Sausage Party : ni dieu ni maître
Quand bien même Sausage Party peine à trouver un rythme convaincant, son programme de démolition des problématiques américaines est des plus réjouissants.
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Quand bien même Sausage Party peine à trouver un rythme convaincant, son programme de démolition des problématiques américaines est des plus réjouissants.
Frank, une saucisse à hot-dog vendue en pack, va se retrouver embarqué dans une aventure durant laquelle il découvrira la réalité qui l’attend lui, ainsi que tous ses voisins de rayons de supermarché. Une réalité où l’humain n’est pas le Dieu tout puissant qu’ils vénèrent, mais plutôt une machine à tuer totalement indifférente. Il se mettra en route pour avertir ses amis et Brenda, sa promise (un pain à hot-dogs), du danger qui les attend avant de s’en aller combattre les faux dieux.
Derrière cette histoire de rébellion, le trio Seth Rogen, Jonah Hill et Evan Goldberg. De retour après plusieurs collaborations, de Superbad à la récente série Preacher en passant par l’apocalyptique This is the End, ils signent ici un film dans la droite lignée de leurs productions précédentes. Habitués des comédies grasses, où la vulgarité est de mise et l’usage de stupéfiants récurrent, les 3 auteurs ne changent pas leur fusil d’épaule. Non contents de continuer dans la même veine, ils vont jusqu’à signer le premier film d’animation de synthèse classé R aux USA (ce qui équivaut à une interdiction aux moins de 17 ans non accompagnés).
Sausage Party brasse large. Son aspect le plus évident et le plus direct est sans conteste la parodie des productions Pixar. Impossible de ne pas penser à Toy Story et à ses jouets en quête de vérité, qui se retrouvent dans des courses contre la montre, à vouloir retourner dans la chambre à Andy (le gamin qui les possède) ou pour sauver l’un des leurs. Ici, c’est de la nourriture de supermarché – des saucisses, des pains à hot-dogs, un bagel et autres – éjectée hors d’un caddie, qui va devoir retrouver le chemin de son rayon et découvrir la vérité sur son existence.
Non content de taper sur la tête à Pixar, le film vise plus large en parodiant les chansons des dessins animés Disney. Et l’équipe ne fait pas les choses à moitié, puisqu’ils sont allés jusqu’à embaucher Alan Menken, célèbre compositeur des bandes-originales de films tels que La Belle et la Bête, Aladdin ou La Petite Sirène. Celui-ci signe évidemment la chanson titre du film dans son style reconnaissable entre milles, chanson vite pervertie par les paroles démentes qui louent la toute-puissance des dieux qui s’apprêtent à emporter les petits êtres de nourriture dans le Grand Au-Delà (The Great Beyond dans le film).
Si le film, emmené par deux vétérans de l’animation de synthèse, ne brille pas particulièrement par ses qualités cinématographiques et son animation assez peu intéressante (petit budget oblige), il se démarque en revanche par sa liberté de ton, ses excès de langage et surtout sa volonté féroce de rentrer dans le lard des institutions de l’Amérique d’aujourd’hui. Une volonté qui pourrait même faire de lui l’un des premiers films de l’ère Trump. Car sous couvert de blagues salaces, et 90 minutes durant, Sausage Party va entreprendre une démolition systématique des grandes croyances américaines. L’omnipotence d’un Dieu dans le quotidien d’une population, qui ne peut s’imaginer exister sans cette divinité, est ridiculisée dès les premières minutes du film, où les protagonistes rythment leurs journées dans l’espérance d’un au-delà fantasmé. Plus tard, les héros feront la connaissance d’une galette de farine d’origine arabe appelée Lavash, qui s’exclamera sur la destinée glorieuse qui l’attend. Une vision de paradis où l’huile d’olive vierge coulera à flot sur son petit corps spongieux. L’analogie est évidente. Mais plutôt que de se contenter de tourner en dérision des croyances religieuses, Sausage Party va alors dévoiler un pan supplémentaire de son récit, le twist – que nous ne révélerons pas –, basculant ainsi dans un nihilisme total. La quête de Frank la Saucisse et de ses amis ne sera plus celle d’une vérité à faire éclater, mais celle de l’annihilation d’un faux dieu afin de vivre libre. La course contre la montre prendra alors, dans son dernier tiers, la direction d’un jeu de massacre ultra violent assez jubilatoire.
En chemin, le film de Rogen et de ses compères tirera aussi à boulets rouges sur le communautarisme, sur le déclassement des minorités (le rayon des spécialités mexicaines) et se permettra même de faire la critique de la crise incessante entre les Juifs et le monde musulman, à travers le prisme des personnages de Sammy le bagel (Edward Norton dans une parodie superbe de Woody Allen) et Lavash, la galette de farine intégriste. Le supermarché comme représentation géopolitique du monde et de ses différents conflits permet de fait au film de jouer des clichés propres aux origines des différents aliments. Que ce soit les saucisses de Francfort dépeintes comme des nazis qui veulent s’en prendre aux « juices », ou Firewater, une bouteille d’alcool impérissable représentant un Indien d’Amérique qui en sait beaucoup plus que tout le monde, tout est sujet au détournement, qu’il soit comique ou critique.
Quand bien même Sausage Party peine à trouver un rythme convaincant et se prend un peu les pieds dans le tapis à vouloir à tout prix imposer un antagoniste qui ne sert à rien (The Douche, interprété par le rarement drôle Nick Kroll), son programme de démolition des problématiques américaines est des plus réjouissants. Au lieu de conclure cette histoire d’émancipation sur une note de morale mal venue, Sausage Party révèle le sens de son titre dans la scène finale : une vision démente de jouissance totale et sans tabous, dont nous ne saurions vous dévoiler le contenu. Scène qui prend le parti d’annihiler toutes les barrières entres les personnages au profit du plaisir absolu. Un ultime bras d’honneur à une planète toute entière, qui aurait meilleure temps, selon le film, d’éradiquer tous ses dieux une bonne fois pour toute et de s’adonner aux plaisirs de la chair. Une vision du monde peut-être simpliste, mais qui réjouit par sa naïveté épicurienne.