Petit Paysan, premier film pour son réalisateur Hubert Charuel, s’est fait remarquer à Cannes en sélection Caméra d’Or, notamment pour son mélange des genres (drame paysan, film de genre paranoïaque) […]
Petit Paysan, premier film pour son réalisateur Hubert Charuel, s’est fait remarquer à Cannes en sélection Caméra d’Or, notamment pour son mélange des genres (drame paysan, film de genre paranoïaque) et sa description inédite d’un monde habituellement dépeint comme vieillissant et replié sur lui-même. Différentes choses à propos desquelles nous avons pu nous entretenir avec donc le réalisateur Hubert Charuel ainsi que son acteur principal Swann Arlaud, à l’occasion du FFFH 2017 (Festival du Film Français d’Helvétie).
Pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours en deux mots et comment vous êtes arrivés sur ce film ?
Hubert Charuel – Alors moi je suis fils d’éleveurs laitiers, je suis fils unique et je n’ai pas repris la ferme de mes parents. Donc pour moi, faire ce film c’est une manière de reprendre cette ferme et de lui dire au revoir. Après, comment je suis arrivé là; mes parents sont paysans, on ne partait pas beaucoup en vacances ni en week-end. Mais par contre, petit, ma mère m’emmenait au cinéma et j’ai tout de suite accroché. Et à partir de ce moment ils ont commencé à m’emmener au cinéma deux fois par semaine au moins. Et c’est devenu la seule échappée de la semaine, où pendant quatre heures on partait de la ferme et on ne parlait pas de vaches. À la base je ne voulais pas être cinéaste. Je voulais être vétérinaire. Mais au lycée j’avais de trop mauvaises notes dans les matières scientifiques et je me suis dit qu’il fallait peut-être réfléchir à faire autre chose et voilà. La seule passion que j’avais c’était le cinéma, alors je suis parti là-dedans. Je suis allé à la fac et ce qui a été un énorme accélérateur, c’est que j’ai obtenu le concours de la FEMIS, qui est l’une des deux écoles publiques de cinéma en France, mais en section production. Et puis j’ai eu l’opportunité de faire quelques stages d’écriture à l’école, où j’ai rencontré ma co-scénariste, Claude Le Pape, avec qui je travaille depuis mon premier court-métrage et c’est elle qui m’a poussé (à réaliser), en dernière année, alors que j’étais en production et que je n’étais pas censé réaliser. J’étais censé produire quelqu’un, du coup je me suis auto-produit et ce court-métrage a circulé en festivals, ce qui m’a permis de réaliser un 2ème court-métrage. Et j’avais cette idée de long-métrage que j’avais développé déjà un peu à l’école et puis avec Claude. Ensuite on a rencontré les producteurs et puis voilà.
Dans la première séquence du film, le personnage principal rêve de sa maison envahie de vaches. On entre directement dans son obsession, où ses pensées sont constamment prises par son bétail. Cette obsession, c’est quelque chose que vous avez vécu, ça vient d’une expérience particulière ?
HC – Alors je pense que les rêves c’est toujours des obsessions qu’on colle. Je sais que la veille de la sortie du film j’ai fait trois fois le même cauchemar où je me pointe et y a une salle de cinéma énorme mais vide. Donc forcément les obsessions ça fait partie des rêves. Mais la première séquence je ne sais plus vraiment comment elle est venue. Je n’ai pas fait ce rêve, j’y ai pensé comme ça, je ne sais pas trop comment. Évidemment cette séquence elle servait à présenter le personnage de Pierre, où l’on comprend assez vite que les vaches prennent toute la place, y compris dans sa tête. Sachant qu’après, pendant une vingtaine de minutes, le film est beaucoup plus naturaliste et documentaire, cette séquence servait un peu à annoncer la suite. À dire aussi que le film serait autre chose que les 20 minutes en question. Que ça allait aussi se passer dans sa tête. Et c’est aussi une manière d’aborder le genre.
À ce propos, le film mélange les genres. Drame, film social, polar, des touches d’horreur, de fantastique. Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?
HC – Ça a été la chose la plus compliquée à trouver. À l’écriture, mais surtout une fois le tournage fait, quand on était en montage. Mais c’était une volonté de départ. On va faire un film de genre. On va mélanger plusieurs genres, en ayant comme univers principal la ferme. C’était l’un des points de départ. On va sortir du cliché du paysan mutique, qui sirote sa soupe dans sa cuisine sur sa table en formica. Mais il y a de ça vraiment. Et ensuite sur le mélange des genres, je pense que c’est juste. J’ai grandi influencé par ce cinéma. J’ai grandi à 30 km d’un cinéma, c’était pas un cinéma art et essai. C’était un cinéma qui passait des films populaires. J’ai grandis plutôt avec Terminator et Alien qu’avec Bergman. Mais évidemment après, à la fac, j’ai découvert d’autres types de cinéma. Mais je pense que ce qui m’anime, c’est ça. Il y avait une vraie volonté là et c’était de se dire que cet univers là pouvait se prêter complètement à tous ces genres.
