Cette édition 2017 du NIFFF offrait une rétrospective (partiellement incomplète) de l’œuvre furieuse, étonnante, à la fois protéiforme et singulièrement cohérente, de Seijun Suzuki. Un cinéaste dont la place critique reste, toujours, à déterminer. Julien Sévéon, qui animait la projection des 10 films projetés, revient pour nous sur cette filmographie d’artiste longtemps brimé, d’esthète politiquement conscient, constamment guetté par l’incompréhension. (On notera l’ironie, alors que Suzuki regrettait le recours de plus en plus répandu à l’anglais dans la langue japonaise, d’utiliser ici pour l’essentiel les titres dans la langue de Shakespeare, tels que fournis par le catalogue du Festival.) L’occasion en outre de lui demander de parler de ses projets personnels de publication. Une coïncidence sinistre fait se clore cet entretien par un retour de quelques mots sur l’ouvrage, proprement colossal, qu’il a consacré à George Romero. 


Est-ce que tu peux revenir sur la période de Suzuki au studio de la Nikkatsu et la manière dont il y a découvert son style ?

Suzuki était un réalisateur de studios, il rejoint la Nikkatsu en 1957, puis comme tous les réalisateurs maisons il va travailler de manière très classique : on lui donne un scénario sur lequel généralement il n’a aucune emprise, il le réalise de manière très factuelle. Il fait des films qui sont bien. Il y a des choses comme Underworld Beauty, Satan’s Town… Il y a vraiment des films qui mériteraient d’être redécouverts parce que c’est vrai qu’on est très axé sur sa période entre guillemets plus personnelle… Et voilà, il fait des choses qui sont efficaces, qui fonctionnent. Est-ce que lui ressort du lot à l’époque ? Pas forcément, puisqu’il y a d’autres talents aussi au sein de la Nikkatsu. Puis, à partir de 1963, il va commencer à ruer dans les brancards, en essayant d’imposer sa propre imagerie au sein des films, en commençant à triturer un peu plus les scénarios, en improvisant beaucoup plus sur les sets. Il va beaucoup jouer avec les couleurs, ce qui va faire qu’à un moment sur ses derniers films la Nikkatsu va le remettre au noir et blanc. Et il va copieusement changer des scénarios, ce qui va aussi énerver un petit peu la Nikkatsu qui n’aime pas, quand elle valide un scénario, qu’on joue dessus après. Tout ça va mener à une reconnaissance publique. D’abord auprès de la jeunesse japonaise, qui apprécie beaucoup le côté extravagant de ses films, le côté très dynamique qui ressort du gros de la production de la Nikkatsu. La critique va commencer à reconnaître qu’effectivement c’est un cinéaste qui est à part, même s’il y aura toujours des piques. Durant toute la rétro je me suis amusé à retrouver, comme ça, des critiques de l’époque… Certains critiques qui continuent à être vachement sévères par rapport à son cinéma. Qui ne savaient pas forcément apprécier le ton décalé qu’il tenait dans ses films.

Détective Bureau 2-3

Justement, comment penses-tu que la réception de ses films par la critique a évolué entre la sortie des films et aujourd’hui ? Est-ce que tu perçois une évolution véritable ?

Énorme, il y a un énorme changement. Je pense que le fait que Suzuki se fasse renvoyer par la Nikkatsu en 1967 a été un élément déterminant dans sa reconnaissance critique – au Japon en tout cas, dans un premier temps. Le fait qu’il rentre en procès avec la Nikkatsu, suite à son renvoi, donne une image à la critique d’un cinéaste qui n’est pas qu’un cinéaste de studio classique. Son cinéma est déjà reconnu, il y avait déjà quelque chose, mais beaucoup plus de gens prennent conscience à ce moment-là qu’il y a peut-être – j’aime pas vraiment le terme d’ « auteur », tout ça – mais qu’il y a un cinéaste qui est vraiment à part au sein du studio. En Occident ça a mis plus de temps. On commence à parler de lui à la fin des années 1960 / début des années 1970, mais la reconnaissance… Il y a eu des rétrospectives dans les années 1990, au début des années 2000, on va dire.  Ça a vraiment commencé, pour moi, la reconnaissance large, au milieu des années 2000. Vraiment là, ça dépasse le cloisonnement des amateurs de cinéma asiatique, qui le connaissaient et le reconnaissaient depuis longtemps. Le meilleur exemple, c’est très simple, c’est la réception de ses deux derniers films. Pistol Opera se retrouve à Cannes au Marché du Film. Je me souviens, j’y étais, je m’attendais à ce qu’il y ait une foule énorme, tout ça, et il y avait personne. Princess Raccoon, qui est son film suivant, passe cette fois-ci à la Sélection Officielle. Là on voit qu’il y a un véritable changement entre ces deux films. Il y a une reconnaissance beaucoup plus importante.

