Active depuis le milieu des années 1990, la carrière de David Mackenzie a pris de nouvelles proportions en 2013 avec la sortie de Starred Up, un film de prison brillamment mis en scène et dépeignant une relation père-fils poignante. Aujourd’hui, Hell or High Water marque encore une nouvelle étape dans la filmographie de l’Écossais et confirme sa volonté de voir au-delà des codes des genres qu’il aborde (lire notre critique du film ici). S’il a annulé sa venue au dernier Festival du Film de Zurich, nous avons toutefois eu la chance de pouvoir nous entretenir avec lui par téléphone au lendemain du premier jour de tournage du pilote de la série Damnation, filmée au Canada.
Avec Hell or High Water vous mettez en scène un scénario signé par Taylor Sheridan [également auteur de Sicario], quelle a été la genèse du projet ?
Quand j’ai reçu le script, ça a été un coup de foudre. Sa simple lecture a été un réel plaisir parce que c’est un scénario qui possède une âme, qui explore avec finesse des lieux et qui propose des personnages intéressants. Ce n’est pas simplement une histoire qu’on traverse, on y trouve une teinte typiquement américaine que j’aime beaucoup et j’ai surtout senti que ce texte parlait vraiment de quelque chose. Ça m’est apparu comme étant une parfaite combinaison de beaucoup d’éléments.
Taylor a écrit ce script sans que personne ne le sollicite et sans savoir ce que ça allait donner. À l’époque il n’était qu’acteur et je crois que c’était son premier scénario. J’ai tout de suite senti la puissance de celui-ci. Non seulement j’ai compris que Taylor l’avait écrit avec le cœur mais aussi qu’il contenait quelque chose de fortement cinématographique. Ça a été un excellent point de départ.

Votre film tient beaucoup du western or il ne présente pas du tout l’image fantasmée des États-Unis qui a été véhiculée par la plupart des westerns classiques. Au contraire, le film offre un regard critique sur la société américaine, son économie, la crise du logement de 2008 ou encore les pratiques religieuses idiotes. Comment avez-vous travaillé ce contraste ?
C’est intéressant parce que les attentes qu’on peut développer par rapport au genre du western font partie du jeu. Certains éléments sont célébrés, d’autres sont pervertis. Mais je n’avais pas du tout l’envie de faire un film de genre, je tenais surtout à soumettre un portrait honnête d’une partie du monde. Je tenais à rester réaliste quand bien même on touchait à quelque chose de mythique et de très ancré dans un genre. Disons que le film ne vient pas de là, il s’y trouve tout simplement. Autrement dit, j’ai essayé de ne pas faire un film de genre. Alors oui, on y trouve des éléments tels que des armes, des courses-poursuites, des grands espaces, des banques ou encore des expropriations mais toutes ces choses font partie de la réalité. Donc d’une certaine manière, on assiste à un choc entre la réalité et des codes cinématographiques qui tout d’un coup s’assemblent. Mais aucun d’entre nous pensait qu’on était en train d’évoluer dans un cadre mythique, on souhaitait juste faire un film sur des gens, quelque part dans notre monde et j’espère que ces personnages paraissent vivants. En résumé, nous étions sur le territoire de nombreuses conventions liées au genre mais notre démarche n’était pas intéressée pas celles-ci.
D’ailleurs, malgré le fait que vos deux derniers films soient identifiables comme des films de genre (le film de prison pour Starred Up et le western pour Hell or High Water), vous parvenez à y traiter des thèmes qui semblent très personnels (les relations familiales, le sacrifice d’un père). Cela n’est pas sans rappeler ce que parvenaient à faire les auteurs du Nouvel Hollywood. Vous sentez-vous proche de ce qui se faisait à cette période ?
Oui, je me sens très lié à ces films. Je pense qu’il s’agissait de l’apogée du cinéma américain. Mais une nouvelle fois, je pense qu’il faudrait abandonner cette notion de genre, je ne la trouve pas originale. Donc c’est génial d’entrer dans ce monde plein de codes mais sans forcément les reconduire (rires).
En parlant de « cet endroit dans le monde » et de cette réalité, le film est très ancré dans la culture américaine et plus spécifiquement la culture texane. Comment avez-vous approché cette donnée, en tant que non-Américain ?
Ce qui est très intéressant c’est que beaucoup de Texans ayant vu le film l’ont trouvé très représentatif du Texas par bien des aspects. J’en suis très fier, je pense que c’est une de mes plus grandes réussites sur ce film. Pourtant, nous n’avons passé qu’un seul jour dans cet État avant le tournage. Nous avons traversé le Texas pour aller au Nouveau-Mexique. Beaucoup de scènes sont censées se passer à Archer City au Texas mais nous avons tourné de l’autre côté de la frontière, tout près du Texas, pour des raisons financières. Il y a huit ans, j’avais passé quelques jours chez un ami écossais dont le père avait déménagé au Texas. J’avais été très impressionné par cet endroit. Ça a certainement joué son rôle. Mais c’est très étrange et difficile de décrire un monde qu’on ne connaît pas vraiment. Il faut croire qu’on a visé juste.
L’humour occupe une place assez importante dans le film, notamment par les nombreuses répliques du personnage incarné par Jeff Bridges. Ces touches humoristiques étaient-elles déjà présentes dans le script ?
Une bonne partie de l’humour a été improvisé sur le tournage. Mais pour être honnête, la scène avec la serveuse terriblement désagréable était déjà dans le script et nous l’avons tourné telle quelle. Étrangement, je n’ai pas du tout senti cet humour en lisant le scénario. Il devait y être mais le tout était tellement fort et poétique que je n’ai pas vu qu’il y avait des touches comiques. Dès le tournage, j’ai vu qu’il y avait beaucoup d’espace pour y injecter de l’humour et je pense que nous sommes parvenus à bien gérer l’équilibre entre les différents tons du film.
