Au-delà des évidences : les autres films qui ont fait 2015
Le rituel de fin d’année veut que chaque revue, webzine et blog délivre son top annuel. De notre côté, nous avons opté pour un classement un peu inhabituel. Plutôt que […]
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Le rituel de fin d’année veut que chaque revue, webzine et blog délivre son top annuel. De notre côté, nous avons opté pour un classement un peu inhabituel. Plutôt que […]
Le rituel de fin d’année veut que chaque revue, webzine et blog délivre son top annuel. De notre côté, nous avons opté pour un classement un peu inhabituel. Plutôt que de vous proposer la liste des dix films que nous avons préférés, nous avons décidé de vous parler de nos coups de cœur passés sous le radar pendant cette année 2015.
Une manière pour la rédaction de rappeler que les nombreux festivals qui jalonnent l’année, en Suisse comme en France, sont autant d’occasions de faire de très belles découvertes. Ils permettent à la fois de tomber sur des perles rares qui seront difficilement trouvables à moyen terme (Beyond Clueless, Bridgend, The Ground We Won) et de voir en primeur des œuvres qui risquent bien de marquer l’année à venir (Brooklyn, Green Room). Si l’on ajoute à ces festivals quelques sorties en DTV, nous obtenons une belle brochette de films aussi importants que ceux qui figureraient dans un top « conventionnel » et limité aux sorties en salles.
Il ne vous reste plus qu’à découvrir les films choisis par chacun de nos rédacteurs et à vous inviter à nous faire partager, dans les commentaires en fin d’article, quels sont vos coups de cœur quelque peu oubliés de l’année passée.
Les choix d’Alex Rallo :
Vous aviez aimé l’exploration historiographique de Bang Rajan et la virtuosité survivaliste d’Apocalypto ? The Dead Lands est pour vous. A une époque indéterminée, des tribus maories s’affrontent au cours de guerres territoriales sanglantes. Lorsque Hongi se retrouve seul survivant de son clan, il conclut une alliance avec un compagnon improbable, et entame une course-poursuite effrénée avec ses adversaires au sein d’une forêt abritant nombre de légendes mystérieuses, considérées comme des malédictions. Façonnant ici une œuvre intègre et généreuse, Fraser change catégoriquement de registre et propose de plonger dans la culture maorie à tous les détours de son film : à travers la langue, les mœurs, le rapport à la spiritualité, les armes et même les arts martiaux. Car oui, The Dead Lands est un film d’action nerveux et dynamique, peut-être pas aussi maîtrisé que les plus grandes épopées cinématographiques, mais globalement très plaisant à suivre grâce à des acteurs charismatiques, des décors naturels subjuguants et une réalisation appliquée, donnant parfois lieu à de magnifiques séquences de combat nourries d’une photographie remarquable. Ainsi, même si le scénario aurait mérité quelques retouches structurelles, et que la musique aurait gagné à être plus ouvertement traditionnelle, on ne peut décemment pas bouder son plaisir devant tant de bonté ciné-génique. Une preuve de plus que les multiples légendes composant l’histoire humaine sont une source intarissable de fables à la portée épique.
Disponible en DVD et Blu-ray depuis le 29 juillet 2015 en francophonie.
Dans une période caractérisée par d’importants flux migratoires, une jeune femme est prise entre deux courants lorsque, après avoir abandonné sa famille et quitté son pays à contre-cœur dans l’espoir de trouver du travail, elle parvient à se construire une vie familiale sur sa terre d’accueil. Rappelée dans sa ville natale suite à un drame, elle doit faire le choix qui déterminera définitivement son parcours à venir : à quelle culture son cœur appartient-il désormais ? S’il aurait pu se dérouler aujourd’hui, Brooklyn revient en fait sur l’immigration de masse des Irlandais vers l’Amérique du Nord dans les années 1950, encouragée par le manque d’opportunités et la pauvreté affectant l’île d’émeraude. John Crowley, cinéaste irlandais qui avait réussi l’exploit de bâtir un film choral indépendant en 2003 avec Intermission (comprenant par ailleurs la cascade la plus chère de l’histoire du pays !), revient ici au bercail après un passage outre-Atlantique (avec le film d’espionnage Closed Circuit) pour nous offrir un mélodrame archétypal sur les questionnements culturels et émotionnels de la population irlandaise soumise à l’immigration. Le film, sauvé des clichés par une écriture équilibrée et par la justesse incroyable de ses acteurs, Saoirse Ronan en tête, explore la problématique identitaire de manière pertinente (opposant communautés, mixités nationales et sociales, et chocs culturels), pour finalement apporter une conclusion parfaitement intelligente à un récit bouleversant.
