À chaque édition sa superstar. En 2018, c’est Ethan Hawke qui aura fait crépité les flashs à Locarno. Venu présenter sa nouvelle réalisation, Blaze, le Texan n’est pas reparti les mains vides puisque le festival lui remettait l’Excellence Award, prix décerné chaque année à une actrice ou un acteur. Le festival a également profité de sa venue pour projeter quelques films qui ont marqué sa carrière, du Cercle des poètes disparus à First Reformed (notre critique à lire ici) en passant par Boyhood et le documentaire qu’il a réalisé sur le pianiste Seymour Bernstein. C’est donc à cette occasion que nous avons rencontré celui qui a interprété à trois reprises Jesse dans la magnifique trilogie des Before… réalisée par Richard Linklater. Loin des acteurs américains aux discours travaillés et formatés, c’est un Ethan Hawke très spontané (en témoignent ses nombreuses hésitations) et habité qui a répondu à nos questions.


Trilogie des Before…, Richard Linklater 1995, 2004, 2013

En tant qu’acteur, vous avez joué dans de nombreux films où le passage du temps jouait un rôle central : Boyhood et la trilogie des Before. Mais dans Blaze, que vous avez réalisé, il est aussi question du temps qui passe. Comment approchez-vous et intégrez-vous cette dimension dans votre travail ?

Ricky (Richard Linklater, ndlr) dit toujours que tous les films traitent du temps. Il a dit des choses très intéressantes sur la manière avec laquelle les films et le temps interagissent. La photographie parle du temps. Ce qui est cool avec la photo c’est que ça capte un moment, c’est instantanément nostalgique : il y a quelque chose dans la nature de la photographie qui essaie de se souvenir d’un moment. Même lors d’un dîner, des gens disent « oh j’aimerais prendre une photo, pour plus tard. » Dans les Before… j’ai toujours considéré que le temps était le personnage principal. Ce qui vaut aussi pour Boyhood : nous regardons vraiment le temps. J’ai beaucoup pensé à ça. Faire ces films eu un impact sur ma manière de réfléchir et sur mon regard. J’ai commencé à me dire que si je faisais un film il devrait traiter du passé, du présent et du futur, et de ma manière de ressentir ces dimensions. C’est d’ailleurs la dernière réplique de Boyhood : « c’est toujours “maintenant”. » On en a beaucoup parlé avec Rick, même si c’est une blague. C’est une référence au Cercle des poètes disparus, Mason parle des gens qui sont toujours en train de dire qu’il faut saisir l’instant présent et dit que pour lui c’est le contraire, c’est le moment qui nous saisit. Ce quelque chose en quoi je crois vraiment et que j’adore dans ce film. Je me suis donc dit que pour raconter l’histoire de Blaze Foley j’essayerais de mêler trois périodes. Quelque chose qui semble passé : le souvenir de cette histoire d’amour. Quelque chose qui ressemble au présent : cette dernière nuit sur Terre, puisqu’on va lui tirer dessus. Et le futur : comment les gens parlent de vous après votre disparition. Cet entremêlement du passé, présent, futur me semblait très approprié, parce que c’est comme ça que je vois le monde. On se bat toujours avec l’histoire des choses… On se demande « quelle est l’histoire de notre vie ? », quelle est notre récit ? Donc pour moi, si on fait un film sur une personne ayant réellement existé il faut que ça se fasse par différents personnages qui se débattent avec ce récit.

Ce qui donne un film au récit finalement très original, que vous avez d’ailleurs écrit avec la veuve de Blaze. Ce n’est pas très courant…

Je n’y ai jamais pensé comme ça mais effectivement, c’est plutôt rare, quand on y pense : j’ai coécrit le film avec une femme alors qu’elle est un des personnages principaux et son défunt mari occupe le premier rôle. C’est vrai que c’est rare ! J’étais très nerveux à cette idée : que se serait-il passé si elle n’avait pas été sympathique ? Je l’ai appelée un jour, on parlait au téléphone et je lui ai dit que je voulais faire un film sur Blaze Foley en utilisant en grande partie son livre. Je lui ai dit que j’aimerais travailler avec elle… Mais avant d’aller plus loin, elle m’a dit qu’elle n’envisageait pas de faire ce film si elle n’était en charge du projet. Je lui ai alors dit : « je te promets que je t’écouterai, tous les jours, et que tu auras toujours l’opportunité de donner ton avis sur tout, mais je veux pouvoir te prendre tout ce que je veux. Tu devras donc me donner les rênes. Si tu ne veux pas procéder ainsi, alors nous ne ferons pas le film ensemble. » J’ai vécu assez longtemps maintenant pour savoir que je ne veux pas me battre sur un tournage. Je pensais qu’elle allait simplement dire « oui ». (Rires) Mais elle m’a répondu : « Laisse-moi y réfléchir, je t’appellerai quand j’aurais pris ma décision. » Nous avons donc raccroché… Elle m’a rappelé le lendemain et m’a dit « Je me suis promené en forêt hier soir et j’ai parlé à Blaze, il a dit que tu étais sa meilleure opportunité. Tu peux donc faire le film que tu veux et je t’aiderai. » (Rires) Nous avons donc débuté ce processus très étrange. Ça a d’ailleurs dû être très étrange pour Alia (Alia Shawkat, qui interprète Sybil Rosen, la veuve de Blaze, ndlr). Elle était là, sur le plateau, face à la femme qu’elle interprétait, tous les jours. Nous sommes tous devenus de bons amis. Mais ce qui a été décisif, c’est que Sybil est aussi une artiste, ce n’est pas uniquement la veuve. Je savais qu’elle en était une en lisant son livre, qui est très bien écrit et pas du tout complaisant.