Princess Raccoon

Qu’est-ce qui fait ce changement depuis Princess Raccoon ?

Il y a déjà beaucoup de festivals qui commencent à se rendre compte qu’on a pris énormément de retard par rapport à la production d’Extrême-Orient. Beaucoup de festivals se sont focalisés sur le cinéma européen, le cinéma indépendant américain. Le cinéma japonais, quand on parlait de lui, c’était les grandes figures : Shohei Imamura, Akira Kurosawa, on ne sortait pas, un petit peu, de cette image de cinéma d’art et d’essai, de cinéma artistique. Et donc tous ces programmateurs se rendent compte que, plus ou moins, ils sont passés à côté de tout un pan de la cinématographie japonaise. Mais pas seulement : après il y a Hong-Kong qui est redécouvert, il y a tout ça. Ce qui amène sa reconnaissance, maintenant, beaucoup plus importante.

Pour Hong-Kong on cite souvent le numéro spécial des Cahiers du Cinéma comme étant un moment où, justement, on commence à reconnaître dans la critique française ce cinéma-là. Est-ce que tu arrives à repérer des acteurs, comme Les Cahiers pour HK, dans la reconnaissance de Suzuki ? Des acteurs précis ?

Est-ce qu’il y a des gens qui ont vraiment « contribué » ? Je dirais que c’est plus plein de petites initiatives à droite à gauche, qui ont permis ça en France. Il y avait Metropolitan, via HK, qui a organisé une rétrospective importante de son cinéma. Après c’est vrai que les anglo-saxons ont beaucoup, beaucoup, fait dessus. Ça fait partie des premiers à l’avoir fait. Maintenant c’est vrai qu’il n’y a pas en France, à ma connaissance… Je ne vois aucune interview en français publiée de Seijun Suzuki. Enfin, moi je n’en connais aucune. Il y a peut-être, mais… Il reste quand même un énorme vide. Même en anglais, il n’y a pas grand chose… Alors sur le net je n’ai pas trop vérifié, mais sur papier, des interviews en anglais, moi j’en connais deux. Donc quand même…Vu l’importance de ce cinéaste on se rend compte qu’il y a un véritable vide. C’est marrant, parce que quelqu’un qui était là à une projection vient me voir à la fin et me demande : « Il y a une biographie en français ? » – « Eh ben non, il y a rien. » – « En anglais, alors ? » Je fais : « Non, il y a rien. » – « Mais les romans dont vous parlez, qui ont été adaptés ? » – « Non, il y a rien du tout ! » En fait on manque véritablement de matériel autour de ce cinéaste. Et quelque part, c’est pas le seul, mais c’est vrai que quand on remet dans le contexte de la production globale japonaise, vu toutes les époques qu’il a traversé, qu’il y a encore un énorme vide autour de la production écrite autour de Suzuki.

T’en parlais dans Le Cinéma Japonais Enragé

Alors lui je l’évoque un petit peu, mais il ne rentrait pas vraiment dans les dynamiques que j’essayais de développer. Moi je parlais vraiment, surtout, du côté de la production indépendante, underground. Ouais, voilà… Et lui c’était quand même un cinéaste, entre guillemets, établi. Même s’il a eu beaucoup de conflits avec la Nikkatsu et tout ça, quoi.

Par rapport à son rapport à lui avec la Nouvelle Vague japonaise, qui paraît un peu complexe, qu’est-ce qui le rapproche, ou qu’est-ce qui le différencie, d’un Ôshima, ou d’un Imamura ?