Et donc, Swann Arlaud, si on rebondit sur ce que Hubert vient de dire, comment on construit un personnage qui navigue dans ces différents genres, qui passe par ces différents états ?
Swann Arlaud – En fait déjà, tout simplement, ça c’est pris en charge par le scénario, par la mise en scène, par l’image. Hubert avait, dès le départ, cette idée de démarrer le film par quelque chose de très solaire et plus on avançait dans le film, d’avoir de plus en plus et d’obscurité et des lumières non naturelles, quel est l’adjectif que tu utilises, des lumières plus…
HC – … des lumières plus industrielles.
SA – … plus industrielles, voilà. Alors ce qui est étonnant, c’est qu’on a fait le film sur août-septembre et que du coup on a commencé le tournage en quasi-canicule et on a terminé le film de nuit, en ayant hyper froid. Donc nous-même on a fait ce trajet. Et après la construction du personnage elle est tellement dans l’histoire et dans la mise en scène que moi (…) je fonctionne toujours comme ça, je fais les scènes. À chaque fois, on se concentre sur une scène. Donc par exemple une scène de repas avec les parents. Y a des moments de comédie, y a des choses comme ça et puis quand on a une scène où on doit enterrer une vache, on se concentre sur ça. Donc pour moi les choses étaient isolées et j’ai pas eu ce sentiment d’avoir une construction. D’autant plus qu’on tournait, comme c’est souvent le cas, absolument pas dans la chronologie du film. Mais bien sûr on se questionne, avec Hubert, avec Claude Le Pape, qui était co-scénariste et partenaire artistique, avec la script, etc.. on se questionne sur le personnage, on se demande où il en est à ce moment-là du film. Donc on va remonter le curseur, ou le redescendre. Mais c’est plus des choses isolées qui après sont plutôt un travail de montage pour trouver la justesse dans cette évolution (du personnage). Et même au niveau de la mise en scène, le découpage évolue, etc..
Justement, par rapport à la mise en scène, qui est très travaillée, composée, comment l’avez-vous préparée ? Beaucoup de travail en amont ou est-ce que c’est quelque chose de plus spontané sur le tournage ?
HC – Il y a les deux approches. Mais moi j’aime bien partir sur un film avec un découpage. Que l’on respecte ou pas, mais j’aime bien avoir une carte pour savoir si je fais du hors-piste ou pas. En effet au bout d’un moment quand on suit un peu trop la route on s’emmerde, donc c’est pas mal de faire du hors-piste, mais c’est bien d’avoir des repères. Donc voilà, je suis parti avec un découpage fait complètement et après on réadapte selon le lieu, selon les aléas du tournage, des problèmes d’éclairage, des choses auxquelles on a pas pensé, par exemple par rapport aux vaches. Un plan auquel on pense, on ne peut pas le faire parce que la vache ne peut pas faire ça ou nous on ne peut pas s’approcher aussi près, donc ça demande de se réadapter. Mais sur les intentions de lumière, ça c’est décidé vraiment en avance, avec beaucoup de références. Et après sur le cadre on se laisse le soin de réadapter en fonction du décor.
SA – Surtout c’est tellement de contraintes un tournage et d’autant plus avec des animaux, qu’il y a une obligation à trouver sur le moment, à être flexible. Et en même temps, je crois, mais il y a des réalisateurs qui ne travaillent pas comme ça, il me semble que plus on a balisé les choses avant, plus on a de la capacité à trouver de la liberté sur le moment. Parce qu’il n’y a pas de moment de blocage où l’on ne sait pas comment faire. Mais là, en se préparant à l’avance, on sait comment on veut faire et on peut s’adapter facilement. Donc il y avait ce truc où on avait toujours le sentiment que Hubert savait ce qu’il voulait faire, même si parfois il fallait se poser une heure parce qu’il y avait un problème, et c’était souvent à cause d’une bête. Et du coup, nous (les acteurs), on allait se poser une heure, boire un café, et pendant ce temps l’équipe faisait une réunion de crise et ils revenaient une heure après et c’était reparti, ça roulait. Notamment la première scène de meurtre de vache, où on a tourné tout sur la vache, ce qui était assez compliqué. Et on a ensuite tourné tout sur moi sans la vache. Un truc où à la fin de la journée on ne savait pas du tout à quoi s’en tenir. Et quand je vois ensuite le résultat dans le film je me dis que c’est incroyable, parce que ça marche vachement bien. Mais ce jour-là on a vraiment dû trouver des solutions. Enfin je dis « on », mais moi à ce moment-là, je vais boire un café, parce que les solutions c’est eux qui les trouvent (rires).
