mv5bmtq2otmymtm4mf5bml5banbnxkftztgwmze4mjq1nze-_v1_sy1000_cr006661000_al_De toutes les vertus sociales, la sincérité compte certainement parmi les plus surestimées. Caveh Zahedi devrait en savoir quelque chose, lui qui n’est pas passé loin de mettre sur la sellette un poste professoral, a porté quelques coups supplémentaires à un mariage qui n’en avait visiblement pas besoin, a questionné son propre contrat pour une série en en révélant les clauses de confidentialité, pour le plaisir voyeuriste (et il se peut malintentionné) d’un groupe restreint de spectateurs assidus. Pour son malheur, qu’il a par ailleurs bien cherché, et notre plaisir à peine embarrassé, tout cela n’est pas tout à fait réglé. Tant qu’à faire (ça ne coûte rien à côté), un minimum de transparence : on a vu et aimé The Show About The Show durant cet automne, après une découverte semi-hasardeuse (passage sur sa page imdb au motif « que devient donc Caveh Zahedi ? »). On songeait à écrire dessus (le méta s’y prête), puis, mi-flemme, mi-soupçon que ça n’intéressera personne, on a laissé ça de côté. Jusqu’à ce qu’un éloge par une personnalité appréciée, mi-argument d’autorité, mi-confirmation par formulations justes, nous redonne l’envie d’en faire la promo… avec désormais le risque de verser dans une vague paraphrase. Au pire, à vous de juger (sincèrement, on ne croit pas). C’est un peu là le tort de la sincérité : laisser l’autre juge de ce qu’il y aurait à se reprocher – tout en se protégeant au motif d’avoir soi-même mis en évidence la faute éventuellement relevable. Il y a une frontière parfois ténue entre honnêteté ou hypocrisie. Cela aussi, Zahedi a dû le découvrir.


Caveh Zahedi et Amanda Field envisagent d’emménager avec leur famille dans un nouvel espace. Il voudrait pour cela, entre autres, gagner plus qu’actuellement (courant 2015). Le cinéma ne rapporte plus rien, dit-il, c’est l’univers des séries la mine d’or. Tout le monde a la sienne, pourquoi pas lui ? Mais Zahedi n’est pas tout le monde et sa notoriété a ses limites : ce n’est pas une grande chaîne avec laquelle il négocie un contrat, mais BRIC TV, canal de Brooklyn, faisant son miel du cool et de la diversité, tout en demeurant soucieuse de ne pas trop froisser. Problème à l’horizon : si Zahedi n’est pas exactement le parangon du cool, il a en revanche une capacité d’offenser à peu près égale à celle de respirer. À croire que moins il essaye (à moins qu’il regrette d’avoir évité de justesse une fatwa ?), plus il y parvient. Reste à trouver sur quoi portera sa série. En quête d’idées, il tire au bong. Il en pitche ensuite plusieurs, à commencer par un décalque paresseux de Fishing With John (Tripping With Caveh), ou une série de témoignages sur une expérience sexuelle personnelle de la part de semi-célébrités (à ce stade, Alex Karpovsky serait de la partie). Sa proposition finale, que son interlocuteur à BRIC TV avalise non sans perplexité, se présente comme un show autoréférentiel, où chaque épisode porterait sur le tournage du précédent, dans des conditions de transparences proches de la complétude – tout ce qui aura été négocié, vécu, dit est susceptible de se voir rejoué (ou par les intéressés, ou par des comédiens de substitution). Le pilote portera précisément sur ces négociations. À ce postulat, se mêle l’idée précédente de reconstituer des moments d’intimité, l’un de Karpovsky, le suivant d’Eleonore Hendricks (partenaire choisie du premier).

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Les « shows sur un show » ont une tendance naturelle à virer au pugilat (exemple, Project Greenlight), de par les accords supposés tacites, les coups d’humeur entendus comme temporaires et ne portant pas à conséquence, soudainement projetés, discutés, à l’écran. Ils font une affaire de ce qui n’en est ordinairement pas une. De plus, l’intérêt du spectacle méta va partiellement à l’encontre de celui étudié : plus le second va mal, mieux se porte le premier (le public n’aurait probablement que faire d’un tournage se déroulant à merveille). Ils se créent donc souvent leurs propres complications. Débattre des conditions entourant la création d’une série, les difficultés rencontrées ne serait-ce que pour l’avaliser, ne pouvait se faire avec une telle franchise que pour une petite chaîne. Netflix peut fournir l’équivalent de cartes blanches à des talents bien choisis. Ce dont la compagnie ne fera jamais preuve en revanche serait de la moindre transparence – sur les études de marché présidant à ses choix, les conditions de ses contrats concernant ce qui peut – ou non – y être représenté, ses critères pour reconduire – ou non – une collaboration… Tourner un épisode honnête sur les réunions menant en son sein à l’obtention de sa propre série relèverait d’un domaine voisin de la science-fiction.