Alors ça c’est vraiment personnel : ma vision des choses, je pense que Suzuki a été très frustré de pas avoir les largesses que le studio allouait, par exemple, à Imamura. Lui pouvait faire passer des scénarios qui étaient très, très, très osés en termes de thèmes, avec des scènes qui allaient assez loin, sans aucuns problèmes. Par contre lui, Suzuki, qui était censé faire du cinéma de genre, il était extrêmement brimé dans son acte de création. Ce qui fait qu’il était très critique de Imamura. Pour des raisons qui tiennent plus, à mon avis, d’une certaine jalousie que d’autre chose, parce que Imamura, on ne peut pas lui enlever ça, ça a quand même été un cinéaste majeur, qui a osé aborder certains thèmes, comme le racisme, la place des Coréens dans la société japonaise, et tout ça… Ça a quand même été un très, très grand précurseur. Moi je pense que Suzuki – il aurait aussi fallu qu’il ait cette envie – mais qu’il aurait probablement été plus à l’aise en travaillant avec l’ATG, ou en partant véritablement en tant qu’indépendant, qu’en restant dans le monde des studios. Mais le truc, en restant à la Nikkatsu, c’est qu’il y a une certaine sécurité : il sait qu’il va y avoir un certain nombre de films à réaliser, il y a la paie qui tombe, et tout ça. Donc voilà, je pense qu’il était tiraillé entre les deux. Prendre son indépendance et tourner des films mais avoir des difficultés à en vivre ? Continuer à la Nikkatsu mais être brimé ? Puis finalement, le fait qu’il soit renvoyé va lui permettre, dix ans plus tard, de se lancer véritablement en indépendant. Et quand on voit les films qu’il réalise à partir de 77, puis surtout à partir de 80, avec Zigeunerweisen, on voit que c’est un cinéaste qui, oui, aurait beaucoup plus eu sa place au sein de la Nouvelle Vague japonaise qu’en restant à la Nikkatsu.

Zigeunerweisen

Par rapport au jazz, et la place qu’il occupe dans son œuvre, est-ce que tu sais s’il y a des musiciens particuliers qui l’intéressaient ?

Alors ça c’est très amusant, parce que justement je vais en parler un petit peu : la musique tient un rôle énorme, comme tu l’as dit, dans son travail, notamment le jazz… et lui c’est quelque chose qui l’emmerde. Pour lui c’est ennuyant de devoir travailler avec la musique, de devoir choisir les morceaux. C’est quelque chose qui ne l’intéresse pas. Et quand on entend ça c’est quand même très étonnant, quand on voit le genre de films qu’il fait. Son cinéma est quand même exemplaire de ce côté swinging 60’s de Tokyo. Mais lui, c’est ce qu’il a dit en tout cas dans une interview – alors est-ce que c’était de la mauvaise foi, je sais pas trop ? – que c’était un aspect en tout cas qui ne l’intéressait pas plus que ça. Pour lui on imposait cette notion de musique de films, mais c’était quelque chose avec lequel il n’aimait pas jouer. Pourtant quand on voit son dernier films (ndlr : Princess Raccoon) qui va passer tout à l’heure, c’est une comédie musicale… Voilà, je ne sais pas trop à quel point il faut prendre cette réponse comme quelque chose de sincère, comme quelque chose d’ironique. Je ne sais pas.

Quand on lui dit : « il faut que la musique occupe une plus grande place dans Le Vagabond de Toyko », qu’il dit « ok » et qu’il en abuse complètement …

Voilà, ça  par exemple c’est un pied de nez à la Nikkatsu, clairement. Mais c’est vrai que les BO’s qu’il utilise, pour moi ça fait partie des plus marquantes qu’on voit au cinéma à l’époque. Hélas il ne s’est pas vraiment exprimé là-dessus, sur ses goûts et sur la question.

Le Vagabond de Tokyo

Comment pourrais-tu résumer son point de vue sur l’ingérence américaine et l’occidentalisation du Japon, qui sont des thématiques assez centrales dans ses films ?

