Les Sept samouraïs : déclinaisons et variations
Ça y est, ils sont de retour ! Avec le badass Denzel Washington à leur tête, flanqué du rigolo Chris Pratt, les sept mercenaires reviennent sous la plume de Nic Pizzolatto […]
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Ça y est, ils sont de retour ! Avec le badass Denzel Washington à leur tête, flanqué du rigolo Chris Pratt, les sept mercenaires reviennent sous la plume de Nic Pizzolatto […]
Ça y est, ils sont de retour ! Avec le badass Denzel Washington à leur tête, flanqué du rigolo Chris Pratt, les sept mercenaires reviennent sous la plume de Nic Pizzolatto et devant la caméra d’Antoine Fuqua. Avant de découvrir cette mouture 2016 qui s’annonce fun et pétaradante, il n’est pas inutile de rappeler l’héritage dans lequel elle s’inscrit. Ainsi, il nous semblait intéressant de revenir à la source, soit, avant le film original de John Sturges, Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa, et d’en étudier les différents échos jusqu’à la présente occurrence.
Évidemment, les œuvres influencées par le monument du maître japonais sont aujourd’hui légion. Au-delà des nombreuses adaptations plus ou moins libres réalisées aux quatre coins du globe (en Italie, à Hong Kong, en Inde, au Kazakhstan), Les Sept samouraïs est souvent considéré comme l’un des premiers « films de bande », comme on en verra plus tard avec Les Canons de Navarone, Les Douze salopards ou encore La Horde sauvage. Concernant ce dernier, notons d’ailleurs que Sam Peckinpah emprunte également à Kurosawa sa stylisation de la violence à grands coups de ralentis. À l’instar de Rashomon ou de Yojimbo, Les Sept samouraïs est ainsi devenu une référence tant en termes de scénario que de mise en scène. Son influence s’est propagée sur un large rayon et perdure encore aujourd’hui, à tel point que nous ne pourrons évoquer ici chacun de ses émulations.
Puisque notre point de départ reste Les Sept mercenaires, nous nous contenterons donc d’un panorama, bien entendu non exhaustif, des déclinaisons américaines qui nous semblaient à la fois les plus proches dans leur récit et les plus intéressantes dans les variations qu’elles proposent.
Les Sept samouraïs, Akira Kurosawa, 1954
« Plus que quiconque, Kurosawa vivait dans le futur. Le passé lui importait peu, puisqu’il était révolu, et le présent n’était qu’une étape dans ce qui devait être. L’avenir, quel qu’il soit, représentait la vie de Kurosawa. » – Donald Richie, The Films of Akira Kurosawa, chap. Seven Samurai, 97-108, p. 244
Si le cinéma d’Akira Kurosawa a eu une grande influence sur la production américaine, il a lui-même largement puisé dans l’héritage culturel anglo-saxon. Plusieurs des films du cinéaste sont en effet des adaptations d’œuvres de William Shakespeare : Le Château de l’araignée est ainsi une transposition japonaise de Macbeth, quand Ran et Les salauds dorment en paix s’inspirent respectivement du Roi Lear et de Hamlet. Mais surtout, avant de servir de référence au western, Kurosawa s’est également nourri du genre, notamment tel que représenté par John Ford. Ses emprunts l’amèneront ainsi à être régulièrement critiqué pour son « occidentalisation ». En réalité, sa filmographie a suivi la mutation de la culture japonaise elle-même.
Présente depuis le début du XXe siècle, l’influence de l’Occident sur le pays du Soleil-Levant est évidemment accrue dans l’immédiat après-guerre par l’occupation américaine. Durant cette période (soit jusqu’en 1952), le jidai-geki, genre cinématographique mettant en scène le Japon féodal, voit son accès aux écrans restreint du fait de son caractère apparemment trop nationaliste. C’est donc dans le sillon d’un véritable choc culturel que Kurosawa réalise Les Sept samouraïs, qui constitue alors l’un des premiers chambara après une pause de plusieurs années. Le pays, éloigné de ses traditions et restructuré par une série de réformes visant à le démocratiser, est encore en pleine reconstruction. Ces problématiques seront ainsi au cœur du film.
