John Wick 2 : l’homme, le mythe, les bonnes intentions
John Wick rempile pour plus de violence esthétisée. Cette suite tient-elle les promesses formulées lors du premier volet ?
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John Wick rempile pour plus de violence esthétisée. Cette suite tient-elle les promesses formulées lors du premier volet ?
Forts du succès surprise de leur premier volet, les créateurs se cachant derrière John Wick, sorti en 2014, rempilent pour une suite qu’ils promettent plus nerveuse, plus brutale, plus jouissive. En bons amateurs d’action au cinéma, on ne pouvait qu’apprécier ce petit film de genre honnêtement fabriqué malgré ses nombreux défauts. L’approche humble du projet, son exécution appliquée quoique mécanique, et le capital sympathie d’un Keanu Reeves monolithique multipliant les tirs en pleine tête dans une augmentation presque absurde de l’efficience assassine, rendaient l’œuvre agréable à suivre. Bien sûr, le film restait un produit de série B conscient de son statut et n’essayait d’ailleurs pas tellement de le dépasser. Ceux qui avaient crié à la renaissance du film d’action du XXIe siècle avaient vraisemblablement oublié que des réalisateurs comme Takeshi Miike, Ryoo Seung-wan, Lee Jung-beom, Wilson Yip, Ronny Yu, Guillermo del Toro, Brad Bird, Sylvester Stallone et les Wachowski (puis peu après, George Miller, évidemment) avaient consacré une part importante sinon écrasante de leur œuvre récente à élever l’action cinématographique à un niveau que le 7e art n’avait jamais atteint. Alors où Chad Stahelski, désormais seul à la réalisation, pouvait-il bien emmener son personnage et son univers pour se surpasser ?
John Wick: Chapter 2 s’ouvre avec un premier plan visant la façade d’un gratte-ciel new-yorkais sur lequel est projeté un film muet. On y voit rapidement s’y dérouler une cascade, suivie immédiatement par une scène similaire dans la diégèse du film. Les intentions du réalisateur pourraient difficilement être articulées avec moins du subtilité : le métrage qui vient de démarrer ambitionne d’épouser une forme qui permettrait au spectateur de le regarder comme un film muet, c’est-à-dire sur les seuls mérites de ses images et des exploits qui y sont gravés. D’autres indices disséminés par le film rejoignent ce programme : de longs passages sont dénués de dialogues, d’autres sont remplis de dialogues purement décoratifs (les scènes d’armement et de préparation du terrain), et le garde du corps en chef androgyne de l’antagoniste est muet comme une carpe. La filiation volontaire au cinéma muet se retrouve jusque dans le marketing du film, à travers cette affiche mettant en scène Wick encerclé par une ribambelle d’armes à feu, et faisant écho à un poster similaire conçu pour Two-Gun Gussie d’Harold Lloyd, sorti en 1918. Il s’agit là d’une extension de la promesse formulée avec le long-métrage initial : la série s’inscrit dans une tradition de films d’action « à l’ancienne », où les cascades sont réelles, où les acteurs ne sont pas grossièrement remplacés par des doublures lors des plans larges, et où l’action n’est pas véhiculée à travers une succession d’effets Koulechov esquivant la représentation directe de l’acte physique (comme le font souvent les films américains depuis de nombreuses décennies, d’où le démentiel succès de John Wick auprès de certains amateurs du genre).