Effectivement, c’est un thème qui revient régulièrement. Lui revient un petit peu, à partir de Zigeunerweisen, sur la période Taishō, celle où le Japon va vraiment s’ouvrir sur l’Occident, s’imprégner de culture occidentale. C’est un tournant important dans l’histoire moderne du Japon et c’est vrai qu’il va y revenir régulièrement après. Il n’a jamais affronté la Seconde Guerre mondiale. Lui l’a faite, s’est retrouvé appelé. Comme beaucoup de Japonais il a un rapport très ambivalent par rapport à ça. Il en est revenu avec un rejet de tout ce qui était autorité, mais d’un autre côté il est toujours resté très… je ne dirais pas patriote, parce que c’est pas forcément ça, mais un défenseur de patrimoine. Il le disait : « c’est important de défendre notre écriture, notre langue, notre pays. » Il disait ça à la fin des années 1980. Mais c’est vrai qu’après la fin de la Deuxième Guerre mondiale le Japon devient américanisé. Il y a beaucoup, beaucoup de cinéastes, romanciers, photographes, qui ont traité de ce sujet. Concrètement, actuellement, le Japon est toujours un pays occupé. C’est un sujet dont on ne parle pas, mais voilà, avec toutes les bases américaines qu’il y a, les dizaines de milliers de soldats, le Japon est encore une terre américaine. C’est vrai que ça pose un énorme problème. Suzuki, vu sa génération, a aussi vu les plus jeunes, tous ceux qui sont nés après les années 1970, tout le mouvement de contestation, qui est naturel. Il y a beaucoup moins de remise en question de ça actuellement, sauf à Okinawa où il y a le plus de bases américaines. Là, le mouvement contestataire reste encore très fort. Quoique même lorsqu’on part à Tokyo, qu’on discute avec les jeunes, on voit que c’est toujours un sujet d’actualité. Ça Suzuki le disait lui-même, c’est quelque chose qui l’inquiétait. Notamment la prédominance des mots anglais dans le langage japonais. Il disait que quand on ouvrait un journal : « regardez le nombre de mots anglais qu’il y a, c’est pas normal. » Lui n’a pas fait comme un Shohei Imamura, par exemple dans Pigs and Battleships. Mais quand on prend Gate of Flesh, qui est un film de studios, on est d’accord, mais qui est tourné après Pigs and Battleships, les deux sont extrêmement similaires dans leur approche, leur vision de ce que la défaite japonaise et l’américanisation du pays produit.

Fighting Elegy

Tu en parlais avant, après un laïus d’une dizaine d’années, Suzuki va revenir à la réalisation. Est-ce que tu arrives à identifier des choses qui caractérisent cette seconde, et troisième, périodes de sa filmographie?

Ben cette troisième période c’est là où il se libère vraiment de toutes ces contingences qui l’avaient un petit peu brimé jusqu’alors. Il trouve un producteur de théâtre, Arato, qui va vraiment lui permettre de tourner le genre de films qu’il veut. Si on veut, cette troisième période c’est vraiment celle qui symbolise le mieux Suzuki. Ce qui est très amusant c’est que quand on lui demandait « pour vous quelles sont les différences entre vos films des années 1980 et 1960 ? », lui dit : « il n’y en a aucune, je tourne toujours de la même manière. » Ce qu’il voulait dire par là c’est que son approche du cinéma n’avait pas forcément profondément changé, sauf que là il pouvait faire les folies colorées qu’il faisait dans Le Vagabond de Tokyo sur toute la longueur du film. Dès lors, il n’y avait plus rien du tout qui le retenait. Il pouvait tourner des films aussi très, très longs, puisqu’avant il était tenu à ce que ça rentre dans une certaine durée. Quand il fait Zigeunerweisen je crois que c’est 145 minutes, un film qui est extrêmement long. Pareil pour son suivant (ndlr : Kagerô-Za), ce sont des films, je pense, qui représentent beaucoup mieux Suzuki, mais à un moment donné aussi. Parce que lui a évolué pendant les dix ans où il était blacklisté et est parti sur d’autres choses. En tant qu’artiste c’est je pense son expression la plus personnelle, la plus sincère.

Kagero-Zâ

Par rapport aux femmes dans son cinéma, qui sont à la fois des objets d’exploitation et des sujets d’empathie, comment pourrait-on caractériser le point de vue qu’il porte sur elles dans la société japonaise ?

