NIFFF 2017 – rencontre avec Eric Valette
Malgré plus de dix-huit ans de carrière et cinq longs-métrages à son actif (parmi lesquels Une affaire d’état et La Proie), le réalisateur et scénariste Éric Valette reste une figure […]
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Malgré plus de dix-huit ans de carrière et cinq longs-métrages à son actif (parmi lesquels Une affaire d’état et La Proie), le réalisateur et scénariste Éric Valette reste une figure […]
Malgré plus de dix-huit ans de carrière et cinq longs-métrages à son actif (parmi lesquels Une affaire d’état et La Proie), le réalisateur et scénariste Éric Valette reste une figure relativement méconnue du paysage cinématographique hexagonal. Membre du Jury International de cette édition 2017 du NIFFF, le metteur en scène toulousain est également venu présenter sa dernière réalisation en date Le Serpent aux mille coupures, programmée dans la section Films of the Third Kind. Avec cette adaptation du roman noir éponyme de l’auteur français DOA, Valette signe un polar rural sec et efficace aux accents westerniens qui s’impose comme son œuvre la plus aboutie. Rencontre avec un artisan (comme il aime se définir) qui revient sur son début de carrière, son évolution en tant que metteur en scène et qui aborde avec sincérité le cinéma de genre, Takashi Miike et le fonctionnement de l’industrie cinématographique tricolore.
Avant d’aboutir à votre premier long-métrage Maléfique, vous avez réalisé plusieurs clips et des sketches pour l’émission de télévision « Les Guignols » sur Canal+. Comment vous êtes-vous construit en tant que metteur en scène ?
Pour autant que je sache, j’ai toujours voulu faire de la fiction. La publicité et les clips ont été des gagne-pains. Ce qui m’importait c’était, au travers de l’argent gagné, de pouvoir financer des courts-métrages. Mes cours m’ont ensuite permis de voyager dans divers festivals. Au bout d’un moment, des producteurs de longs-métrages finissent par vous repérer. Ça a été un peu long pour moi car je ne suis pas issu du milieu du cinéma ou d’un autre milieu créatif. En France, ça passe par le court-métrage ! Je ne sais pas si aujourd’hui c’est toujours le cas car les choses ont beaucoup changé. Mais à l’époque, ça passait par le court-métrage.
Vous préférez vous définir comme artisan plutôt que cinéaste, pourquoi ?
Oui, car l’artisan est quelqu’un qui est dans une fabrication consciencieuse. Quelqu’un qui développe un savoir-faire à l’image d’un cordonnier (rire)… J’estime que je développe un savoir-faire autour de la narration d’une histoire avec des images et du son. J’aime bien ce terme humble d’artisan car celui de cinéaste est appliqué à tort et à travers. On qualifie ainsi de cinéaste une bourgeoise à qui son producteur de mari a offert une comédie romantique tournée dans le seizième arrondissement. Je ne veux pas être qualifié de cinéaste avec ces gens-là ! J’aime bien ce terme d’artisan car il correspond à de très bons réalisateurs des années 1950 et 1960 qui travaillaient pour les studios mais qui avaient néanmoins une forte personnalité, à l’image de Don Siegel ou des gens moins connus comme Ted Post et Ralph Nelson.
Cette vision vous rapproche également de certains metteurs en scène européens des années 1970, à l’image d’Henry Verneuil ou des réalisateurs de l’industrie italienne, qui s’attaquaient à des genres cinématographiques très différents.
J’ai toujours baigné dans le cinéma de genre et je ne vais pas me mettre à faire autre chose ! Pour moi, le genre est un terme très générique et trop vague qui se résume, dans l’esprit de geek, au cinéma fantastique et à l’horreur. Mais ce n’est pas le cas ! Pour moi, c’est le western, c’est le film policier, c’est le film d’aventure, c’est le film de guerre et également le fantastique et l’horreur. J’aime tout cela sans hiérarchie spécifique. Finalement, ce sont les films que j’aime et non pas les genres. S’il y a une quelconque hiérarchie, elle se fait par les films et non pas par des catégories.
Comment vous situez-vous par rapport à l’industrie cinématographique française contemporaine qui, si l’on vulgarise son fonctionnement, se partage entre des œuvres auteurisantes et des comédies populaires formatées ? Quelle est votre place dans un tel système ?