Il y aurait un pharisaïsme à imposer à ses collaborateurs un régime de transparence sans s’y soumettre soi-même. Zahedi ne s’épargne pas : tire-t-il sur un joint avec des élèves lors d’un tournage ou paye-t-il pour la cocaïne d’un comédien instable ? Ces évènements sont inclus dans le récit, au prix de démêlées légales ne se faisant pas attendre. Pour ne rien faciliter, il inclut à ce tournage son épouse et ses deux enfants (seule sa fille apparaît substantiellement, ce qui paraît indiquer qu’il leur a demandé leur accord pour les plans pris sur le vif… reste à se demander ce que vaut celui d’une personne en bas âge), brouillant, comme le reste de son œuvre, la frontière du privé et du public. Ça ne va pas très bien chez lui, il en pince pour Eleonore Hendricks. Quand celle-ci lui envoie un étrange « I love you » en fin de texto (incident qui rappelle un essai de Jonathan Franzen abordant, parmi d’autres tracasseries quotidiennes, ce fléau des formules creuses), il consacre un segment entier à avouer son attraction pour elle, les fantasmes qu’il entretient de lâcher pour celle-ci son épouse (non sans offrir à celle qu’il rejette un diagnostic maison, particulièrement mal placé, de syndrome d’abandon). Pousser la transparence jusqu’à révéler ce qui ne relève que de l’intériorité (il n’a jamais vraiment été question pour lui d’agir sur la base de ces rêveries) est cohérent avec sa recherche d’une honnêteté la plus radicale possible, sa volonté de pousser la vérité jusqu’aux limites du supportable. De fait, la mise en avant de ce qu’il garderait normalement pour lui finit par faire beaucoup de mal. Difficile de ne pas ressentir d’embarras quand il montre le segment en question (qui plus est en filmant ce moment) à la principale intéressée… au prix, assez logiquement, de reproches lui tombant ensuite dessus de tous côtés.

C’est jusqu’à un certain point vertueux : personne n’aime beaucoup la vérité, ceux qui en font trop preuve paient, ils ont pour eux leur probité. Le problème est qu’il n’est pas question ici que de simple probité (faire advenir le vrai, sans se préoccuper en premier lieu de comment il sera ressenti), mais d’enjeux relationnels, possiblement de pouvoir (Hendricks n’est pas qu’une amie : elle est en quelque sorte son employée). À jouer à l’honnêteté à tous prix, le cinéaste pourrait dissimuler un motif moins glorieux, plutôt malhonnête même, celui d’une manipulation par la sincérité revendiquée. C’était en partie le souci d’un film précédent, I Am a Sex Addict, où Zahedi filmait sa prise de conscience qu’être « honnête » face à une compagne par rapport à ses envies de tromperie, sa masturbation compulsive, ne changeait rien à l’affaire, ne faisait à vrai dire que l’empirer. Il n’en était pas moins un type infidèle (doublé d’un masturbateur compulsif). L’aveu ne servait qu’à se cautionner, au prétexte d’en avoir « au moins l’honnêteté ». Dire la vérité ne suffit pas à se dédouaner. Il est juste, dans une large mesure, de faire passer le souci des faits avant celui de la manière dont ils seront reçus. Ce peut être, dans des cas plus limites, le trait typique, sinon d’un sociopathe, au moins d’un individu inutilement blessant. La sincérité présume un rapport de vérité à soi-même, une capacité à rendre compte de son ressenti le plus honnêtement possible. À quoi servirait-elle à quelqu’un qui n’aurait qu’une connaissance dévoyée de lui-même, une compréhension de surface, non pas en profondeur, de ses motivations et ressentis réels ? (Les « comiques névrosés » ont dès lors tort quand ils cherchent trop à s’attirer de la sympathie en arguant de leur bonne volonté. Raison pour laquelle on préférera toujours les Woody Allen où il se rend le moins plaisant, Maris et Femmes en tête de liste).

