Agissant comme un révélateur estival, Suicide Squad donne à montrer, tant le meilleur de l’époque (les acquis socio-esthétiques irréversibles de la culture punk et hip-hop), que certains de ses aspects foncièrement déplaisants (le blanc-seing conféré à « quoi que ce soit qui nous protégera »).
La nostalgie est un état d’esprit fallacieux en cela qu’elle part du postulat cynique (et ultimement faux) que l’état des choses dans le passé valait mieux que celui du présent. L’ouverture de Suicide Squad, nous présentant un à un les adorables méchants qui donneront du fil à retordre aux vraies menaces (selon le credo éculé « fighthing fire with fire ») réactive les codes de tout un cinéma badass 70’s-80’s : cartons introductifs de chacun façon Extreme Prejudice de Walter Hill, trognes et comportements dignes de Peckinpah, clin d’œil vestimentaire à la blacksploitation, argument de l’appareil électronique pouvant mettre à mort le détenu appelé à servir droit sorti de Escape From New York… A une différence décisive près : contrairement aux membres d’une Suicide Squad sauvant le monde pour une machine à espresso dans leur cellule ou le droit de visite à leur fille, ces sociopathes élevés à l’école de la rue ne se rangeaient pas du côté de la loi (accompliraient-ils même sa besogne). Les gentils méchants du DC nouveau, biberonnés entre-temps à l’imagerie du gansta-rap, incarnent, eux, patriotisme et défense des libertés. C’est une chose d’aimer, comme à peu à près la majorité des cinéphiles, les influences mentionnées. C’en est une autre de souhaiter les mêmes films pour aujourd’hui… sans assumer qu’il faudrait dans ce cas consentir à l’état des choses qui produisait les Hill et Peckinpah. Si Suicide Squad lorgne d’un œil (mais d’un seul) vers le cinéma de rumination que regrettent ceux à qui convenaient apparemment plutôt bien la cruauté d’hier (grosso modo les mêmes qui ne supportent pas l’idée qu’on refasse Ghosbusters avec un casting féminin), son autre pupille fixe, elle, complètement l’air du temps (jusque dans une esthétique que résumait Grimes avant même la sortie du film). D’où un effet de strabisme quelque peu déconcertant.
Attention : le texte qui suit dévoile des éléments de l’intrigue.
Cette amorce paraîtra éventuellement sévère avec un spectacle globalement plaisant, plus digeste en tout cas que le destruction porn à la sauce Snyder. David Ayer (que sa fiche imdb nous explique, sans grande surprise, envisager de refaire LaHorde Sauvage) a pour lui un sens de l’action en milieu urbain additionné à une maîtrise authentique de la couleur. Suicide Squad fait, littéralement, plaisir à voir… ce qui n’est déjà pas rien dans une constellation d’adaptations de comics où le souci esthétique ne semble, euphémisme, pas toujours irrésistible. Contrairement à une idée reçue, la majorité des blockbusters en cape récents sont plus intéressants pour le fond qu’ils charrient qu’en termes de mise en scène. Ce sont eux qu’il faut voir pour comprendre où en est la mythologie américaine (celle qu’elle se raconte à elle-même, autant que celle qu’elle vend au monde en soft-power). La vision que Suicide Squad élabore se montre à la fois tolérante à l’interne (affirmant une exigence d’inclusion, de prise en compte de groupes jusqu’à il y a peu marginaux dans la politique U.S.) et belliqueuse à l’externe (où tous les moyens sont bons pour assurer la sécurité d’un territoire). Les signes identifiables de la rébellion qu’elle manie, non sans panache, servent finalement une idéologie de la force brute. Ses personnages rappellent étrangement les enrôlés « têtes brulées » de la seconde guerre du Golfe, ceux dont la formation militaire paraissait moins compter sur le terrain qu’une témérité alimentée au shoot’em up et au virilisme X.
Probablement par inquiétude devant le concurrent Deadpool, la sortie du film a été repoussée de quelques mois, au motif d’une volonté d’y ajouter des traits d’humour au montage (ce que s’était d’ailleurs empressé de démentir David Ayer). En alignant toutes ces punchlines (Margot Robbie fait ici le gros du job), le film n’a encore rien de la légèreté des Marvel progressistes (Ant-Man en tête). Accentuer, par la forme, la bande-son et le jeu, le caractère ludique de l’entreprise ne détourne pas du programme fondamentalement épais de DC Comics. Comme Batman vs Superman le faisait en matière de juridiction, en critiquant les principes de l’état de droit quand ils servent à piéger le héros providentiel, mais cette fois en envisageant des moyens paramilitaires, l’écurie pousse un agenda agressivement républicain. Ses exécutants semblent toutefois le prendre un cran moins au sérieux que ce n’était le cas dans ce précédent fait d’arme, lui incroyablement pompeux.