Sortie prévue au cinéma pour le 9 mars 2016 (Romandie et France).
Peu après la sortie de son film culte Ghost in the Shell, Mamoru Oshii avait imaginé l’histoire qui donnerait lieu à Garm Wars: The Last Druid, un hybride de live-action et de CGI. Le film qui, selon ses dires, a dû attendre les avancées technologiques nécessaires pour être conçu, est également son premier tourné en anglais, puisqu’ayant émergé d’une coproduction entre le Japon et le Canada. Que raconte donc Garm Wars ? Factuellement, il s’agit d’une histoire de SF se déroulant sur une planète habitée par trois espèces se livrant une guerre sans fin. Suite à une attaque, une soldat-clone nommée Khara-23 est séparée de sa faction et doit voyager jusqu’aux terres sacrées d’anciens dieux disparus en compagnie d’un ennemi, d’un prêtre et du dernier druide en vie. Si le film s’ouvre sur une scène de combat aérien stupéfiante (mettant ses concurrents à l’amende), le récit s’embourbe ensuite dans des dialogues abscons et une quête dont la finalité nous échappe. Comme souvent avec Oshii, ce sont les visuels qui l’emportent sur la structure, dans ce cas bien plus destinée à construire non pas une intrigue, mais une mythologie inspirée des légendes celtes, et à transmettre un sous-texte particulièrement pessimiste. Ainsi, les dieux sont des êtres eschatologiques intolérants, et les soldats nés de la science témoignent de la mort d’une spiritualité anéantie par un désir métaphysique intense. La guerre, futile, est menée pour des raisons que tous ont oublié, en atteste une fin des plus nihilistes. Garm Wars est un film excessif, dans lequel les maniérismes du réalisateur sont exacerbés, comme si aucun producteur n’était jamais venu lui porter conseil. Bref, un objet expérimental à la limite du digeste, mais au pouvoir hypnotique fascinant pour quiconque reste sensible à l’œuvre du cinéaste, et surtout au travail toujours remarquable de l’immense compositeur Kenji Kawai.
Aucune sortie prévue en francophonie (DVD américain et allemand disponibles).
Les choix de Jean Gavril Sluka :
Il y a un problème de distribution, il est connu : le cinéma indépendant américain n’est pour l’essentiel pas diffusé en francophonie. Quand un produit passe entre les gouttes, il appartient généralement à la forme la plus standardisée du feel good movie calibré sundancerie. Il y a un problème de la critique – et il est moins discuté : l’intérêt et la capacité à louer dans la profession tendent à aller vers des films budgétairement « équilibrés », sur un sujet sérieux et/ou une forme imposante de maîtrise. De cela, deux catégories de films se retrouvent lésées. 1) Celle qui, vu l’affluence publique, peut, après tout, bien se passer que se fasse ou ne se fasse pas un vrai travail critique (fond : vous avez-lu beaucoup de choses intéressantes sur ce que les productions Marvel peuvent dire de l’époque en termes géopolitiques ? / forme : l’élégance plastique d’un Fast & Furious 7, un certain sens de l’expérimentation ludique, a-t-elle souvent été relevée ?). 2) Celle des « petits » films, à la forme légère et au sujet modeste, dont la survie dépend, quant-à-elle, d’un bouche à oreille relayé par des professionnels. Andrew Bujalski et Joe Swanberg œuvrent sans s’en plaindre, sans demander plus de moyens que les micro-budgets qu’ils pratiquent, dans cette seconde catégorie.