Alors il a eu tendance à prendre des personnages forts féminins, dans un cinéma d’action qui était profondément masculin. Les grandes stars de l’époque, Akira Kobayashi, etc., c’était des grandes stars masculines. Il n’y avait pas vraiment d’actrices qui ressortaient du lot, que la Nikkatsu cherchait à mettre en avant dans ses films, en tout cas dans ce type de productions. Ça va vraiment être pour moi après les années 1980 qu’il va vraiment se pencher sur la question féminine. Il y a déjà des choses, dès Underworld Beauty… ce côté « classique » de la femme fatale qu’on retrouve dans le film noir mais lui y apporte une touche que j’ai trouvée un petit peu différente par rapport au tout-venant de la production japonaise à l’époque. Ce qui est vraiment intéressant, quand on prend par exemple Branded to Kill et Pistol Opera – qui est un remake ? une suite ? bon, ce n’est pas forcément très clair… – il est passé à un changement où tous les personnages principaux sont féminins. Quand dans Gate of Flesh il montre les personnages qui font l’amour, et tout, il ne se préoccupe pas juste de l’orgasme masculin. Il y a aussi l’orgasme féminin, très important dans sa façon de filmer. Lui ne se présente pas du tout comme un défenseur de la cause féminine ou de la place de la femme dans la société japonaise, il n’a pas forcément un point de vue précis dessus. Par contre ses personnages féminins, de manière récurrente je trouve, sortent du cadre de la potiche en tout cas. En particulier dans ses films des années 1960.

Gate of Flesh

Aujourd’hui, comment pourrais-tu décrire le statut de Suzuki dans son pays ?

Maintenant ?

Après son décès…

Surtout depuis son décès, ça c’est toujours le truc classique. Les gens morts, tout d’un coup sont élevés au panthéon. Suzuki est quand même reconnu de la part de la critique au Japon depuis longtemps maintenant. Même si les nouvelles générations ne sont pas forcément… Ça représente quand même un autre type de production, une autre époque. Il n’a pas forcément la cote auprès des jeunes. Comme ici nombre de cinéastes français des années 1960 n’ont pas la cote auprès de ce public non plus. Lui a réalisé son premier bouquin au début des années 1970. Il y a quand même beaucoup de matériel au Japon, concrètement, autour de lui. On arrive dans un vidéoclub, une boutique de cinéma, on demande du Seijun Suzuki personne ne va nous regarder avec des yeux ronds. Ce qui est par contre encore le cas en France et plus globalement en Occident. Et ce malgré de nombreuses rééditions. À la fin du mois notamment, Arrow, en Angleterre, va sortir la Taishō Trilogy en Blu-Ray. Ça c’est la première en Occident, à ma connaissance. Les trois n’étaient jamais sortis. C’est quand même un petit évènement qui prouve que, petit à petit, on commence à avoir une vision beaucoup plus large de son travail. Les films, au cinéma, sont restés quand même très peu diffusés. Zigeunerweisen, ses films d’après les années 1980, ont été très peu montrés. C’est vraiment une très belle chance de pouvoir les voir ici, sur grand écran, quoi. Je regrette, je n’ai même pas pu rester pour les voir !

Est-ce que tu sais si la trilogie distribuée par Arrow le sera aussi par la collection française qui a réédité des Blu-Ray d’Imamura, dont Le Pornographe

… Elephant ?

Ouais, voilà.

J’ai pas eu d’échos, je ne peux pas te dire pour l’instant.

Branded to Kill

Si tu devais mentionner cinq cinéastes influencés par Suzuki ?

Wong-Kar Waï, qui utilise la musique de Yumeji… Jim Jarmusch avec Ghost Dog (ndlr: reprenant une scène et des motifs de Branded to Kill)… Tarantino… Bon en même temps, Tarantino qui n’a pas dû l’influencer ? Il a piqué à tout le monde. Qui d’autre ? (un long temps) C’est les trois seuls qui me viennent.