HC – Ouais en effet, faut savoir s’adapter. Je pense que (c’est important) d’avoir une carte, surtout quand on est dans ce truc de mélange. On mélange les esthétiques. Rester dans les codes d’un genre dans lequel on bascule sans trop les emprunter pour pas non plus se perdre, ça demande un peu de travail, mais dans tous les cas c’est assez préparé en amont, avec évidemment la possibilité de réadapter.
Le film semble donner une vision assez pessimiste du monde paysan, notamment des petites exploitations, comme celles de Pierre. Des exploitations qui meurent les unes après les autres, écrasées par les grands élevages automatisés.
HC – Alors c’est marrant parce qu’on me parle souvent de pessimisme mais je ne me pose pas la question comme ça. Le village d’où je viens, il y avait huit fermes, il n’y en a plus qu’une, oui il y a un certain type d’agriculture qui est en train de disparaître et en même temps c’est comme ça. Je ne le traite pas comme un truc larmoyant ou nostalgique, mais je dis plutôt que Pierre, le personnage, refuse d’évoluer. Il représente parfois un certain type d’exploitations. Et évidemment, il peut y avoir cet aspect ultra pessimiste, on peut le voir comme ça, mais moi je vois juste une évolution avec des gens qui disparaissent, des gens qui s’adaptent, des gens qui ne s’adaptent pas. Par exemple, Fabrice et sa ferme (ndlr: un personnage du film qui possède une immense exploitation entièrement automatisée), je ne le juge pas comme le mec qui est en train de tout bouffer. C’est juste que c’est comme ça. Dans ce milieu c’est comme ça. Il y a de grosse exploitations et des plus petites. Et puis il y a d’autres choses qui changent. Comme les petits paysans, d’où le titre du film, certains copains, ils sont en train de changer tout le système, passent par des circuits courts pour transformer les produits. Et c’est une étiquette qu’ils revendiquent, parce que ça valorise les produits. C’est des choses qui se mettent en place. C’est peut-être la fin d’un certain type de monde mais c’est pas pour ça qu’il n’y a pas autre chose qui est en train de se faire à côté.
Enfin, votre sélection à Cannes, ça représente quoi pour vous, pour le film ?
HC – Alors c’est évidemment un énorme coup de projecteur pour le film. Sur le film, sur l’équipe. Nous on est des jeunes, donc forcément c’est porteur, quand ça se passe comme ça. Parce que ça s’est très bien passé à Cannes. Si ça c’était mal passé à Cannes, ce serait probablement la pire expérience de ma vie. C’est là qu’on a commencé à parler du film et ensuite ce sont les gens du milieu qui commencent à en parler et ensuite ça arrive aux oreilles des journalistes et ça a créé cet engouement médiatique autour du film pour la sortie. D’un coup on se dit que le film va exister. Sans dire qu’il n’existerait pas sans la sélection à Cannes, mais là ça permet d’être très vite fixé. Mais c’est vraiment une fois que la projection est passée qu’on peut avoir les retours.
SA – C’est peut-être absurde de dire ça, mais ces sélections en festival, notamment Cannes, qui était la première et qui est un festival si prestigieux, en fait ça nous donne aussi confiance pour la suite des évènements et du coup on y va avec plus de légitimité bizarrement. Avec plus de force. Parce que nous on voit les choses de notre prisme, on croit à l’histoire, on l’a fait, on y a mis notre coeur, c’est sûr. Mais la confrontation à un public c’est quelque chose qui peut être douloureux et où on peut être très affaibli et revoir le film en se disant « mais c’est de la merde en fait », parce qu’on est très mauvais juges nous-même de notre travail. Et cette sélection ça nous a donné une impulsion qui fait qu’on est arrivé après sans s’excuser d’être là (rires). Ça donne un peu de légitimité même si c’est absurde de l’envisager comme ça.
HC – Et il faut aussi être honnête, quand je suis revenu de Cannes avec mon petit diplôme – parce qu’on nous donne un petit diplôme – je peux dire « je suis allé à Cannes avec mon film ». J’ai fait ça dans ma vie, on ne pourra pas me le retirer. Alors évidemment, quand on montre son film on passe son temps à dire qu’on s’en fout de Cannes, c’est pas important, le film il peut exister sans, mais en fait, une fois qu’on y est, c’est ouf. On est hyper content. C’est un truc d’immense fierté, d’être sélectionné dans un festival aussi prestigieux.
SA – On a quand même le sentiment, nous et ceux qui nous entourent, ceux qui ont fait le film, le sentiment d’être des gamins, qui débarquent dans ce festival comme des enfants qui jouent à un jeu.
Propos recueillis par Sébastien Gerber. Merci à Laurence Gogniat du FFFH et à Eric Bouzigon de Film Suite, pour avoir permis à cette interview d’avoir lieu.