The Great Wall représente le recoupage de deux éléments aussi distincts que différents, puisqu’il rappelle à quel point il existe actuellement un besoin de héros vertueux, aux valeurs irréprochables, et combien les racines des récents États-Unis sont peu profondes. Bien qu’il soit présenté comme étant irlandais et que le récit se déroule à une époque précolombienne, le personnage incarné par Matt Damon semble pourtant être un Américain issu de la Conquête de l’Ouest.
Ces dernières années, l’hégémonie du cinéma hollywoodien a été ébranlée par un concurrent de taille : la Chine. Celle-ci ne cesse de gagner du terrain sur le pays de l’oncle Sam, notamment en achetant progressivement et depuis près d’une décennie des parts dans les boîtes américaines, autant dans la production que dans la vente et la distribution. The Great Wall marque une étape supplémentaire dans l’interpénétration de ces deux industries gigantesques. Et c’est Zhang Yimou, autrefois reconnu par la critique pour ses drames sociaux qui décortiquent la société chinoise, qui s’attèle à la réalisation de ce blockbuster hybride revisitant une légende entourant l’une des plus grandes constructions humaines. Après avoir dirigé Christian Bale dans le romantico-propagandiste The Flowers of War (2011), le cinéaste collabore cette fois-ci avec un trio d’acteurs occidentaux qu’il fait interagir avec de nombreuses vedettes chinoises. Mais quelle dialectique peuvent bien entretenir ces deux super-puissances du septième art dans un film interculturel qui fait la part belle à l’héroïsme ?
Contrairement à ce que laisserait penser le pourcentage d’acteurs chinois et la nationalité de son réalisateur, The Great Wall reste une production majoritairement américaine. Un constat que l’on ne dresse non pas en se renseignant sur la nature des financements, mais bien en découvrant le récit, essentiellement focalisé sur ses personnages blancs. Basé sur une histoire de Max Brooks (World War Z), le film s’ouvre sur une bande de mercenaires qui, après avoir échappé à des ennemis non-identifiables, se font attaquer au coin du feu par quelque chose que l’on ne voit pas. Les deux survivants, William et Tovar – respectivement incarnés par Matt Damon et Pedro Pascal –, fuyant à nouveau des ennemis, se voient contraints de se soumettre à une armée réfugiée à l’intérieur d’une grande muraille.
Une fois cette introduction passée, on pourrait imaginer que la narration rééquilibrera son flux d’informations en personnifiant quelque peu les protagonistes chinois qui apparaissent alors. Que nenni. Seuls la commandante Lin Mei (Jing Tian) et le stratégiste Wang (Andy Lau) – les uniques Chinois un tant soit peu anglophones –, auront droit à un semblant de consistance, du moins utilitaire, puisqu’ils permettent chacun au récit d’avancer. D’autres acteurs (Eddie Peng, Kenny Lin, Zhang Hanyu) n’hériteront quant à eux que d’un rôle en carton qui se confond avec de la pure figuration. Pire : lors de la première scène d’assaut, l’armée est introduite de manière infantilisante par William et Tovar, qui décrivent les différentes strates des régiments et leur rôle en fonction de leur couleur.
Une nuance est toutefois apportée à la perspective pro-occidentale par l’interaction entre les personnages de la commandante Lin Mei et de William. Bien que tous les deux soient des guerriers depuis toujours, ils ne partagent pas les mêmes valeurs : tandis qu’elle est guidée par la notion de respect, mue par une sensibilité patriotique, lui se laisse porter par ceux qui ont le pouvoir, dicté par l’instinct de survie. De plus, elle se laisse à une comparaison osée en assimilant William et ses semblables aux monstres qui attaquent la Grande Muraille, allégories émanant d’une punition divine ancestrale qui, chaque soixante ans, rappelle aux Chinois à quel point la cupidité est un vilain défaut. La commandante a ainsi une influence directe sur William en parvenant à lui insuffler le désir d’héroïsme. Alors qu’on se surprend de voir, dans une production inégale et principalement américaine, un protagoniste occidental prendre une leçon d’une Chinoise, le rapport entre les deux protagonistes ne tardera tristement pas à évoluer dans une autre direction.
En effet, à l’issue de la projection, il s’avère aisé de conclure que c’est grâce à l’aide d’un Occidental blanc que l’armée chinoise parvient à repousser son ennemi, ce qui permet à la nation et aux futures dynasties de prospérer. Une telle conclusion ne surprend guère lorsque l’on sait que l’un des co-scénaristes du film n’est autre qu’Edward Zwick, réalisateur de The Last Samurai, où l’on voyait Tom Cruise devenir l’ultime héritier d’une tradition japonaise centenaire. Si un tel écrasage culturel n’apparaît certes pas dans The Great Wall, la relation précédemment décrite entre les personnages s’en retrouve néanmoins inversée, le peuple chinois ayant désormais une dette envers l’Occidental.
Au-delà de ces aspects interculturels, Zhang Yimou propose un divertissement relativement équilibré, bien que son appauvrissement progressif en scènes d’action finisse par frustrer. La première séquence d’assaut fascine par sa minutie dans son déroulement et sa valorisation de l’organisation militaire – par opposition aux gens de la cour, ridiculisés plus tard –, où l’on retrouve le goût du réalisateur pour la grandiloquence. On n’assistera malheureusement jamais plus à de passages aussi jubilatoires dans la suite du récit. Le spectacle s’avère soit avorté (la scène du piège nocturne), soit moins intéressant dans ses enjeux, à l’image de cette scène finale peu cathartique où le cinéaste succombe entièrement à la plasticité des effets spéciaux.
Au final, The Great Wall représente le recoupage de deux éléments aussi distincts que différents, puisqu’il rappelle à quel point il existe actuellement un besoin de héros vertueux, aux valeurs irréprochables, et combien les racines des récents États-Unis sont peu profondes. Bien qu’il soit présenté comme étant irlandais et que le récit se déroule à une époque précolombienne, le personnage incarné par Matt Damon semble pourtant être un Américain issu de la Conquête de l’Ouest. Un anachronisme poussé mais qui soulignerait la volonté des scénaristes de se projeter dans une participation fantasmée aux légendes de l’Histoire. Et quoi de mieux que celles de contrées lointaines pour saupoudrer une histoire d’héroïsme – certes, légèrement désincarnée – d’une touche d’exotisme ? Sans réaliser le chaînant manquant entre deux industries cinématographiques qui ne cessent de s’apprivoiser, Yimou dirige une épopée de commande naviguant entre deux courants qui, à défaut d’être vraiment concluante, nous montre peut-être l’une des dernières occurrences hollywoodiennes d’un Occidental sauvant la mise des Asiatiques.
THE GREAT WALL
Réalisé par Zhang Yimou
Avec Matt Damon, Pedro Pascal, Jing Tian, Andy Lau, Willem Dafoe, Eddie Peng, Kenny Lin, Zhang Hanyu, Lu Han
Sortie en Suisse romande et en France le 11 janvier
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