Tu n’as cité aucun Japonais…

Merde ! Tu vois, paradoxalement, on ne peut pas dire que Suzuki ait une véritable descendance esthétique. Autant certains cinéastes, tu vois qu’il y a un espèce d’arbre artistique… Prends, disons Akira Kurosawa : oui, tu peux dire « à partir de là, ça fait ça, ou ça, puis ça ». Suzuki c’est resté un peu un franc-tireur dans le cinéma japonais. Il était déjà un petit peu à part à ses débuts dans le cinéma. Il y a des cinéastes flamboyants, notamment Katsuhito Ishii avec Party 7, qui ont fait des films très colorés… mais on ne peut pas les placer comme des héritiers de Suzuki. C’est pareil, ce sont des gars, qui se sont formés de leur côté, tout ça. Suzuki n’a pas vraiment eu de descendance artistique. C’est ce qu’on dit toujours : nul n’est prophète en son pays.

Parmi la rétrospective conduite pendant le NIFFF, est-ce que tu as une préférence personnelle parmi les titres ?

Alors ça c’est dur ! Gate of Flesh. Je trouve que c’est un film esthétiquement qui est incroyable. La première fois que je l’avais vu c’était… Les premiers papiers, fin des années 1980, quand on cherchait du matériel sur lui, on se focalisait sur, parlait toujours de, ses polars. Et Gate of Flesh c’est vrai que c’est quelque chose qui sort vraiment de ce cadre. C’est pas du film de genre, quoi. Donc quand je l’ai découvert ça m’avait collé une vraie baffe. J’aime bien Le Vagabond de Tokyo pour les scènes dans la neige. Moi dès qu’on me met de la neige, je suis content. C’est un truc complètement bête, mais voilà, des scènes de combat dans la neige j’ai toujours trouvé ça super beau. Voilà pour la réflexion idiote… Et Pistol Opera, c’est vrai que j’ai une affection vraiment très, très particulière pour Pistol Opera parce que c’était le retour, après pas mal d’années, et voir ce qu’il était capable de faire à cet âge-là ! Je l’avais vu au Marché du Film de Cannes, c’était un moment incroyable. Incroyable.

Pistol Opera

Et pour terminer une question plus personnelle : je sais que t’es en bonne voie pour publier un bouquin sur Massacre à la Tronçonneuse

Ouais !

… est-ce que tu peux nous dire un peu plus ? Et je sais aussi qu’il y a quelques années t’avais un projet de livre sur la Shaw Brothers… Qu’est-ce qu’il en est ? Parce qu’on l’attend !

(rires) Ouais, je sais, c’est toujours la question ! Alors pour Massacre à la Tronçonneuse, ben écoute, le but c’est qu’il sorte au moment de la sortie américaine du nouveau Leatherface, même si pour l’instant il n’y a aucune date de sortie française. Mais bon, j’aimerais que ça coïncide un petit peu avec. Il sortira dans un premier temps en français. Pour l’instant il y a un éditeur anglais qui est intéressé pour le sortir, mais l’année prochaine. Ça va être un bouquin un petit peu comme le Romero. Le but c’est ce que j’avais fait avec : c’était essayer de délivrer le truc le plus complet possible sur Romero au cinéma, sur un aspect factuel – retour sur la critique de l’époque, la réception… Donc il va y avoir beaucoup d’archives, des infos extrêmement rares, notamment sur la toute première partie de carrière de Tobe Hooper. Alors le bouquin parle de toute la franchise, hein, mais c’est vrai que le premier chapitre parle des films de jeunesse de Hooper et il y aura beaucoup d’informations qui n’ont jamais été publiées nulle part avant. Qui ont été vérifiées et qui sont sûres (parce qu’il y a eu beaucoup de légendes et tout ça, contribuées par Hooper lui-même). Voilà, il y aura des infos sur ses tous premiers films. Aussi quelques informations beaucoup moins connues sur le tournage de Massacre à la Tronçonneuse. Il y aura pas mal d’interviews, aussi, avec… Tobe Hooper, bien sûr, Daniel Pearl qui était le chef-opérateur sur Massacre à la Tronçonneuse. J’ai essayé d’avoir des gens, quand même, de tous les films. Le but, un petit peu comme le Romero, c’est de faire un bouquin ultime sur Massacre à la Tronçonneuse et toute la franchise, quoi. Y compris, donc, le dernier Leatherface de Bustillo et Maury. Il y aura beaucoup d’infos là-dessus aussi. Beaucoup de détails qui permettront, je pense, de mieux comprendre le film et le pourquoi de certaines choses.

Par rapport au bouquin sur la Shaw ?