Le récit prend place en 1586, durant l’ère Sengoku, époque dite des « provinces en guerre ». Le Japon est alors en proie à de sérieuses dissensions internes, les différents clans se livrant à de violents affrontements pour l’obtention du pouvoir. Profitant du chaos ambiant, des groupes de bandits s’adonnent au pillage des petites communautés sans défense. Se sachant menacé, un village de paysans fait appel à des samouraïs pour assurer sa protection face à une horde de brigands. Habituellement sous les ordres de puissants seigneurs, sept guerriers sans maître acceptent de se mettre gratuitement au service de cette communauté de rang inférieur. Enseignant leur art aux paysans, ils assurent la défense du village et parviennent à éliminer tous les bandits, au prix néanmoins de la mort de quatre d’entre eux. Leur mission accomplie, les trois samouraïs survivants s’en vont, laissant le village reprendre son train de vie.
Le choix de Kurosawa de situer son intrigue durant l’ère Sengoku, période de chaos ayant mené à de profonds changements, se justifie par la volonté du cinéaste d’évoquer les bouleversements que connaît le Japon contemporain. En mettant en scène des rônin se sacrifiant pour de simples villageois, il peut ainsi évoquer la confrontation de l’individu au groupe, des classes sociales entre elles, et de la tradition à la modernité.
Le récit est en effet construit sur l’interaction entre trois entités distinctes : les paysans, les samouraïs et les bandits. Les deux premières s’associent pour affronter la troisième, puis se séparent. Le film est d’ailleurs divisé en trois parties bien définies et de durée égale : la formation du groupe des sept samouraïs, puis l’union entre ces derniers et les paysans dans la mise en place défensive du village, et enfin leur action commune contre les bandits avant leur dissolution finale. Le principal enjeu se trouve alors dans le rapport de l’individu au groupe. De l’indéfectible alliance entre paysans et samouraïs dépend la survie du village. Comme l’explique Kanbei, le vieux meneur désabusé, à quelques hommes préférant défendre leurs maisons en priorité, le bien commun doit primer sur l’intérêt personnel :
« Trois maisons sont à l’extérieur, le village en a vingt. On ne peut en mettre vingt en danger pour en sauver trois. Une fois le village détruit, aucune maison du dehors ne sera épargnée. Comprenez-vous ? La guerre est ainsi. On protège les autres pour se protéger soi-même. Celui qui est égoïste se détruira lui-même. »
La stratégie que Kanbei met au point pour éliminer les bandits consiste d’ailleurs à les isoler de leur groupe en les laissant entrer un par un dans l’enceinte du village. Et c’est également parce que le paysan Rikichi se désolidarise des autres par intérêt personnel (la réunion avec sa femme kidnappée) que le premier samouraï, Heihachi, trouvera la mort.
Néanmoins, si la survie de l’individu dépend de la cohésion du groupe, ce dernier n’est lui-même rien de moins que la somme de chacune de ses individualités. Tandis que la horde de bandits reste une masse relativement uniforme (si l’on excepte les deux « chefs », dont un borgne, qui ne sont de toute façon pas nommés), plusieurs paysans sont distingués du groupe et chaque samouraï possède son individualité propre. Au Japon de l’après-guerre, fragilisé et en proie au doute, Kurosawa veut rappeler l’importance de l’action individuelle pour le bien-être de la société dans son ensemble :
« Je me rendais compte que si l’on ne faisait pas de l’individu une valeur positive, il ne pouvait y avoir ni liberté, ni démocratie. » – Akira Kurosawa : Comme une autobiographie, 1995 [1985], trad. Michel Chion, Paris, Editions de l’Etoile / Cahiers du cinéma, p. 240
L’union entre samouraïs et villageois est également celle de deux classes sociales différentes, l’élite militaire et la simple paysannerie. Si le code d’honneur des samouraïs (le bushido) leur intime de protéger les paysans, ces derniers constituent une classe sociale inférieure et ne devraient donc pouvoir louer leurs services. Pourtant, les sept rônin acceptent de prêter main forte au village sans aucun paiement en retour. Le film illustre ainsi la période de transition qu’incarne l’ère Sengoku en rendant les classes sociales plus perméables. Personnage central, Kikuchiyo, incarné par Toshirō Mifune, est un fils de paysan qui aspire à devenir samouraï. Rejeté par ses six coéquipiers et considéré comme un simple bouffon, il ne sera réellement accepté qu’en sacrifiant sa vie pour tuer le dernier et le plus important des bandits. De par son statut, il sert d’intermédiaire entre paysans et samouraïs, comme l’exprime l’étendard que peint l’un des guerriers et qui le représente par un triangle au milieu de ces deux groupes.