Je suis un peu au milieu. Dans un système où la classe moyenne tend à disparaître, et pas seulement dans le cinéma, j’essaye d’incarner cette classe qui résiste et ne se limite pas à du cinéma de genre « industriel » sous une forme Europacorp par exemple. Je n’ai vraiment rien contre eux et s’il se trouvait que je puisse faire un film avec eux pour une raison X ou Y je le ferais ! Les films que j’ai vraiment envie de défendre se situent entre ces produits extrêmement calibrés et des démarches auteuristes comme vous le dites. C’est à cette frontière que j’essaye de me définir, c’est-à-dire que chaque film à sa propre identité mais je suis toujours moi dans chaque film ! Il y a donc forcément une démarche d’auteur mais à l’arrivée ce sont des films qui sont plus forts et c’est agréable.
Quinze ans en arrière, vous débutiez avec Maléfique, une proposition de cinéma fantastique française solide qui a notamment remporté le prix du Jury au festival de Gérardmer. Pouvez-vous nous parler de cette première expérience et la contextualiser ?
Maléfique a été fait à une époque où Canal+ essayait de développer des petits films de genre destinés à être diffusés dans leur programmation du vendredi ou du samedi soir dans une case un peu spécifique. Ces productions ne devaient pas coûter cher : environ un million d’euros (même si à l’époque c’était encore le franc). Ces films étaient produits par la société Fidélité Productions et faisaient l’objet d’une sortie salle modeste. Maléfique faisait partie de cette série de films qui n’avaient aucun lien entre eux sauf leurs conditions de production très limitées et contraignantes. On m’avait proposé plusieurs sujets et c’est finalement ce pitch de trois pages écrit par François Cognard que j’ai choisi. Depuis, François Cognard a fait son chemin, il est notamment le producteur du duo Hélène Cattet et Bruno Forzani. Avec Alexandre Charlot et Franck Magnier, qui étaient les scénaristes des Guignols sur Canal+ à l’époque, on a développé ce projet pour en faire un huis clos un peu lovecraftien, une sorte d’apocalypse dans les toilettes !
Après Maléfique, vous êtes parti aux États-Unis où vous avez notamment réalisé un remake du thriller La Mort en ligne de Takashi Miike qui est l’invité de cette édition du NIFFF. Quel rapport entretenez-vous avec son cinéma ?
J’adore le cinéma de Takashi Miike et j’adore le fait qu’il tourne autant. Je pense qu’il y a beaucoup de réalisateurs qui aimeraient en faire autant, ce qui n’est malheureusement pas mon cas car le système ne me le permet pas. En France, François Ozon est une exception, il a cette sorte de cadence admirable… je l’envie beaucoup ! J’aime la versatilité de Miike, le fait qu’il passe d’un genre à l’autre avec beaucoup d’aisance. Il est rigoureusement imprévisible, on ne sait jamais ce qui va se passer dans un de ses films. Il peut confronter et associer des genres complètement hétérogènes et à l’arrivée il y a quand même une constante : un vrai amour pour ses personnages. En regardant JoJo’s Bizarre Adventure: Diamond Is Unbreakable, je me disais qu’il arrive toujours, quel que soit le contexte, à mettre le spectateur en empathie avec ses personnages. Je trouve que c’est assez fort. Beaucoup de réalisateurs se sentent dans une position de démiurge, il y a ainsi une certaine forme de misanthropie ou de mépris pour les personnages, ce que je ne ressens pas du tout chez Miike. Certains de ses films, tournés en huit jours, peuvent paraître improbables et parfois un film de 2h30 mériterait d’en faire 1h45 mais il y a de sacrées bonnes œuvres dans la carrière de Miike, je suis donc un grand fan !
Pouvez-vous nous parler de votre version de One Missed Call, le remake de La Mort en ligne, qui reste inédite ? Vous aviez notamment apporté une touche plus européenne, plus giallesque qui a totalement été évincée du montage final ?
Ma version était très atmosphérique et assez lente avec un traitement plus adulte. Le studio voulait des jump scares mais je ne savais même pas ce que c’était à l’époque (rires) ! Ils ont ajouté beaucoup de choses dans le montage à coup d’effets numériques, ce qui ne correspondait pas à ma vision. One Missed Call était un film de consommation rapide comme de nombreuses autres productions de cette période. À l’époque, j’étais bloqué dans l’enfer du développement de projets en France et cela m’a permis de travailler aux États-Unis, ce qui était déjà quelque chose d’énorme.
