FFFH 2017 – L’Atelier, Plein Soleil au pays du FN
Près de dix ans après sa Palme d’Or à Cannes (pour Entre les Murs en 2008), et après deux films passés un peu inaperçus (Foxfire, confessions d’un gang de fille […]
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Près de dix ans après sa Palme d’Or à Cannes (pour Entre les Murs en 2008), et après deux films passés un peu inaperçus (Foxfire, confessions d’un gang de fille […]
Près de dix ans après sa Palme d’Or à Cannes (pour Entre les Murs en 2008), et après deux films passés un peu inaperçus (Foxfire, confessions d’un gang de fille et Retour à Ithaque), Laurent Cantet revient sur les bancs de classe – cette fois-ci en plein air – pour filmer une confrontation prof-élève sous le soleil de la Côte d’Azur. Un nouveau film qui, malgré son image lumineuse et les accents chantants de ses protagonistes, dresse le sombre portrait d’une jeunesse désabusée, en proie à l’ennui et aux tentations des extrêmes.
La Ciotat, Sud de la France. Un atelier d’écriture de polar est organisé pour des jeunes en recherche d’emploi. Olivia (Marina Foïs dans l’un de ses rôles les plus complexes), une romancière parisienne, se charge d’animer la rencontre qui se déroulera sur une bonne partie des vacances d’été. Certains voudront parler de l’histoire de leur ville, de leur famille, par le prisme du polar tandis que d’autres se concentreront à concevoir le crime parfait, avec toujours en ligne de mire une histoire qui doit se dérouler chez eux. Parmi les jeunes, Antoine (Matthieu Tucci, qui irradie l’écran), solitaire, peu bavard, se fait assez rapidement remarquer pour ses idées provocatrices et la violence sourde qui semble l’animer.
Le film s’ouvre sur une séquence de jeu vidéo, où l’on voit un cavalier solitaire déambuler dans un monde de fantasy. Pendant quelques instants ce cavaliers erre, évolue sur un terrain accidenté. Cut. Un jeune homme se laisse flotter dans une calanque. Il s’agit d’Antoine, qui s’ennuie. Très vite le jeune homme se démarquera du reste de l’équipe par la violence extrême des idées qu’il aimerait apporter à la rédaction de l’ouvrage. Puis par les attaques gratuites envers certains des participants, lorsque les discussions dérapent. Des provocations qui attiseront la curiosité d’Olivia à son égard. Mais qui permettront aussi de générer des réflexions et des interrogations au sein du groupe sur la portée de l’œuvre de fiction, sur les limites morales de la représentation et sur l’empathie de l’auteur pour ses personnages. D’entrée, le film de Laurent Cantet va questionner ses personnages dans leurs idées préconçues, notamment Olivia, qui très vite découvrira qu’elle aussi, malgré ses enseignements, peut difficilement se départir de ses a priori. La confrontation avec Antoine, qui naîtra de ce cours, l’amènera à découvrir un jeune homme plus insaisissable qu’elle ne le pensait au premier abord.
Antoine, c’est la jeunesse qui s’ennuie. C’est la jeunesse qui ne sait plus à quel saint se vouer dans une France, fracturée, en proie à la panique après les attentats de Charlie Hebdo, de novembre 2015 ou encore de Nice. Une jeunesse qui s’occupe l’esprit entre jeux vidéo et vidéos conspirationnistes de militants d’extrême-droite. Et dans une ville sans emploi, à la gloire passée (les ruines de l’ancien chantier naval surplombent tout le film), cette jeunesse accumule les frustrations et se fantasme, arme à la main, capable du pire. Pourtant une sorte de lien, très conflictuel malgré tout, se crée entre Antoine, toujours provocateur et renfrogné, et Olivia, qui décèle chez le jeune homme un talent réel et qui voudrait, en même temps, s’inspirer de lui pour l’écriture de son nouveau roman. Face à face de deux France bien différentes, qui amènera le film dans les territoires du cinéma de genre, du polar, ce polar que les jeunes de l’atelier essaient d’écrire. L’histoire d’un dérapage qui pourrait avoir lieu, là, dans le vieux port, ou sur le chantier naval. Un virage qui donne aussi au réalisateur la possibilité d’offrir des images de ce bord de mer, de nuit, comme on en n’avait pas encore vraiment vues au cinéma. Où seule la lumière de la lune suffit à éclairer la scène, captée par les 16’000 asa d’un nouvel appareil numérique. La nuit se substitue au soleil écrasant du sud et devient alors le révélateur des pulsions et de la colère qu’Antoine renferme sans ne savoir qu’en faire.
Laurent Cantet semble, une fois de plus, capter le réel et surtout capter la jeunesse dans toute sa complexité et ses contradictions, mais aussi le fossé grandissant et l’incompréhension qui existent entre cette génération et les précédentes. Mais si ce film ne se veut pas aussi documentaire qu’Entre les Murs (ou même Ressources Humaines), il réussit toutefois à saisir l’esprit de son temps avec une grande acuité. La séduction des extrêmes (politiques ou purement émotionnelles), qui se feront l’écho du vide qui habite Antoine, est ici tangible. Le réalisateur ne théorise pas son propos, mais ancre ses personnages dans une réalité politique et sociale et les amènera, à force d’échanges d’idées parfois tumultueux, à mettre des mots sur ce qu’ils n’étaient pas capables d’exprimer jusqu’alors.
Retrouvez notre interview du réalisateur à propos de ce film ici.
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