Tout au long du film, Kurosawa s’échine à déconstruire la vision classique du samouraï, dépouillant progressivement les guerriers de leurs armures pour les rapprocher des paysans. Néanmoins, cette communion entre les deux groupes ne peut durer qu’un temps et, le village sauvé, chacun reprend sa route. Au final, tous restent prisonniers de leur classe. Les sept rônin, qui sont accueillis avec méfiance dans le village, constitueront toujours une menace potentielle pour les paysans : comme le fait remarquer Kikuchiyo, la misère de la condition paysanne est en grande partie due aux affrontements que se livrent les clans. Les bandits sont d’ailleurs eux-mêmes d’anciens samouraïs s’étant détournés du bushido.
Travaillant une tension entre tradition et modernité, Kurosawa illustre l’incompatibilité de deux mondes, l’un étant forcément voué à disparaître. Leur mission accomplie, les samouraïs ne sont plus les bienvenus, les paysans reprenant leur travail et ne souhaitant plus que le départ des guerriers. Le statu quo est rétabli et la séparation entre les deux groupes réapparaît : espoir d’évolution des mœurs, l’histoire d’amour unissant Katsushiro, le plus jeune samouraï, à une paysanne, se termine donc par une rupture. Le village a obtenu des rônin ce qu’il souhaitait et ces derniers ne lui sont plus nécessaires. Pire, ils sont devenus obsolètes : comme le constate tristement Kanbei, ce sont les paysans qui ont gagné, pas les samouraïs. Pour reprendre les mots de Stephen Prince, en éliminant les bandits, les sept guerriers ont tué leur propre classe et par-là commis « un suicide historique »[1]. L’aspiration de Kikuchiyo à accéder à un statut que lui refusent ses origines annonce les changements à venir : les samouraïs ne sont plus adaptés à leur époque. Les quatre héros tombés au combat périssent ainsi tous par un tir d’arquebuse, symbole de la modernité à venir.
Les Sept mercenaires, John Sturges, 1960
« Ça me rappelle l’histoire de ce type à San Francisco qui s’était jeté dans un cactus après s’être mis tout nu ; moi aussi, je lui ai demandé pourquoi.
– Alors ?
– Il m’a dit que sur le moment, l’idée lui semblait bonne. »
Le jidai-geki a souvent été comparé au western, les deux genres mettant en scène la plupart du temps des héros solitaires rétablissant l’ordre dans un passé historique fantasmé et possédant, de fait, une forte connotation nationaliste. Il était donc naturel, au-delà des accointances occidentales d’Akira Kurosawa, que l’influence des Sept samouraïs sur le cinéma américain se matérialise sous la forme d’un remake échangeant le Japon féodal avec le Far West. Les samouraïs deviennent donc des mercenaires, réunis pour défendre un village face à une horde de bandits mexicains. L’intrigue est sensiblement identique (plusieurs répliques sont d’ailleurs reprises telles quelles), exceptées quelques modifications qui donnent au récit une toute autre signification que le film de Kurosawa.
Tout d’abord, la situation sociale du Far West du XIXe siècle différant de celle du Japon du XVIe (le statut d’un mercenaire ne peut être comparé à celui d’un samouraï), les problématiques ne sauraient être les mêmes : ainsi, il est ici moins question de classe que de race. Le fait d’armes inaugural qui réunit les premiers mercenaires concerne en effet la dépouille d’un Indien, qu’il faut escorter jusqu’au cimetière en évitant les balles des quelques locaux qui refusent de voir leur sol souillé par le corps de ce Peau-Rouge.
