Dans une année quasi dépouillée de « sorties incontournables », davantage de films devenaient éligibles pour figurer dans notre traditionnelle liste des « autres films qui ont fait l’année ». Voici tout de même une brève sélection de ce qui nous semble important de rattraper, si ce n’est pas déjà fait.

Les choix d’Alex Rallo :

  • High&Low: The Worst, Higeaki Kubo, Japon

    Permettez-moi une petite triche… Non, en fait, deux. High&Low: The Worst de Higeaki Kubo est sorti fin 2019 au Japon, mais il lui aura fallu quelques mois de plus pour s’exporter, ce qui en fait donc un film de 2020 pour nous. De quoi s’agit-il ? D’une porte d’entrée inespérée, et c’est ma seconde petite entorse ici, à une franchise tentaculaire et un genre cinématographique méconnus dans notre région du monde. Je parle bien sûr de la franchise multimédia HiGH&LOW et du genre des films de délinquants, ou Yankii, entièrement dévoués aux aventures souvent musclées de lycéens japonais engagés dans des guerres de gangs invraisemblables et euphorisantes. Le phénomène constitue une sous-culture niche de l’entertainment nippon depuis au moins les années 1980, et la franchise HiGH&LOW en est le dernier représentant populaire en date. Pour faire simple, le genre mélange soap opera pour adolescents et mêlées à la Crows Zero. Les films HiGH&LOW, bénéficiant du travail complexe de réalisateurs et de chorégraphes talentueux, transforment leur cast de chanteurs de boys bands en guerriers martiaux urbains suivis par des caméras semble-t-il libérées de toute limite logistique. Si vous pensiez que le cinéma d’action manquait d’audace et d’énergie dernièrement, n’hésitez plus un seul instant. Rarement la caméra aura apporté autant de dynamisme cinétique à l’action : elle voltige, fait des bonds immenses puis retombe, passe à travers les trous, est propulsée le long des murs, et ainsi de suite. C’est comme si chaque scène essayait de surpasser la précédente en termes de défis techniques. Oh, et ai-je mentionné la J-Pop ? Après tout, le projet entier est né de l’initiative d’Exile Tribe, un collectif de boys bands japonais bien décidés à conquérir l’île sur tous les fronts culturels. The Worst est certes le dernier film de la franchise en date, mais s’agissant d’un spin-off relativement indépendant (en crossover avec la franchise de manga Crows), vous n’aurez aucun mal à remonter le fil des événements avec la trilogie principale et le premier spin-off, The Red Rain. Tous les films sont disponibles sur Netflix dans les régions anglophones. Faites chauffer le VPN.

  • Mortal Kombat Legends: Scorpion’s Revenge, Ethan Spaulding, États-Unis

    J’aurais pu m’attarder sur des films de grande qualité comme The Vast of Night ou Time to Hunt, mais je préfère vous renvoyer à notre podcast, dans lequel nous revenons déjà en détails sur ces pépites incontournables. À la place, autant que je continue sur ma lancée et enfonce le couteau dans la plaie après l’avoir tourné et transformé en shuriken : le film d’animation Mortal Kombat Legends: Scorpion’s Revenge est disponible en VOD et constitue un carnage absolu qui parlera à ceux, comme moi, dont les instincts arpentent tous les niveaux de sophistication imaginables. L’histoire ? Elle est dans le titre. N’ayez crainte : que vous soyez novice ou fan devant l’éternel filmique de la franchise, le film saura vous faire glisser élégamment dans la mythologie de l’univers ou vous offrir des développements nourrissants. Ce serait cependant mentir de prétendre que l’intérêt principal de ce premier film Mortal Kombat « R-rated » (interdit aux mineurs) se trouve ailleurs que dans sa violence cathartique qui atteint des niveaux égaux aux animes les plus brutaux des années 1990. Préparez le pop corn, les membres sont tranchés par dizaines, les crânes fendus sans interruption et le sang coule à flot. Dans une année appauvrie en sorties ciné, ça fait parfois du bien de tout lâcher et de se laisser emporter par l’euphorie sensorielle et visuelle proposée par un spectacle de mort inoffensif. Le film est réalisé par Ethan Spaulding, ancien storyboardeur et réalisateur de la série Avatar: The Last Airbender, ayant également dirigé plusieurs DC Universe Animated Original Movies. Au casting, Patrick Seitz et Steve Blum, habitués de Scorpion et Sub-Zero, mènent la danse pour le plus grand plaisir des fans. Même si le film live de 2021 échoue, on aura au moins eu celui-là.

Les choix de Jean Gavril Sluka :


Étant donné la capacité unique du cinéma à représenter la vie, il devrait être particulièrement propice à traiter de cette composante élémentaire de l’existence qu’est l’argent. Or ce sont les films qui parlent réellement d’enjeux financiers (avec la mention de sommes précises, de moyens exacts d’obtention et d’objectifs clairs de dépense) qui sont étonnants, et non ceux qui en font abstraction (ou qui, s’ils en traitent au mieux en parole, n’en viennent jamais au détail des chiffres). Deux films sortis cette année, qui formeraient un double-programme idéal, font à cet égard figures de belles exceptions.