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The Show About The Show agit comme un révélateur de ce qu’il paraît approprié, ou non, et jusqu’à quel point, de révéler. Il est libérateur de voir la réaction de ses deux supérieures lorsqu’il leur explique que tout ce qu’ils viennent de se dire en réunion privée (qui ne les incrimine par ailleurs pas spécialement) sera mentionné dans son prochain épisode. Voir l’envers de « scènes chaudes » questionne la manière dont on les reçoit habituellement, prises qu’elles sont entre Charybde, courant, de la conventionalité et Scylla, plus rare, de l’intimité trop forte pour être projetée sans risques à l’écran (la fin de The Brown Bunny est en elle-même irréprochable – elle n’en a pas moins sévèrement coûté à Chloë Sevigny). Les complications que toutes ces tentatives de transparence ne manquent de soulever sont d’autant plus frappantes que le metteur en scène travaille dans un environnement de prime abord particulièrement ouvert et tolérant (à vrai dire…). La logique qui sous-tend ces reconstitutions, mises en abîme, ré-interrogations explicites, ferait plus grincer des dents appliquée à un mariage. Zahedi fait-il en public sa thérapie de couple ou se ménage-t-il par sa série une porte de sortie ?

Exercer un métier honnête implique dans une majorité de cas la séparation traditionnelle et nécessaire entre sa fonction publique (où chacun est à sa manière redevable à la communauté) et sa vie privée (où les comptes ne se rendent, sauf exception, qu’à soi-même et à ses proches). Distinction déjà compliquée : des abus ou négligences peuvent se commettre dans la sphère intime ; si je n’ai pas à me préoccuper des déviances de mon postier, quid d’une figure politique ? etc. Reste que la notion de tenir les gens responsables quant aux questions publiques et non ce qui « ne regarde personne » est une composante élémentaire de la vie en société. Croire à un débat public revient, indirectement, à admettre une certaine privauté – et vice-versa. Comme le pointe Franzen, regretter la disparition de la privauté ne revient pas tant à se plaindre au motif qu’on voudrait soi-même garder quelque chose de caché que souffrir d’être envahi par la vie privée des autres, ne plus pouvoir éviter de savoir ce qu’on préférerait ne pas savoir à leur sujet (il n’est pas très grave qu’un metteur en scène fantasme sur son actrice, cela pose des problèmes qu’il considère honnête de lui en parler). Ici le problème est moins la dissimulation mise en péril que l’exposition volontaire. S’exposer volontairement, Zahedi en a, lui, fait son métier. Qu’est-ce qui dès lors distingue son geste du narcissisme étroit ? Ses vidéos d’un selfie ? Des têtes parlantes pullulant dans l’immensité auto-centrée du web ? Possiblement le prix de l’honnêteté, la capacité d’un autoportrait qui n’ait rien de superficiel ou de flatteur (on parle après tout du cinéaste ayant consacré un film entier à son obsession des prostituées). Le courage de son honnêteté se combinant élégamment avec son sens de l’ironie. Il n’est pas rare de rencontrer des personnages de fiction pris au piège d’un mariage, d’une vie de famille… il est moins fréquent de voir un mari, un père, admettre de lui-même à quel point il se sent piégé dans ceux-ci. Le problème étant que cet aveu piège en retour ses proches : ce qui devrait les regarder eux peut désormais être regardé par n’importe qui.

La confession justifie-t-elle toute forme d’exposition ? Il y a bien l’argument utilitaire : faire de hontes et d’anxiétés vécues comme privées, par le témoignage, une expérience publiquement transmissible … rendant moins seuls ceux et celles traversant des gênes et craintes analogues. On n’est toujours pas certain d’à quel point on approuve la démarche de Zahedi (face à l’industrie : très clairement / devant les siens : plus délicat). On se frotte pourtant d’ors et déjà les mains de le voir s’empêtrer dans ses déboires professionnels, juridiques et sentimentaux. Non pas pour s’en distancer avec supériorité, au contraire car ils sont par trop compréhensibles.

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Les cinq épisodes (à l’heure actuelle) de The Show About the Show sont visibles via youtube, à condition pour certains de posséder une connexion adulte.

THE SHOW ABOUT THE SHOW
Réalisé par Caveh Zahedi
Avec Caveh Zahedi, Amanda Field, Eleonore Hendricks, Dustin Guy Defa
Disponible sur YouTube

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