Results et Digging for Fire invitent dans l’univers de ces deux auteurs rattachés à ce qu’on appelait il n’y a encore pas si longtemps le mumblecore un casting fait de comédiens mainstream (geste déjà opéré par Swanberg depuis Drinking Buddies) en interrogeant, par une forme un peu plus aisée et léchée que celle de leurs débuts, leurs obsessions de toujours. Côté Bujalski, l’imbrication d’un style de vie et d’une manière d’en faire commerce, la tension entre intégrité et survie professionnelle, côté Swanberg, le rapport à son âge, la difficulté à être en couple (sans parler de gérer une vie de famille) quand le capital symbolique et financier du milieu de la conjointe est supérieur à celui du conjoint. Ces films ne seront typiquement pas qualifiés de « grands » – cela non seulement au vu de leur statut budgétaire, mais en regard d’une ambition à saisir le plus honnêtement possible la quotidienneté de gens, peu ou prou, « comme vous et moi » dont semblent se contre-foutre ceux dont les notules célèbrent mensuellement le divorce de l’art et de la vie. Pas tout à fait une coïncidence que leur monde créatif respectif accueille désormais des comédiennes et comédiens (Cobie Smulders, Guy Pearce, Anna Kendrick, Jake Johnson, etc.) fraîchement évadés de blockbusters que les mêmes déconsidèrent. Début possible d’une ère où des stars, comme on s’offrirait un week-end prolongé dans une belle région, ou le vendredi soir un bon restau, pour s’occuper entre deux tournages conséquents, se choisissent un indie pur et dur, rien que pour eux. Probablement pas pour le cachet qu’Orlando Bloom dit oui à Joe Swanberg. Un critique observe ce mouvement plus attentivement que ses confrères : Richard Brody du New Yorker. Il est possible que tout ce qui précède ne soit que le result d’une jeune tête trop influencée par lui. Diggez quand même !
Results a été présenté au dernier Zurich Film Festival, aucune sortie prévue pour Digging For Fire.
Les choix de Thomas Gerber :
Bridgend, petite ville du Pays de Galles, connaît une étrange vague de suicides par pendaison auprès de sa population adolescente. C’est dans ce contexte bien particulier que Sara et son père policier reviennent s’installer dans la commune qu’ils avaient quittée depuis plusieurs années. Alors que la jeune fille va peu à peu intégrer un groupe d’ados, son père va devoir enquêter sur l’affaire qui secoue la ville tout en essayant de protéger Sara de ses nouvelles fréquentations.
Pour son premier long-métrage de fiction, le Danois Jeppe Rønde s’empare d’une histoire vraie avec intelligence et sensibilité. Plutôt que de tomber dans le récit détaillé de la tragique vague de suicides qui frappa effectivement Bridgend entre 1996 et 2010 (ce n’est d’ailleurs qu’à la toute fin qu’un carton nous indique la véracité du phénomène) ou dans la tentative stérile et prétentieuse qui viserait à expliquer rationnellement le phénomène, le réalisateur favorise le mystère en dépeignant la ville et ses environs comme un endroit aux propensions mythologiques. La nature dans laquelle les jeunes se rendent pour s’adonner à d’étranges rituels occupe une place centrale et se voit investie d’une véritable force d’influence sur les protagonistes qui semblent entretenir un rapport quasi-païen avec les éléments. La magnifique photographie de Magnus Nordenhof Jønck et la musique grondante de Karsten Fundal parachèvent le portrait de ce lieu fascinant. Autant d’éléments qui font de Bridgend un saisissant premier film d’une noire beauté sur lequel plane l‘ombre du poète gallois Dylan Thomas et son fameux And Death Shall Have No Dominion. Une plongée dans des eaux troubles qui n’a pas fini de nous hanter.
Bridgend a été présenté au dernier Neuchatel International Fantastic Film Festival en compétition internationale. Aucune annonce d’éventuelle sortie DVD n’a encore été faite.