  • Kajillionaire, Miranda July, États-Unis

Kajillionaire de Miranda July s’intéresse au quotidien californien d’une famille d’arnaqueurs, membres d’un lumpenproletariat issus d’une bourgeoisie déchue, qui vivent au jour le jour de combines et de « bons plans » en tous genres. Old Dolio (Evan Rachel Wood), la fille unique de Robert (Richard Jenkins) et Theresa (Debra Winger) est une sorte d’enfant sauvage, ignorante au milieu de sa vingtaine des codes sociaux les plus élémentaires ou de l’existence de comportements qui ne soient pas purement instrumentaux (même le choix de son prénom a pour origine une tentative d’extorsion) dont la vie se trouve chamboulée avec l’apparition de Melanie (Gina Rodriguez), jeune femme sémillante entraînée par cette famille dans une aventure, en guise d’appât. L’attention que ses parents feignent pour elle dans le but de la séduire, en plus du jeu de rôle familial qu’ils interprètent ensemble à l’intention de personnes séniles qu’ils entendent détrousser, éveille en Old Dolio des sentiments enfouis, émotions inconnues, qui bouleversent son monde intérieur et bientôt sa vie. L’anémie relationnelle dans laquelle elle a toujours vécu laisse place, non sans une crise violente et douloureuse, à l’émergence, et l’exigence, d’un autre rapport aux autres.

  • Douze Mille, Nadège Trebal, France

Douze Mille de Nadège Trebal suit le périple de Frank (Arieh Worthalter) qui vient de se faire non pas tant licencier que débusquer de son travail au noir, le laissant sans source de revenu pour le moment. C’est un problème non seulement pour lui, mais pour Maroussia (Trebal), sa compagne, qui craint que leurs rapports se détériorent s’il se met à dépendre d’elle. D’où sa quête, ailleurs en France, de la somme qui le remettra à égalité avec elle : douze mille euros. Pas moins, mais (comme Frank l’apprendra à ses dépens) pas plus non plus. Si le premier film esquisse dans son final une utopie affective, c’est celle d’un égalitarisme radical et de son expression sur le plan du désir que le second explore. Frank et Maroussia sont des amants qui se connaissent bien, à qui le corps de l’autre ne peut que manquer, sensation de manque que la scène de leurs ébats qui ouvre le film, possédant la concrétude d’un Guiraudie, le vitalisme d’un Verhoeven, rend par avance tangible. Ce n’est pas très dans l’air du temps (cette aboulie rationalisée par le puritanisme), mais fut une époque où la gauche était douée à filmer le sexe (comme à faire primer les composantes économiques sur l’identification strictement culturelle). Dans son approche intime des ravages humains de l’avarice, Kajillionaire pourrait être perçu comme d’inclinaison keynésienne, et pour celle de la lutte des classes, Douze Mille comme de tendance plus marxiste, mais au-delà de cette distinction un peu prétentieuse (et pas si tranchée dans les faits), les deux films partagent, au-delà du tunnel de la nécessité, une promesse existentielle, et politique, commune : du plaisir.

Le choix de Thomas Gerber :

  • First Cow, Kelly Reichardt, États-Unis

Une année marquée par la sortie d’un film de Kelly Reichardt ne peut pas être fondamentalement mauvaise. Quatre ans après Certain Women, l’Américaine revient et signe une histoire d’amitié enracinée dans la nature. L’ouverture, et l’analepse qui constitue le film dans tout ce qui suivra, annonce déjà la dimension cyclique du vivant, l’inéluctable retour de l’homme à la terre : par hasard, dans un Oregon contemporain, un chien découvre les ossements de deux corps humains. Nous voilà plongés en 1820, aux côtés de Cookie Figowitz, cuistot chargé de nourrir une bande de rustres trappeurs. Parmi ces derniers, King-Lu, un immigrant chinois en quête de fortune, seule âme douée de sensibilité de l’équipe. Une amitié calme se construit peu à peu jusqu’à s’imposer comme une évidence tranquille. Ensemble, ils ont l’idée, et la malice, de traire en douce la vache d’un riche propriétaire terrien afin de rendre leurs pâtisseries anormalement savoureuses. Au travers de leur parcours, Cookie et King-Lu représentent à eux seuls l’évolution d’une civilisation dans son rapport à la nature. D’un état quasi primitif, ils se déconnectent gentiment – et paradoxalement « naturellement » – de la terre jusqu’à y retourner définitivement. Ni l’avidité ni la transformation sédentaire ne sont blâmées, First Cow parle d’une évolution inévitable, d’un lien à la nature perdu d’avance et d’une humanité qui n’a plus que l’amitié pour connaître la transcendance. Appartenant à un cinéma de la patience, de la texture et, forcément, de la contemplation, Kelly Reichardt vient peut-être de livrer la plus subtile des fables écologiques. Sans morale et sans militantisme, elle frappe infiniment plus fort que n’importe quel projet lavé au vert.
Après de longs mois d’attente, le film est enfin distribué en France et en Suisse par Sister Distribution.

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