au présent, plutôt qu’en les mythifiant d’une manière abusivement déférente (nulle idolâtrie pour les productions Amblin détectable ici, c’est peut-être en ce moment la plus rassurante nouvelle). Comme la petite fille des Amants du Texas expérimentait l’apparition d’une éventuelle figure paternelle, alors que son père battait loin d’elle la campagne en fugitif, Pete vit les premières difficultés d’intégrer une famille adoptive, le conflit de loyauté se trouvant symbolisé par l’exil qui lui est imposé de la grotte d’un dragon bienveillant. Ce tiraillement affectif (que vivent chez lui tant les grands que les petits, les amants qu’une progéniture) est une obsession secrète de David Lowery.

Les meilleurs moments du film sont pour leur majeure part de longues plages silencieuses, qualité opportune pour qui le voit en compagnie d’enfants (donc en devant apriori subir une version française). De fait, certains personnages paraissent « sous-écrits », les échanges dialogués rarement intéressants au-delà de leur fonctionnalité en termes d’intrigue. Si les adultes se révèlent parfois à l’étroit dans des rôles rigoureusement assignés (Bryce Dallas Howard en garde-forestière sceptique et affectueuse, Robert Redford en grand-père gardant pour lui une expérience merveilleuse, Isiah Whitlock Jr. en shérif occasionnellement dépassé, Karl Urban et Wes Bentley responsables de la découpe des troncs dans la région), les deux vedettes (Oakes Fegley, Oona Laurence) frappent par un naturel non-histrion, une simplicité de jeu à l’opposé des normes supposément mignonnes souvent imposées aux comédiens de cet âge. Leur aventure possiblement embarrassante devient dès lors une envolée modeste, appuyée par la calme évidence qu’ils mettent à interagir avec une créature digitale.

C’est cette évidence mélancolique (contraire à une conception dominante de ce que souhaite voir un jeune public en postulant de sa part la stupidité… comme dans ces films où derrière chaque scène supposée amusante apparaît semi-tapi un scénariste se faisant une idée parfaitement condescendante du divertissement pour marmots) qui fait le charme, somme toute assez sérieux, de l’œuvre. Elle procède au cinéma de la différence qu’on retrouverait dans la vie entre parler, sans changer son ton de voix, tout au plus en simplifiant légèrement la syntaxe, à un interlocuteur en bas âge, par opposition au flagrant mépris (finalement plus offensant pour celui qui en fait preuve que pour celui à qui il s’adresse) consistant à partir dans les aigus et abrutir son lexique devant celui-ci. De son expérience de monteur, Lowery a acquis un langage cinématographique, discret et mélodieux, qu’il n’aliène en rien pour s’adresser à ce public. Tout cela exposé, ne reste que ce qu’il aurait fallu préciser pour commencer : un film comportant une reprise de Karen Dalton par St.Vincent (dont on connaît par l’un de ses premiers albums la fascination pour l’univers Disney) ne saurait, fondamentalement, être mauvais.

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(1) Des informations depuis : le script a été ré-écrit par Tom McCarthy (le génie derrière Spotlight) et sera réalisé par Marc Forster (commentaire nécessaire?). Ce n’est pas le seul projet sur lequel la firme aux grandes oreilles fait récemment machine arrière. 02.07.2017

 

PETER ET ELLIOTT LE DRAGON
Réalisé par David Lowery
Avec Oakes Fegley, Oona Laurence, Bryce Dallas Howard, Robert Redford
Sortie le 17 août 2016

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