Ensuite, les notions de groupe et d’individus n’y sont pas aussi développées, ou du moins d’une autre manière. La victoire ne passe nullement par la division de l’ennemi, et celui-ci se trouve être bien moins abstrait, les bandits étant dirigés par un chef clairement identifié, Calvera, et fortement caractérisé par la trogne d’Eli Wallach. Néanmoins, l’intérêt personnel est également désigné comme potentiellement nuisible au groupe, puisque le chef du village, Sotero, trahit les mercenaires pour protéger sa famille. Le même dévouement familial sera pourtant loué par Bernardo, le mercenaire incarné par Charles Bronson, face aux jeunes villageois qui l’admirent :
« Vous me croyez brave parce que je porte une arme. Vos pères sont plus courageux car ils portent des responsabilités. Envers vous, vos frères, vos sœurs, vos mères. Cette responsabilité est comme un gros rocher qui pèse une tonne. Il les plie et les tord jusqu’à ce qu’enfin il les enterre. Ils ne sont pas obligés de faire ça, ils le font parce qu’ils vous aiment. Je n’ai jamais eu ce genre de courage. Exploiter une ferme, travailler comme une mule sans garantie. Ça, c’est de la bravoure. »
L’idée de famille et d’appartenance à une terre est ainsi le centre de ce remake. Le drame des mercenaires, particulièrement tangible chez le personnage torturé de Robert Vaughn, est de n’avoir aucune attache. Comme l’exprime le vieux sage du village en fin de film :
« Seuls les fermiers ont gagné. Ils restent pour toujours. Ils sont comme la terre. Vous les avez aidés à se débarrasser de Calvera, comme un vent violent les aide à se débarrasser des sauterelles. Vous êtes comme le vent, qui souffle sur la terre et s’en va. »
Mais si ce discours final reprend les derniers mots que prononçait Kanbei dans Les Sept samouraïs, la situation n’est pas la même que chez Kurosawa. Loin d’être aussi pessimiste que son modèle, la conclusion des Sept mercenaires n’exclut pas définitivement les héros survivants du village qu’ils ont sauvé. Combinant les caractéristiques de Kikuchiyo et de Katsushiro dans le personnage de Chico, le film illustre au contraire l’union des deux groupes : le jeune cowboy, fils de paysan, survit à l’affrontement et décide de rester vivre en compagnie de la villageoise dont il est tombé amoureux. De même, les enfants du village entretiennent le souvenir de Bernardo, mort au combat. Les mercenaires ne sont donc pas si désespérément seuls, leur action possède encore un sens et leur existence est toujours nécessaire.
Le Retour des sept mercenaires, Burt Kennedy, 1966
Remake du chef-d’œuvre de Kurosawa, le film de John Sturges initie à son tour un certain nombre d’émulations, à commencer par une franchise qui verra naître quatre suites. Dans ce second volet, les deux mercenaires Chris (toujours incarné par Yul Brynner) et Vin (Robert Fuller remplace en revanche Steve McQueen) reçoivent un nouvel appel à l’aide du village des paysans lorsque Chico est enlevé par un groupe de bandits. Embauchant quatre autres hommes d’armes, ils partent à la recherche de leur ami.
Reconduisant le même schéma narratif que son prédécesseur, ce Retour des sept mercenaires propose néanmoins quelques approfondissements et nouveaux éléments plutôt bienvenus. Si, dans le premier épisode, chaque mercenaire avait une raison particulière de prendre part à l’aventure (simple altruisme, intérêt financier ou quête de rédemption), les héros s’interrogent ici sur les motivations profondes qui les poussent à rester sur cette voie. Ainsi, Vin se demande s’il a accepté la mission par amitié pour Chico ou simplement par plaisir de tuer. Chris le rassure alors :
« Pendant toutes ces années où j’ai fait mon chemin avec une arme, pas une fois je n’ai tué un homme par goût de le voir tomber. Si jamais ce jour vient, je jetterai mes armes dans une poubelle et je ficherai le camp. Tu en feras autant. »
Ce second volet insiste également davantage sur la reconnaissance du village envers les mercenaires qui l’ont sauvé. Avant l’affrontement final, les paysans supplient même les héros de partir, refusant qu’ils se sacrifient pour eux. Le nihilisme des Sept samouraïs n’est ici clairement plus à l’œuvre :
Petra : « Quoi qu’il puisse se passer, jamais nous ne vous oublierons. Ni vous, ni les autres. »
Chris : « Qu’est-ce qu’on peut désirer d’autre ? »
En revanche, le film fait tout de même écho à Kurosawa à travers son méchant, qui se trouve être lui-même un ancien mercenaire ayant par le passé combattu pour protéger le village. Après cette mission qui lui aura coûté ses fils, il est écœuré par le manque de gratitude des paysans et décide alors de forcer ces derniers à bâtir une église à la mémoire des sacrifiés. Guidé par une vengeance personnelle, sa mort marquera la fin de l’assaut, entrainant la dissolution du groupe de bandits et la fuite des derniers survivants.