Cet aspect de l’entreprise est toutefois très partiellement réussi, l’équipe peinant à maintenir l’attrait divertissant de ses images sur la longue durée. Le prologue, qui boucle narrativement l’arc entamé dans le premier volet, est plutôt amusant car il alterne de nombreuses situations de combat (meurtres furtifs, course-poursuite en voiture, « Car Fu », puis affrontements à mains nues). Aucun combat subséquent entre l’ouverture et le grand final ne présentera autant de variété, malgré quelques touches d’humour injectées par-ci par-là. La séquence de début représente parfaitement ce que la franchise John Wick a à offrir dans ses meilleurs moments parce qu’elle s’impose à la fois comme une belle réussite logistique et une scène d’action raisonnablement bien montée. Stahelski ne parvient toutefois jamais à transcender ses aptitudes artisanales, car sa mise en images n’a rien d’organique. Les plans, qui oscillent entre banalité et fautes de cadrage (découlant tantôt d’échelles mal adaptées, souvent trop proches des personnages, tantôt de tentatives de plongées ou contre-plongées malhabiles), s’enchaînent mollement : l’action n’est pas particulièrement mise en valeur à travers une forme percutante (contraster avec Kingsman de Matthew Vaughn pour un exemple américain récent), les capacités martiales des combattants sont limitées (voir la violence sèche et précise dans The Berlin File et Veteran), et les fusillades se révèlent très vite limitées et répétitives.
Le cinéma muet ne constitue pas l’unique influence pesant lourdement sur le travail de l’ancien cascadeur. On le savait déjà prompt à raviver des images directement exhumées d’autres films (John Wick en contre-plongée dans la boîte de nuit passant de la musique électronique rappelant bien sûr l’ouverture de The Replacement Killers d’Antoine Fuqua, la bataille finale à l’imagerie diluvienne tirée des Sept Samouraïs et de The Matrix Revolutions, l’utilisation de l’Ode à la Joie en appel à Die Hard ou peut-être A Clockwork Orange, etc.), sans compter les nombreux lieux communs des films de gangster réutilisés sans recul. Cette fois encore, Stahelski parsème son métrage de références plus ou moins appuyées : le combat dans le métro entre Wick et Cassian rappelle inévitablement The Raid 2, le plan de John, qui dépose des armes tout au long de son échappatoire avant de commencer sa mission emprunte à A Better Tomorrow, et le grand final dans la salle des miroirs fait expressément référence à Enter The Dragon (mais pâlit involontairement face à la fusillade de conclusion de The Longest Nite, filmée par Johnnie To).
En termes de chorégraphies, une fois les pièces de la nouvelle intrigue en place, le réalisateur ne parvient jamais à se renouveler avec assez d’inventivité pour éveiller l’attention du spectateur. Les deux derniers tiers enchaînent donc les fusillades qui se ressemblent toutes beaucoup trop. Stahelski utilise une idée amusante et ludique lors du final (Wick, doté seulement de sept balles au début de l’affrontement, doit constamment récupérer les armes de ses victimes pour continuer sa progression), mais celle-ci s’essouffle relativement vite. La succession incessante de courses, de combats au couteau ou au stylo, et de mitrailles finit par plonger dans un état d’engourdissement dont il est difficile de sortir. Cela est dû au fait que les enjeux traditionnels du film de vengeance sont consciemment remplacés par des raisons impalpables. L’absurdité du concept de départ, tournant autour du meurtre du chien, marchait encore pour la rigolade, mais cette suite s’appuie uniquement sur des règles criminelles ne véhiculant aucune portée émotionnelle. De ce fait, le film tend inévitablement vers l’abstraction à travers l’action. Les motivations du protagoniste sont artificielles, ce qui s’oppose diamétralement aux personnages peuplant les films d’heroic bloodshed, un genre dont Stahelski se réclame ouvertement. La différence fondamentale (au-delà du fait anecdotique que Wick doive recharger ses armes de manière méticuleuse et fréquente) se trouve dans le fait que les personnages de John Woo portaient, représentaient et défendaient toujours des idéaux héroïques ou fraternels emprunts d’un puissant romantisme.