Blaze, Ethan Hawke, 2018

Vous entretenez une relation particulière avec la musique. Bien sûr Blaze parle d’un musicien, mais dans tous les films que vous avez réalisés la musique occupe un rôle important. Vous avez d’ailleurs incarné Chet Baker et vous êtes aussi un expert d’Elvis Presley comme on peut le voir dans le documentaire The King…  

(Rires !) Ah oui j’avais oublié ça !

N’avez-vous jamais pensé à également faire de la musique ?

Je n’ai aucune idée si ce que je vais dire est vrai et excusez-moi si ça paraît irrespectueux envers quelqu’un dans la profession mais quand j’avais 12 ans j’ai déménagé au New Jersey et il y avait un gamin dans ma rue qui voulait devenir acteur… Je suis allé en cours de théâtre avec lui et il a commencé à auditionner pour des films. J’y suis donc allé parce qu’il y allait. Il est ensuite allé auditionné à New York et je l’ai suivi, parce que je l’appréciais vraiment. C’était très sympa, on prenait le train et on discutait. Et j’ai obtenu un rôle. Parfois je me demande ce qui serait advenu si mon voisin avait été un musicien. Si mon voisin avait été Ben Dickey, j’aurais certainement empoigné la guitare plus tôt et pris des cours. Je ne sais pas… Je sais juste que je mourrais d’envie de communiquer, d’être un artiste. Quand j’étais jeune je voulais devenir Jack London, j’adorais les écrivains d’aventure… Le soleil se lève aussi d’Hemingway… Ce que j’essaie de vous dire, c’est que j’ai ce sentiment, surtout quand je suis interviewé, que je crée ce récit de ma vie comme si j’en avais le contrôle. Et parfois je me sens beaucoup plus comme une personne qui chevauche une vague que comme une personne qui sculpte son chemin. J’ai été béni… Ce film, quand j’avais 18 ans, Le Cercle des poètes disparus… J’ai essayé de faire du bon boulot et donc d’une manière j’y ai participé. Mais c’était une expérience formidable, pour un jeune gamin, d’être sur un plateau avec Robin Williams et Peter Weir. Robin Williams est une des personnes les plus créatives et énergiques avec qui j’ai été en contact. J’ai été en salle de répétition avec lui, je l’observais, comment il jouait quand la caméra tournait… Et Peter Weir était un maître artisan, très différent de Robin. Peter est très profondément cultivé, il est ce type de personne sage et spirituelle. La combinaison entre lui, Robin, qui a cette étincelle de folie, et une poignée de jeunes gars de mon âge… ça a été comme un appel, comme si quelqu’un sonnait une cloche très fort. Et j’ai juste suivi cette voie… Mais je ne sais pas… La vie aurait pu se dérouler autrement. Ou peut-être pas…

Vous avez déclaré que n’importe quel sujet était politique. Quelle part de l’Amérique avez-vous souhaité représenter par ce film ?

En tant qu’enfant du Texas, j’entends souvent parler du Sud et je trouve que ce qu’on en dit n’est jamais vraiment représentatif ou approprié. Il y a toujours eu un fort esprit de bohème dans le Sud. Il existe des poètes du Sud, des penseurs du Sud, une musique du Sud que je voulais montrer. Par exemple, Willie Nelson, qui est un Texan célèbre, conduisait un bus qui tournait à l’huile de cacahuète. Il a prêché pour la fumette d’herbe, la paix intérieure, nous a enseigné le bouddhisme zen… Et il est Texan ! On n’y pense jamais ! C’est même un Texan célèbre et les gens l’adorent ! Il y a vraiment une très grande vague d’esprit bohème dans le Sud ; une vague de liberté de penser, d’esprit libéral progressif et d’ouverture d’esprit. Je pensais donc que ce serait intéressant de montrer ça. Blaze Foley a écrit une chanson sur Ronald Reagan… mais on dirait vraiment qu’elle a été écrite pour Donald Trump ! C’est juste Blaze qui se moque de Reagan mais on prend conscience que rien ne change autant qu’on le pensait. Les choses grandissent et les formes changent mais l’essence reste la même.

Boyhood, Richard Linklater, 2014

Est-ce que vous avez des projets avec Richard Linklater ? Il y a quelques années il a mentionné la possibilité de faire une suite à Boyhood, avec le même casting.

(Rires !) Oui, je l’ai entendu dire ça. Nous avons beaucoup d’autres projets… Nous avons encore quelques scénarios que nous avons écrits ensemble. Il est quelqu’un de très fascinant parce qu’il est un peu comme un musicien de jazz : il va et vient, il laisse l’esprit le guider et il adore développer… Il développe toujours neuf idées différentes. Et généralement, il y a en a soudainement une qui sort du chapeau et il se sent prêt à la concrétiser. On travaillera probablement encore ensemble, avec Julie (Delpy, ndlr). En fait nous avons trois différents projets et pour lesquels on cherche activement le bon moment pour les accomplir. Ils sont tous extrêmement anti commerciaux. (Rires) Et il attend de trouver le bon producteur… C’est ce qui est génial avec les festivals comme ici : on y rencontre des gens. Donc il cherche des amis et des alliés pour ces projets. J’espère encore travailler avec lui. Il a aussi joué un grand rôle pour Blaze. Il y a vraiment quelques projets que nous avons que j’aimerais beaucoup faire…


Merci à Ursula Pfander et Rosa Maino d’avoir rendu possible cet entretien. 
Photos ©Locarno Festival, Marin Mikelin & Massimo Pedrazzini

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