Terriblement lucide et pertinent, Krigen expose avec brio la complexité morale d’un conflit armé. En retraçant le parcours d’un commandant de compagnie danois engagé en Afghanistan et forcé de prendre une décision instinctive sur le champ de bataille, le troisième film Tobias Lindholm (réalisateur du très réputé Kapringen, traduit A Hijacking) se penche sur la face juridique de la guerre. Parce que le bombardement qu’il a demandé à l’aveugle pour sauver ses hommes lors d’une attaque menée par des Talibans a causé une dizaine de pertes civiles, le commandant Claus Michael Pedersen est arrêté et poursuivi par son propre pays pour crime de guerre.
Se contrefichant du politiquement correct, le film de Lindholm place le spectateur face à des dilemmes particulièrement inconfortables. En effet, Krigen n’hésite pas à mettre en lumière l’ambigüité politique de la logique droit-de-l’hommiste qui va jusqu’à condamner un de ses propres commandants qui tentait de sauver ses soldats. De là à dire que le zèle de morale sape la camaraderie et s’apparente ici à de la trahison, il n’y a qu’un pas que nous serions tentés de franchir.
Parce qu’il assume la dureté de son sujet et évite tout manichéisme idiot, Krigen s’impose aisément comme le complément essentiel à American Sniper, l’autre excellent film de guerre de l’année, tout en parvenant à surpasser l’œuvre de Clint Eastwood dans la description des relations familiales d’un soldat.
Krigen a été présenté au dernier Zurich Film Festival en compétition internationale.
Impossible finalement de ne pas mentionner le choc Il est difficile d’être un dieu, le film posthume du Russe Alexeï Guerman, accouché dans la douleur après une production de plus de 13 ans. Adapté du roman de science-fiction du même nom des frères Strougatski (également auteurs de Stalker. Pique-nique au bord du chemin), le film retrace le parcours d’un groupe de scientifiques terriens sur une planète similaire à la notre, où les habitants vivent avec un retard d’environ 800 ans dans une société qui s’apparente à celle de la fin de notre Moyen Âge.
En guise d’avertissement, Svetlana Karmalita, l’épouse de Guerman qui s’est vue forcée de terminer le film après le décès du réalisateur en 2013, a déclaré que « celui qui parvient à rentrer dans la première moitié du film […] pourra attendre la deuxième et survivre à la première » avant de continuer « pour ceux qui n’y arriveront pas, je dois vous dire : vous avez raison, à votre manière. » Nous ne pouvons que lui donner raison tant Il est difficile d’être un dieu est un film déroutant. Immense fresque nihiliste de presque trois heures, l’ultime film de Guerman atteint un niveau d’âpreté jamais égalé. Le réalisateur nous plonge au cœur d’une société « médiévale » où l’homme ne se distingue guère de l’animal. Abrutis par une autorité qui chasse la culture, les personnages errent et s’enfoncent peu à peu dans la merde et la boue, au propre comme au figuré, dans un environnement où « les pluies sont brèves et visqueuses, et les brouillards durables. »
Face à ce théâtre baroque filmé dans un splendide noir et blanc, le spectateur est sans cesse agressé par des premiers plans intempestifs et des regards caméra dérangeants. Ça crache, ça pisse, ça vomit sans arrêt alors que les « raisonneurs » sont noyés dans les latrines et les corps mutilés. Au final, on ne sait pas si nous assistons aux derniers jours de l’obscurantisme ou au portrait de ce à quoi notre monde pourrait ressembler au lendemain d’un effondrement. Dans tous les cas, le rendu est saisissant.
Disponible en DVD depuis le 3 septembre 2015 en francophonie.