Ce glissement du héros d’action éminemment attachant à la pure machine à tuer stoïque, qui continue de massacrer à l’infini alors même que sa vengeance a été achevée, est renforcé par les partis pris esthétiques du film. Beaucoup l’auront remarqué, la diégèse de John Wick s’appuie sur ce que l’on appelle une mythologie constituée d’éléments la singularisant (les pièces d’or, les hôtels Continental, les règles strictes structurant l’intrigue du deuxième volet, l’organisation hiérarchique des familles mafieuses, le bureau occupé par d’innombrables femmes tatouées et habillées comme dans les années 1950, utilisant des équipements obsolètes pour diffuser des mises à prix, etc.). Or ce chapitre 2 déborde à l’excès d’un symbolisme mythologico-religieux qu’il est difficile de manquer. Ainsi, le garde du corps muet que l’on a déjà évoqué s’appelle Arès, le concierge de l’hôtel se nomme Charon, le repaire du grand méchant Santino D’Antonio est un musée rempli de statues antiques gréco-romaines, le manager du Continental se tient devant une immense statue de Durga, la déesse hindou de la guerre, lorsqu’il annonce au mafioso que sa trahison lui apportera la mort, et les symboles monothéistes abondent (la banque juive dans laquelle Wick va chercher son équipement de secours, la cathédrale gothique en arrière-plan de l’hôtel, plusieurs tableaux chez le personnage campé par Laurence Fishburne, les tatouages de John qui sont à nouveau montrés et pourraient porter une lourde signification dans le rapport entre symboliques païennes et chrétiennes, etc.).
Parfois, le réalisateur arrive à manifester cette idée dans ses compositions, comme lorsque la mafieuse italienne que John est chargé d’éliminer meurt nue et ensanglantée dans sa baignoire inspirée des thermes romains, peignant de force un somptueux tableau relatant la mort d’une déesse. C’est aussi là que l’on comprend que l’univers de John Wick n’est pas le nôtre : il est peuplé de divinités souveraines et de guerriers implacables. Le seul humain normal à qui un nom et un visage sont gracieusement attribués est la défunte femme du protagoniste, morte alors même que débute le premier film. Tous les autres personnages appartiennent au monde criminel (« underworld » en anglais, soit le monde d’en-dessous, expression qui peut aussi désigner les enfers), et la longue fusillade dans les catacombes romaines, ténébreuses et embrumées, confirme que ces individus ne sont que des ombres, des silhouettes navigant des passages sous-terrains inaccessibles aux êtres banals. C’est pourquoi ils peuvent se tirer dessus en plein concert et trouer les parois du métro new-yorkais sans que les passants ne remarquent quoi que ce soit. Wick et ses adversaires sont comme des fantômes.
John représente donc un archétype héroïque séculaire en raison, non d’une quelconque bonne action, mais du monde mythologisé dans lequel il vit et de ses actes passés, rapportés indirectement par les autres personnages (son accomplissement d’une « tâche impossible » lui ayant permis de s’extirper de l’enfer criminel). La stratégie de Stahelski, qui évacue toute considération romantique, pourrait alors théoriquement aboutir : au début du film, Wick et D’Antonio discutent devant une immense peinture de guerre pré-industrielle, qui fait office de miroir à l’aventure que le réalisateur s’apprête lui-même à mettre en scène. Alors si les exploits militaires d’antan ont été considérés comme assez exceptionnels pour être immortalisés sur toile, pourquoi la folie meurtrière froide et désincarnée de John Wick ne pourrait-elle pas elle aussi être inscrite dans la postérité à travers sa captation cinématographique ? C’est vers cette interrogation que tend l’abstraction substantielle absolue de la franchise John Wick : la capacité à exterminer avec élégance un nombre vertigineux d’adversaires suffit-elle à justifier qu’une telle histoire trouve sa place parmi les grandes batailles épiques romancées dans les musées ? Chad Stahelski, bien sûr, nous affirme que oui. On gardera nos immenses réserves, car si les idées sont indéniablement là, la rengaine assommante qui leur sert d’exécution empêche invariablement cette épopée fantasmée d’échapper à la trivialité inhérente aux séries B.
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