Cette expérience américaine, avec un budget plus important, vous a permis d’évoluer en tant que metteur en scène en développant une méthodologie de travail différente, notamment avec l’utilisation de plusieurs caméras et un montage réalisé en parallèle du tournage.
Oui, c’est une méthodologie de travail très différente de celle que j’ai connue à mes débuts en France. L’utilisation de ces techniques dépend surtout de la taille de la production et des moyens déployés, ce que je n’avais pas sur Maléfique. Ce sont des techniques que j’ai développées mais qui ne sont donc pas spécifiques à l’industrie américaine. J’aurais très bien pu les appliquer à mes débuts en France, ce que j’ai d’ailleurs fait lorsque j’ai eu accès à des budgets plus importants.
Il y a une récurrence thématique qui imprègne votre cinéma : est-ce qu’à l’image de vos personnages principaux, vous vous sentez prisonnier ou en marge d’un système que vous essayez de fuir ?
Je pense avoir une admiration et une fascination certaine pour les personnages sociopathes et je pense même l’être un petit peu. Des personnages qui sont dans une certaine solitude et en marge d’un système ou d’une société dans lesquels ils ne se sentent pas totalement à l’aise ou qu’ils ne comprennent pas. C’est une thématique que je formalise mais je n’ai pas très envie d’y penser, j’ai plus envie que ça vienne naturellement ! C’est une lecture qui convient parfaitement, cette thématique est d’ailleurs également au centre de mon dernier film Le Serpent aux mille coupures.
Sur vos courts-métrages vous officiez en tant que scénariste ce qui n’a pas été le cas sur l’ensemble de vos longs, pourquoi ?
Personne n’a envie de travailler gratuitement sur des courts-métrages. J’étais donc le scénariste le moins cher. Nécessité fait loi sur le court-métrage ! J’estime qu’il y a des gens bien meilleurs que moi pour écrire des histoires. Après, j’estime ne pas être trop mauvais pour tordre ces histoires, les adapter ou encore les récrire donc, en général, j’ai toujours participé au scénario de mes longs. J’ai rarement été crédité et je ne l’ai jamais voulu dans la mesure où il y a des batailles de droits d’auteur en France et que les scénaristes sont très mal payés. Je n’ai pas envie de rentrer là-dedans. Par contre, je suis crédité pour l’adaptation du Serpent aux mille coupures.
Vous êtes l’un des membres du Jury International de cette édition du NIFFF. Quels sont pour vous les éléments et qualités essentiels d’une œuvre fantastique ?
Je dirais d’ouvrir des abîmes d’interrogations et d’anxiété pour le spectateur (rires)… et d’imaginaire également sous une forme divertissante. Je ne sais pas si c’est très clair… (rires).
Vous présentez également dans la section Films of the Third Kind, Le Serpent aux mille coupures, votre dernier long-métrage qui n’a pas encore été distribué dans les salles obscures helvétiques.
C’est un western contemporain post-punk et existentialiste. C’est probablement mon long-métrage le plus personnel avec Une affaire d’état. Je suis très content du film parce qu’il a toutes les zones de gris, dans ses personnages et dans sa narration, que j’aime voir dans une production. Je ne sais pas si Le Serpent aux mille coupures est réussi mais on propose au spectateur un récit adulte, pas compliqué mais complexe et qui peut s’avérer également dérangeant. Mon film rejoint un genre de polar très peu fréquenté par le cinéma français qui est le polar rural. En réaliser un dans les années 2010 était fort intéressant.
Pour conclure, pouvez-vous nous parler de Dark Guns, votre projet de western avorté ?
C’est un projet effectivement avorté mais je me méfie. Regardez Terry Gilliam : il a fini par le faire son Don Quichotte ! Dark guns était un euro-western qui néanmoins devait se passer aux États-Unis. Un western dans le pur esprit de ceux de la fin des années 1960, début des années 1970 qui étaient tournés en Europe et qui avaient un côté baroque flamboyant à la limite du fantastique. Dark Guns frayait avec le surnaturel avec l’implication d’une secte. C’était un bon scénario !
Un grand merci à Eric Valette, Mylène D’Aloia et toute l’équipe du NIFFF pour leur disponibilité et leur gentillesse. Entretien conduit par David Cagliesi. Photos d’Eric Valette ©NIFFF.