Les Colts des sept mercenaires, Paul Wendkos, 1969
Nouvelle suite, Les Colts des sept mercenaires voit George Kennedy reprendre le rôle de Chris après le départ de Yul Brynner. Seul membre restant de l’équipe d’origine, il est cette fois-ci appelé à l’aide par des révolutionnaires mexicains pour leur combat contre le tyrannique Président Díaz. En lieu et place d’anciens mercenaires reconvertis en bandits, c’est donc à présent un état dictatorial, incarné par l’armée, qui représente la menace à vaincre, et non plus les bandits mexicains qui sont ici de potentiels alliés.
En plaçant son intrigue dans le cadre historique de la Révolution mexicaine (notons d’ailleurs l’apparition d’un jeune Emilio Zapata), le film renoue avec l’idée principale des Sept samouraïs : le chaos ambiant annonce d’importants changements qui conduiront inexorablement à la disparition des mercenaires. Ce coup-ci, l’équipe des sept est d’ailleurs principalement constituée d’inadaptés qui ne trouvent pas leur place, qu’il s’agisse d’un Noir endurant le racisme de ses congénères ou d’un handicapé persuadé de ne plus être à la hauteur. Le premier homme qu’engage Chris est quant à lui un vieux mercenaire ayant déposé les armes pour fonder une famille (une sorte de version future du personnage de Chico, donc). Les temps sont bel et bien sur le point de changer, et les mercenaires voués à disparaître. Chris en est conscient et l’accepte, se satisfaisant de la simple reconnaissance de ceux qu’il aura aidés :
« On ne peut se laisser accrocher que si on le veut bien. Aussi, que faire d’autre ici ? Il n’y a plus de terre vierge. L’homme de la montagne, c’est fini. Les buffles sont loin, bientôt ce seront les chevaux. Et après, ce sera notre tour. Personne ne va se lamenter quand nous nous en irons. Mais peut-être que ce peuple nous regrettera quand on le quittera. »
La Chevauchée des sept mercenaires, George McCowan, 1972
« C’est tout ce que nous prenons ?
– Oui.
– Il nous faut plus d’hommes.
– 7 a toujours été mon chiffre porte-bonheur. »
Dans ce dernier volet, Chris est incarné par nul autre que Lee Van Cleef. Ayant décidé de se ranger, le mercenaire s’est marié avant de devenir marshal d’une petite ville. Lorsque l’on vient une nouvelle fois le chercher pour assurer la défense d’un village mexicain contre une troupe de bandits, il refuse. Pour lui, l’aventure est définitivement terminée. Mais le meurtre brutal de sa femme va tout changer : n’ayant plus d’attache, il accepte alors la mission, cette fois-ci par vengeance personnelle.
Après son constat amer de la fin d’une époque dans le film précédent, le héros de La Chevauchée des sept mercenaires a donc suivi la marche du temps et s’est reconverti en agent de la loi. Mais s’il s’est rangé, ses actions passées n’ont pas été oubliées. Bien au contraire, elles sont sur le point d’entrer dans la légende : le premier mercenaire qui rejoint Chris est ainsi un simple journaliste souhaitant écrire sa biographie. À ce titre, le choix d’un Lee Van Cleef vieillissant pour reprendre le rôle est plutôt pertinent. Il est également intéressant de noter que les cinq autres membres de l’équipe sont des criminels que Chris a lui-même arrêtés et qui rêvent de le tuer à la moindre occasion. Pas vraiment de sentiment noble à l’œuvre ici, donc, les mercenaires étant tous plus ou moins forcés de prendre part à la mission.
