qr4kstrEn Juillet 1999, le récit de trois étudiants en cinéma s’égarant caméra au poing dans une forêt du Maryland à la recherche des traces d’une sorcière mentionnée dans les légendes locales  provoquait son onde de choc. Le Projet Blair Witch, tourné par deux débutants (Daniel Myrick, Eduardo Sánchez) pour trois francs, six sous, prenait l’allure d’un classique instantané, symbolisé par une affiche iconique. Sa réussite tient au minimalisme de son dispositif, souvent imité, rarement égalé. En donnant forme à ce qu’il conviendra d’appeler le found footage, le film fait preuve d’une intelligence budgétaire redoutable : aucun effet complexe, mais une trajectoire faussement droite, allant de l’avant pour aboutir au même point, pas loin d’une ligne grunge, jouant de la désorientation, la peur du noir, les tensions internes à un groupe en état d’épuisement physique et de leurs ressources. La mythologie qu’il esquisse mise de côté, le film transmet la terreur d’un simple égarement dans les bois, cela non pas dans un territoire illimité, mais probablement à quelques miles à peine de la civilisation. Le phénomène Blair Witch est permis par l’avènement des caméras DV, le film dramatisant la transition de la pellicule au numérique (via les deux caméras dont le point de vue est épousé, une digitale, une 16 millimètres). Adam Wingard et son scénariste Simon Barrett doivent eux aussi leur avènement dans les années 2000 à ce nouveau matériel de tournage, réalisant avec pour des budgets dérisoires leurs films de genre ou essais mumblecore (Autoerotic, recommandable coréalisation avec Joe Swanberg). Leur duo est un choix logique pour ré-explorer un univers que l’original laissait poindre en un mode allusif.


 

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À l’impitoyable linéarité du premier film, Wingard et Barrett préfèrent la fragmentation, multipliant les points de vue, augmentant le nombre de personnages, allant jusqu’à accomplir une boucle temporelle en pirouette finale, exagération d’un principe fatalement circulaire. Blair Witch n’est pas un remake, mais une suite, imaginant la quête par son frère James (James Allen McCune) d’une victime initiale. Le film fait ainsi fi d’une précédente suite (Book of Shadows), que chacun aura depuis préféré oublier, lancée sur les écrans quinze mois après la sortie du coup Myrick/Sánchez. Contrairement à celle-ci, Wingard et Barrett ont compris que l’intérêt des forêts hantées par la sorcière de Blair tient à un filmage à la première personne, condition d’une peur de la déroute. Mais ils sont également conscients que dix-sept ans de reprise du procédé sont passés par-là. Au souci de fournir une illusion de véracité ils substituent une logique exponentielle. Une simple réactualisation de l’original se serait faite par un recours aux caméras de téléphones portables. Blair Witch convoque un drone, des oreillettes, un appareil photo HD… une DV bien que sur un mode presque nostalgique (bonne caméra pour les environnements sombres, son usager explique-t-il, beaucoup de bande comme autre avantage mais peu de batterie en inconvénient). Fini le déroulement transparent fournissant l’apparence d’un objet trouvé, dont personne n’aurait à assumer le montage : tout de suite, le cinéaste est là. De fait, Adam Wingard est un plus grand metteur en scène que Daniel Myrick et Eduardo Sánchez. Cela ne signifie pas qu’il ait réalisé un meilleur film.

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Blair Witch marche comme une fête aux jump scares, où dans le noir, des situations de fuite, repères temporels brouillés, météorologie peu avenante, le plan-terreur se tapit, prêt à finalement frapper. C’est son charme et sa limite. On ne donne pas forcément cher d’une revoyure sur petit écran, une fois les péripéties connues. Reste que concernant le lieu et le moment pour lequel le film a été en premier lieu conçu – une découverte dans les salles obscures – le résultat est souvent délicieusement effrayant. L’attente d’être effrayé comme motif d’effroi, quitte à la résoudre par trois apparitions de vieille femme en arrière-plan. Cette radinerie en images-chocs trouvait son explication dans la mouture initiale par la restriction budgétaire, son génie étant de faire de nécessité vertu. La 2016 est au contraire condamnée à paraître plus pauvre qu’elle ne l’est, en quelque sorte insincère sur ce qu’elle serait en mesure de servir. D’où la frustration devant des situations annexes, des ramifications dispensables – grimper sur tel arbre, s’enfoncer dans tel tunnel – quand le fond légendaire est une fois de plus renvoyé, non seulement hors-champ (le récit d’un écartèlement historique), mais pour ainsi dire hors-film. Son budget estimé (5 millions de dollars) le place dans la catégorie moyenne d’une production Blumhouse, qui ne serait pas la plus fauchée, ni la plus aisée. Productions se montrant au besoin moins avares – peut s’y passer quelque chose à l’écran, pas uniquement via la bande-son. L’adéquation moyens disponibles/effets convoqués ne fonctionne dès lors plus si élégamment. Réinterprété les coudées plus franches, ce qui participait d’une économie stricte prend des allures, spots lumineux et bourdonnements à l’appui, de… tout ça pour ça?

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Si le succès devait couronner Blair Witch, donc relancer la franchise, deux choix seraient à disposition, qui le sortiraient de cet entre-deux du trop ou pas assez : ou repartir vers des bases authentiquement guérilla, ce que le modèle des studios rend on ne peut moins probable, ou explorer plus avant les promesses de cet univers, en offrant alors pour éviter la lassitude de quoi être horrifié. La force du concept tenant plus au pouvoir de suggestion qu’à l’originalité des motifs, on devinera, en dépit du pronostic, laquelle de ces options aurait notre préférence. En l’état, Adam Wingard, s’il n’a pas non plus à rougir de son tour de pistes dans les bois, ne trouve pas dans ce dispositif à plusieurs cadres tenus par d’autres un écrin pleinement adéquat à son talent. Peut-être parce qu’œuvrer à simuler l’impersonnalité, s’il s’agit là d’un bon exercice en modestie, n’offre pas l’opportunité à sa personnalité, pourtant affirmée, d’un supplément d’âme. Blair Witch confirme tout ce qu’on savait déjà de sa maestria tranquille, mais ne surprendra guère qui n’en doutait de toute façon pas.

BLAIR WITCH
Réalisé par Adam Wingard
Avec Callie Hernandez, James AllenMcCune, Brandon Scott, Corbin Reid, Valorie Curry
Date de sortie 21 septembre 2016

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