Le choix de Sébastien Gerber :
Green Room est un film qui ne prend pas de détours. Un groupe de punk rock, sans le sou après un concert mal organisé, se retrouve obligé de se produire dans un repère de skinheads néo-nazis pour gagner les quelques dollars qui lui permettront de continuer la tournée. Par pure malchance, les jeunes musiciens seront témoins d’un meurtre et n’auront pas d’autre choix que de s’enfermer à double tour dans les loges (la green room du titre). Débute alors un jeu de massacre d’une violence rare et sans pitié, un survival éprouvant, qui n’épargnera personne. Et pourtant, Green Room, troisième long-métrage en date du jeune réalisateur (après Blue Ruin et Murder Party), est un film qui surprend. Débarrassé des observations sociales trop visibles du précédent film, réduit à une confrontation quasi caricaturale entre punks et néo-nazis (le coup d’envoi est lancé lorsque le groupe reprend « nazi punks fuck off » des Dead Kennedys), généreux en séquences gores douloureuses, le film réussit toutefois à créer une réelle empathie pour ses personnages. Nous souffrons avec eux, nous paniquons avec eux, lorsque les suprémacistes blancs, dirigés par un Patrick Stewart tétanisant, mettent au point leur assaut, lâchent les chiens ou tailladent la main de l’un des jeunes qui s’est fait piéger. La terreur est absolue et les scènes se suivent, toutes imprévisibles, promptes à éliminer peu importe quel personnage qui aurait eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Si Green Room n’a pas la même force évocatrice et la porté du sous-texte social sensible que l’on trouvait dans Blue Ruin, il se démarque par la sincérité d’écriture accordée à ses personnages et le pragmatisme effrayant des assaillants au crâne rasé.
Green Room a été présenté au dernier Neuchatel International Fantastic Film Festival en compétition internationale où il a reçu le Narcisse du meilleur film, le prix du public et le prix de la jeunesse, sortie prévue en France le 13 avril 2016 et le 2 juin 2016 en Suisse.
Les choix de Thibaud Ducret :
Premier film de John MacLean, Slow West porte bien son titre. Western lent et contemplatif, il prend le temps d’installer son univers et ses personnages afin de nous immerger intensément dans l’aventure qu’il propose. L’histoire est celle de Jay, jeune Écossais qui traverse les plaines américaines à la recherche de son amour perdu. Sur sa route vers l’Ouest, il rencontre Silas, mercenaire sans scrupule qui l’accompagnera dans sa quête.
MacLean exploite ainsi de nombreux thèmes classiques du genre et use d’un schéma connu : la rencontre entre un jeune innocent pur et naïf avec un vieux cowboy violent et désabusé, rencontre qui mènera le premier à découvrir la dureté du monde et le second à réapprendre à vivre et aimer son prochain. Un pitch qui rappelle le True Grit des frères Coen, avec lequel Slow West partage d’ailleurs également un goût pour l’humour noir et les envolées absurdes (les héros croisent par exemple le squelette d’un bûcheron écrasé par le tronc qu’il a lui-même abattu). Néanmoins, même si la relation entre les deux protagonistes fonctionne parfaitement grâce à ses excellents interprètes (Michael Fassbender et Kodi Smit-McPhee), Slow West n’atteint jamais vraiment la même puissance évocatrice que le film des frères Coen. La faute sans doute à une propension à expliciter un peu trop directement son propos dans les dialogues et surtout à travers une voix-over de Fassbinder au final assez peu utile.
Malgré cela, le premier long-métrage de John MacLean reste fascinant, entraînant et touchant. Tourné en format académique (1,375 : 1), le film offre également de très belles images, composées avec soin et superbement éclairées. Le western étant un genre plutôt rare ces temps-ci, il faut profiter de chacune de ses bonnes itérations. Slow West en fait indéniablement partie.
Slow West a été présenté au dernier Neuchatel International Fantastic Film Festival.
Neuvième film du Néerlandais Alex van Warmerdam, Schneider vs. Bax porte lui aussi très bien son titre (original). Le pitch est le suivant : le jour de son anniversaire, le tueur à gages Schneider est mandaté pour éliminer Bax, un écrivain alcoolique et accro au speed qui vit seul au cœur des marécages. La tâche semble des plus simples, mais ce que Schneider ignore, c’est que Bax est en réalité lui aussi un assassin rôdé, et qu’il compte bien ne pas se laisser abattre aussi facilement.