Pour assurer la défense des États-Unis, la fonctionnaire Amanda Waller (Viola Davis) soumet à son haut-commandement le projet du titre, consistant à élaborer une brigade faite de méta-humains, pour le moment détenus dans un centre haute-sécurité de Floride. Ces grands criminels comptent, entre autres, Deadshot (Will Smith), tueur à gage as de la gâchette, Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje) balèze créature avide de chair fraîche, Diablo (Jay Hernandez), torche vivante désireuse, après la destruction sous le coup de la rage de sa famille, de ne plus laisser cours à sa pyromanie… et bien sûr Harley Quinn (Margot Robbie) – maîtresse du Joker (Jared Leto), qui en pygmalion sadique a transformé son ancienne psychiatre en une psychopathe enamourée. Robbie est assurément une sex-symbol, autant qu’une actrice de comédie au timing irréprochable. En matière de charme, mais c’est tout personnel, on en pincerait plutôt pour Cara Delevingne – ici dans le double-rôle plus ingrat d’une archéologue possédée par l’esprit qu’elle a déterré dans une grotte, Enchantress, sorcière aux pouvoirs quasi-illimités si en possession de son cœur, que Waller conserve précieusement pour la contrôler. C’est contre cette force occulte quand elle s’échappe, qu’en compagnie de son partenaire le G.I Rick Flag (Joel Kinnaman), la Suicide Squad est appelée à se battre.
Deux idées potentiellement subversives, bien qu’en l’état inégalement exploitées, sont esquissées par le récit. La première tient au fait que ce contre quoi lutte cette unité d’élite (désavouée si elle échoue mais fichtrement utile) est un produit de la même formation qu’elle. Enchantress est une force ayant échappé à ceux, sinon qui l’ont créée, du moins qui se la sont appropriée à leurs propres fins sécuritaires. La seconde, qui pleinement explorée aurait abouti à un script d’un intérêt supérieur, consiste en la séduction permanente du Joker sur la compagne dont on l’a séparé de force, résultant en son enlèvement (plutôt son évasion volontaire) lors de la mission pour laquelle elle a été lâchée en ville. Une possibilité que le film présente explicitement, mais n’ose pas mettre en scène ensuite, aurait été le retournement de l’équipe complète sous les ordres d’un méchant dont la menace ici plane mais ne se concrétise pas (qui dès lors ne fait figure que d’appât pour une suite). Un argument décisif contre le mercenariat, alors que les enjeux de sécurité et de géopolitique se voient progressivement laissés au secteur privé, est que par définition les mercenaires ne marchent qu’à l’intérêt… qu’il se peut dès lors que l’ennemi, en se montrant plus offrant, ne les rachète à son compte. Il paraît étrange, et quelque peu incohérent, que dans un film qui ne se montre pas embarrassé de défendre dans son dialogue que la Seconde Guerre mondiale a entre autres été gagnée grâce à des arrangements de la Maison Blanche avec la mafia, un méchant soit, bien classiquement, un chef de la pègre. Cela explique en revanche la difficulté à faire quelque chose de cette force maléfique. Le Joker est un personnage trop fort (et trop rattaché à une division décente entre légalité et illégalité) pour qu’un film au propos – au mieux – alambiqué en la matière ne sache pas trop quoi faire de lui.
Agissant comme un révélateur estival, Suicide Squad donne à montrer, tant le meilleur de l’époque (les acquis socio-esthétiques irréversibles de la culture punk et hip-hop), que certains de ses aspects foncièrement déplaisants (le blanc-seing conféré à « quoi que ce soit qui nous protégera »). Bien plus encore que Marvel, DC Comics sous pilotage Warner souhaiterait qu’on prenne son apport au sérieux. Ses deux dernières superproductions tombent, il n’y a là rien d’innocent, en pleine année de présidentielle. Si Suicide Squad se déroule au pays (seule la sortie de geôle de ses héros malgré eux convoque un décor ressemblant à s’y méprendre à celui de la présence militaire au Moyen-Orient), c’est bien du dehors dont il est question. Sortant dans un contexte électoral partagé entre une candidate s’étant déjà illustrée par des mesures impérialistes comme ministre des affaires étrangères, et un autre qui, s’il prétend ne pas avoir de programme pour l’étranger, fait montre d’une islamophobie lui aliénant déjà le monde arabe – sans mentionner le genre d’ego mussolinien apte à déclencher une guerre avec l’Inde pour une battle de tweets –, le film fait sur la question état d’une mentalité n’ayant sa place qu’ici, dans les multiplexes.
SUICIDE SQUAD
Réalisé par David Ayer
Avec Will Smith, Margot Robbie, Jared Leto, Viola Davis, Ben Affleck
Sortie le 03 août 2016