Vous avez commencé le tournage de Hell or High Water par la scène d’ouverture : un magnifique long plan panoramique de 360 degrés. Cela a-t-il représenté un challenge particulier ?
J’aime filmer dans l’ordre chronologique. C’est toujours un privilège de pouvoir le faire. Sur Hell or High Water ça n’a pas toujours été possible pour des raisons logistiques mais presque toutes les scènes avec Chris Pine et Ben Foster ont pu être tournées dans l’ordre, y compris cette ouverture. On s’est embarqué dans ce voyage en commençant effectivement par quelque chose d’ambitieux mais je crois que ça a permis de nous donner d’emblée la mesure du niveau qu’on voulait atteindre. C’était effrayant mais on y est parvenu et on en a profité.
Presque l’entier des thèmes abordés par le film sont déjà présents dans ce plan. L’église pour la religion, les soldes et la banque pour l’économie…
C’est une belle trouvaille en termes d’endroit où filmer oui. Tout le film a été tourné en extérieur et le production design accompli par Tom Duffield est excellent. Avec Giles [Nuttgens, chef-opérateur] nous avons choisi ces endroits pour représenter le monde que nous voulions dépeindre et effectivement, tout était présent sur ces bâtiments, c’était parfait. C’est intéressant parce que ce que je tourne maintenant ce n’est que du studio alors que mes derniers films sont tous complétement tournés en extérieurs. J’ai dû réapprendre à entrer dans ce monde artificiel du studio. L’avantage de travailler dans des endroits qui existent réellement c’est que tout le monde est connecté à la réalité du lieu. Le simple fait d’être physiquement dans une de ces petites villes du Midwest te permet de comprendre combien la vie peut être dure et tu n’as plus tant besoin de simuler. Je crois que quand tu es immergé à ce point dans un endroit, la moitié du chemin est déjà faite.
Toujours dans le même plan, on aperçoit un graffiti qui témoigne d’une certaine aigreur par rapport à l’engagement dont certains citoyens américains ont fait preuve en allant en Irak. Des citoyens qui ont ensuite retrouvé de terribles conditions de vie une fois rentrés au Texas. Vous sentez-vous personnellement concerné par la politique américaine ?
Oui mais c’était très important, pour Taylor et moi, de ne pas faire un film qui prenne parti politiquement. Le film est assurément politique mais il ne transmet pas nos impressions personnelles quant à la politique. Les spectateurs qui vont le voir aux États-Unis sont de deux bords. Ça aurait été inapproprié que moi, le Britannique, je me permette des commentaires sur la politique américaine. Je n’ai pas la légitimité pour faire ça. Mais je crois que nous arrivons à montrer ce monde sans émettre de jugement – une manière de parler à tout le monde.

Le film marque votre sixième collaboration avec votre chef-opérateur, Giles Nuttgens. Comment travaillez-vous ensemble ?
Giles est un véritable artiste dans sa manière de travailler la lumière, le cadre, etc. À chaque fois qu’on travaille ensemble on se motive mutuellement. C’était nouveau pour nous d’être dans ces immenses paysages plats et vides et ça représentait donc une belle opportunité de cadrer ces étendues, avec la lumière particulièrement dure du désert. Nous ne sommes pas habitués à une telle lumière en Écosse et nous avons dû essayer de capter sa chaleur et sa clarté. Mais avec Giles nous travaillons de manière très intuitive, on ne parle que rarement des plans qu’on va tourner… On regarde comme ça vient. Je suis très heureux d’avoir cette relation avec un chef-opérateur, une relation qui ne s’articule pas autour de la technique. C’est une relation artistique. Je travaille d’ailleurs à nouveau avec lui en ce moment. Nous sommes au Canada pour tourner le pilote d’une série TV.
Pour revenir à ces thématiques, Hell or High Water est dédié à vos parents. Faut-il y voir un lien avec la manière dont le personnage de Toby accorde la priorité à sa famille ?
C’est une coïncidence. Mes deux parents sont morts pendant le tournage et ça a été une manière de leur rendre hommage. C’est vrai que le thème de la famille est très présent dans le film… C’est donc une triste coïncidence mais d’une certaine manière c’est aussi « bien tombé ».
Dans une interview accordée au Guardian vous avez déclaré que vous vous réjouissiez terriblement de voir le public se lasser des films de super-héros qui pullulent sur nos écrans. Selon vous, quelle place reste-t-il pour les auteurs à Hollywood aujourd’hui ?
(Rires). J’espère que les gens parviennent à s’enthousiasmer pour les bons films. Le futur du cinéma en dépendra. Il faut que le public soit de plus en plus sophistiqué, intéressé par la diversité et j’espère que les gens qui tentent de faire du bon travail de manière honnête trouveront un public. Assurément, les films de super-héros c’est un gros business qui permet de gagner beaucoup d’argent mais je suis sûr qu’il y a encore de l’appétit pour autre chose.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de la série que vous êtes en train de tourner ?
Oui, je tourne le pilote de Damnation. Il s’agit d’une série qui mettra en scène le conflit entre les agriculteurs grévistes et une personne engagée par le gouvernement pour empêcher ce soulèvement. Ça se passe en Iowa dans les années 1930 et ça parle de la formation de l’Amérique moderne. C’est écrit par l’excellent scénariste Tony Tost et ça se déroule dans un monde fascinant. Si le pilote est un succès et que la série se confirme, ça pourrait devenir un drame américain politique très puissant.
Propos recueillis le 1er octobre 2016. Un grand merci à Serge Sanchez.
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