D’un point de départ minimaliste, Alex van Warmerdam orchestre une comédie noire ludique et surprenante. Non content de transposer certains codes du western dans un cadre inattendu (une maison au design épuré, perdue au milieu des roseaux), le cinéaste livre également un scénario aussi improbable que prenant. Grâce à une écriture inventive qui fait preuve d’un sens de l’absurde réjouissant et multiplie les twists tous plus tordus les uns que les autres, le plaisir de projection est sans cesse renouvelé. Ainsi, les deux antagonistes voient leur affrontement se compliquer par une série d’imprévus, notamment l’intervention constante de leurs familles respectives : Bax doit gérer la visite impromptue de sa fille dépressive puis de son père, tandis que la femme de Schneider ne cesse de lui téléphoner pour savoir s’il pense rentrer souper. Le tout est certes un peu confus par instant et tire légèrement en longueur sur la fin, mais, ne serait-ce que pour sa proposition initiale peu commune, Schneider vs. Bax est une vraie curiosité qui mérite le coup d’œil.
Schneider vs. Bax a été présenté au dernier Festival del Film Locarno en compétition internationale.
Le choix de Nathanaël Stoeri :
Montré en festivals durant l’année 2014 avant de sortir dans l’anonymat le plus total en France en avril dernier, Beyond Clueless se devait de figurer dans notre papier sur les films passés sous le radar. En effet, Charlie Lyne propose un véritable voyage kaléidoscopique dans les tréfonds du film d’adolescents des années 90. Porté par la voix rauque et fascinante de Fairuza Balk qui incarnait la sorcière en chef du mal aimé The Craft, le réalisateur réussit grâce à un montage astucieux à télescoper plus de deux cents extraits de films. Faisant appel à nos souvenirs de jeunes cinéphiles (vous qui avez grandi avec Clueless, ce film est fait pour vous), le réalisateur fait naître une certaine émotion nostalgique qui monte crescendo durant tout le film. Il décortique minutieusement chaque élément du film de collège, en parlant notamment de l’importance du lieu (un campus, une cafétéria, etc.), des premiers émois amoureux mais aussi et surtout de cette incroyable solidarité qui lie certains groupes d’étudiants face aux difficultés de grandir, de paraître et d’être en perpétuelle compétition avec ses semblables. Des étapes que nous avons tous vécues à l’adolescence à des degrés divers. A travers son remarquable documentaire, Charlie Lyne parle à chacun de nous, de manière universelle.
Le choix de James Berclaz-Lewis :
À la lisière d’un village côtier plongé dans une ambiance cendrée et granuleuse, un groupe de prêtres, bannis de l’Église et censés purger leurs péchés passés, égaient leurs journées en entrainant un lévrier de course. La présence d’un nouvel arrivant va s’accompagner d’un sinistre “retour du réprimé” et perturber la tranquillité de cette communauté d’indésirables. En minant adroitement le potentiel sensationnaliste du sujet, Larraín entreprend de décortiquer d’une part l’état d’esprit nécessaire à la perpétuation de leurs crimes et d’autre part l’étrange système que le Clergé emploie pour effacer ces immondes écarts de conduite. Sont peints avec noirceur, mais non sans humour, les portraits de criminels placés en marge de l’existence, en liberté autant qu’ils sont cloîtrés, ainsi que les maladresses d’une institution qui s’octroie plus de droits qu’elle n’en garantit. Après No, El Club confirme Larraín comme l’une des figures de proue des têtes pensantes du cinéma.
El Club a été présenté au dernier Zurich Film Festival.
Les choix de Loïc Valceschini :
Ruined Heart: Another Lovestory Between A Criminal & A Whore, Khavn, Philippines/Allemagne
Ruined Heart propose l’une des associations de talents des plus improbables. Discrètement projeté en 2014 au Tokyo International Film Festival, cette coproduction entre les Philippines et l’Allemagne réunit en effet le réalisateur Khavn (à qui l’on doit entre autres l’éprouvant Mondomanila), le chef opérateur Christopher Doyle (talentueux collaborateur de Wong Kar-wai) et la star japonaise Tadanobu Asano (l’exubérant Ichi the Killer dans le film éponyme de Takashi Miike). Le résultat s’avère aussi inattendu que la nature du projet lui-même, où l’épure, la poésie et l’expérimental ne cessent de s’entremêler. Ruined Heart conte l’histoire d’amour entre un mafieux japonais et une prostituée latina. Enfin, à défaut de la raconter, elle l’illustre. Fidèle à ses précédents travaux, Doyle manipule différents styles et formats, et n’hésite pas à faire officier les acteurs en tant que cadreurs. Sa photographie est à l’image du film, à la fois brute et tendre, constamment surprenante. Omniprésentes, les musiques employées – souvent pourvues de sonorités rétro – aident à nous plonger dans cette fable qui échappe au temps et aux contraintes. On se laisse perdre dans cette douce mélancolie, goûter à la passion qui anime les protagonistes et se perdre avec eux dans les recoins pittoresques de Manille. Une rêverie évanescente qui nous balade entre tristesse et émerveillement.