Sur la Shaw, alors… Avec le Massacre à la Tronçonneuse, ce qui se passe maintenant c’est que ça va être de l’autoédition. Je vais le faire via Kickstarter, je vais lancer ça à partir de septembre. Si tout se passe bien, je ferai la même chose pour la Shaw Brothers pour l’année prochaine. Pour les fêtes de Noël. Idéalement ce que j’aimerais faire c’est un coffret deux volumes, tout ça. Mais bon c’est vrai que ça va être un livre très gros, donc les frais d’impression seront chers, ça va peut-être monter un petit peu. Je ne sais pas exactement encore quelle forme il va prendre. En tout cas ce sera probablement deux volumes, parce que ce sera beaucoup plus facile pour l’utilisation, pour les amateurs de le trimballer avec soi. C’est assez bizarre comme mise : le destin de la Shaw Brothers tient entre les mains de Massacre à la Tronçonneuse, voilà.

Parce que le livre est terminé déjà depuis un moment (sur la Shaw) ?

Non, sur la Shaw tu peux jamais finir. Donc moi le truc c’est que je continue toujours : je trouve des informations, notamment sur des films qui sont totalement inconnus de la Shaw. Ça fait, je sais pas, vingt ans que je suis dessus. Je crois que c’était l’été dernier encore, j’ai trouvé une production des années 1960 de la Shaw Brothers qui n’existait nulle part. Personne n’en a jamais parlé et tout. Alors j’ai pas pu l’avoir : il y a plus de copies, il y a rien du tout. Mais voilà, c’est le genre de choses qui te font te dire : « ouais, si je continue encore cinquante ans, peut-être vais-je en déterrer encore je-sais-pas-combien ? » Mais au bout d’un moment c’est vrai qu’il faut mettre un stop, sinon c’est un projet sans fin. Ça commence dans les années 1920, ça va jusque dans les années 1980. Ça peut ne jamais s’arrêter, quoi. Puis c’est vrai que j’ai eu un souci en perdant une partie de mon travail sur la filmographie entre deux sauvegardes. Il y a une petite centaine de chroniques qui avaient sauté, qu’il a fallu – qu’il faut pour une partie ! – que je revoie, que je réécrive. Puis c’est ça qui m’intéresse, tout ce travail de recherches pour trouver de vraies informations, pouvoir plus mettre en valeur certains cinéastes qui n’ont pas obtenu à mes yeux la reconnaissance qu’ils méritaient. Et remettre ça dans un contexte plus important. On a tendance à rester sur leurs films de kung-fu, puis à dire que c’est juste du divertissement. Mais en fait on va voir que c’est beaucoup plus large que ça.

Et pour le Romero, tu es content des ventes malgré les problèmes en librairie ?

Ben écoute, l’éditeur est content donc j’imagine que ça va. C’est vrai que j’étais un petit peu frustré de voir certains libraires dire « ben non, on le prend pas parce que le bouquin est trop gros, ça prend de la place pour les autres. »  Enfin, il faut remettre ça à l’échelle : c’est juste quelques cas. Heureusement, ce n’est pas la majorité. Certains sont même venus me dire : « mais on te le prends ! » C’est juste que, même venant d’un ou deux, c’est un refus difficile à entendre. C’est le premier au monde qui aborde toute la carrière de Romero, y compris certains long-métrages dont on n’a jamais parlé avant. Pour moi, tous les retours ont été positifs dessus. Je pense que tous les amateurs ont aimé le bouquin. Moi j’en suis super content. Ce qui est bien c’est que j’ai pu superviser toute la maquette de A à Z. On a passé quatre mois dessus, comme ça ça me permettait d’avoir les images en pleine page. « – Et celle-là, on peut la mettre ? – Allez ! Double-page ! » Donc ça a été un régal de pouvoir bosser là-dessus. Dans la forme, dans le fond, c’est vraiment un bébé dont je suis super content. C’est vrai qu’il est beau.

Propos recueillis par Thomas Gerber le 6 Juillet 2017. Préparation de la « partie Suzuki » et transcription par Jean Gavril Sluka.

Photo de Julien Sévéon : ©NIFFF

Continuez la lecture avec notre dossier consacré aux films de Seijun Suzuki projetés dans la rétrospective du NIFFF.

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