L’excellente boîte de distribution britannique Third Window Films a récemment sorti une édition limitée du Blu-ray qui comprend également la musique du film.
Sur plus d’une année, les cinéastes Christopher Pryor et Miriam Smith ont suivi l’équipe de rugby de Reporoa, un patelin de Nouvelle-Zélande où la plupart des joueurs de l’équipe non-professionnelle travaillent comme agriculteurs. Rejetant toute forme de sentimentalisme et de jugement, les documentaristes construisent leur film autour de trois personnages centraux qui dessinent progressivement la courbe de vie de ces hommes, chacun d’eux symbolisant une étape et des enjeux précis. Pryor et Smith contrastent l’aspect terre-à-terre de leur sujet par une esthétique enlevée, puisqu’ils capturent les milieux agraires et sportifs dans un magnifique scope en noir et blanc. Au gré de séquences envoûtantes et parfois oniriques, ils s’affranchissent du microcosme rural dépeint pour aboutir à une forme d’universalité, embrassant autant des questions sociales que culturelles. The Ground We Won se présente comme une œuvre sensible et empathique qui ne s’adresse pas forcément aux amateurs de rugby. D’ailleurs, les cinéastes ne se cachent pas de ne pas être des aficionados de ce sport.
Sélectionné en août 2015 à la Semaine de la critique du Festival del Film Locarno, The Ground We Won est disponible en DVD et en streaming sur le site officiel mais pour l’instant uniquement pour le territoire néo-zélandais.
Malgré tout ce qu’on peut lire ou entendre, on ne sait jamais ce que peut nous réserver un film – c’est aussi ça qui rend la cinéphilie si précieuse. Lors de la projection de Chasuke’s Journey à la Berlinale en février 2015, tous les échos étaient négatifs ou, au mieux, mitigés. Aussi, quand l’auteur de ces lignes eut la possibilité de rattraper le film de Sabu, quelle ne fut pas sa surprise en découvrant ce festival d’émotions certes imparfait mais duquel se dégage une véritable sincérité. Avec simplicité et poésie, le réalisateur japonais adapte son propre livre qui narre l’histoire d’un ange se rendant sur Terre afin de sauver une fille dont il est éperdument amoureux.
Après une première partie hautement inventive, rythmée et franchement drôle, Chasuke’s Journey vire à la romance et au drame. C’est cette confrontation des genres qui transforma le ressenti du film en négatif chez une partie des spectateurs – à croire que ceux-ci ignorent la grande propension des cinémas d’Asie à hybrider les formes et les genres. Toujours est-il que la deuxième partie du film délaisse quelque peu le concept fantastique (les anges écrivant la destinée des humains au paradis) et la légèreté de la première moitié au profit de la quête amoureuse. Malgré quelques digressions comiques, le film se permet à ce moment une forme d’épuration et, déambulant dans les ruelles et marchés de Naha à Okinawa, aboutit à l’une des plus belles scènes vues au cinéma en 2015. Et rien que pour ça, le film mérite le détour.
Chasuke’s Journey a connu plusieurs sélections en festivals internationaux (dont l’Étrange Festival à Paris) mais encore aucune en Suisse. Espérons qu’une sortie DVD soit prévue en 2016.
Très bonne idée que de mettre en valeur des films trop peu vus plutôt que d’entasser de la hype sur la même quinzaine de films surexposés, comme le font tant d’autres sites.
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Merci ! N’hésitez pas à partager vos belles découvertes de l’année, on est toujours preneur.
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