Comme principale menace, le film reprend l’idée des bandits mexicains menés par un leader charismatique. Néanmoins, le chef en question, De Toro, est ici plus évanescent que le Calvera du premier volet. S’il est très vite nommé, il n’apparaît que brièvement en fin de film, n’étant le reste du temps qu’une présence fantomatique. Le groupe de bandits de La Chevauchée des sept mercenaires se rapproche alors de l’abstraction qui caractérisait celui des Sept samouraïs.
Ayant accompli son ultime mission, Chris se trouve une nouvelle épouse et s’installe dans le village en compagnie des mercenaires survivants. Il a définitivement « jeté ses armes dans une poubelle ».
Les Sept mercenaires, Steve Beers, 1998-2000 (TV)
« Un vrai héros, c’est quelqu’un prêt à sacrifier sa vie pour l’intérêt général. »
Si la saga cinématographique des Sept mercenaires se termine avec le quatrième épisode, la franchise ne s’arrête pourtant pas là. En 1998, Chris et ses compagnons débarquent à la télévision pour de nouvelles aventures, qui ne dureront hélas que deux saisons. Hélas, car la série se révèle plutôt réussie, l’incroyable défilé de trognes qui constitue le casting n’y étant pas étranger (Michael Biehn, Eric Close, Ron Perlman… On continue ?).
Se présentant comme un remake du premier film de John Sturges (l’acteur Robert Vaughn apparaîtra d’ailleurs dans la suite de la série), l’épisode pilote modifie d’entrée de jeu le cadre de façon à approfondir certaines thématiques de la saga. Le récit prend place peu après la Guerre de Sécession, dont les marques sont encore bien visibles. La horde de bandits mexicains est ainsi remplacée par une troupe de « fantômes sudistes » qui n’ont pas digéré leur défaite. La problématique raciale est alors davantage présente : le lieu à protéger est un village indien, dont les habitants font appel aux Blancs pour les aider sans toutefois leur faire pleinement confiance. « Tu n’as pas la bonne couleur de peau », se voit répondre l’un des mercenaires affirmant être venu défendre le village. Dans un autre épisode, un jeune Indien est accusé à tort du meurtre de sa fiancée, une Blanche de bonne famille : c’est en réalité le père de la victime, un missionnaire, qui a commis l’impardonnable, ne supportant pas que sa fille soit tombée enceinte d’un Peau-Rouge. L’escorte du cadavre indien par Chris et Vin qui amorçait la formation de l’équipe dans le premier film est quant à elle remplacée par leur sauvetage de Nathan, un ancien esclave noir sur le point d’être pendu. Ce dernier devient alors le troisième mercenaire et incarnera tout au long des deux saisons les cicatrices laissées dans le pays par la traite négrière.
La série explorera également la notion d’attache et de dévouement familial présente dans le film original. Reprenant le discours que prononçait Charles Bronson, le mercenaire Ezra loue lui aussi la véritable bravoure des villageois :
« Il y a deux genres d’hommes en ce monde : ceux qui sont en quête de combats et n’ont pas peur de la mort et ceux qui évitent les combats mais se battraient jusqu’à la mort si des êtres chers étaient menacés. C’est ça, le vrai courage. »
Comme leurs prédécesseurs, ces nouveaux sept mercenaires n’ont aucune attache (Chris a perdu sa femme et son fils dans un incendie) et sont destinés à errer (Vin est recherché et Nathan est un ancien esclave qui peine à se réinsérer). Néanmoins, puisqu’il s’agit d’une série, l’épisode pilote les épargnent tous et leur permet ensuite de s’installer dans une petite ville dont ils deviennent les protecteurs. Les héros se retrouvent alors bloqués dans une sorte d’entre-deux, garants de l’ordre sans représenter officiellement la loi, résidant dans la ville sans y être totalement acceptés. Au cours de la série, chaque mercenaire aura au moins une fois l’opportunité de ranger définitivement son colt pour débuter une vie normale. Ce questionnement sera notamment au cœur du double-épisode en milieu de saison 2, dans lequel l’équipe est chargée d’escorter des fermiers jusqu’à leurs nouveaux terrains. Chris est confronté à la perspective de voir la femme qu’il aime se marier avec un autre homme, tandis que Vin et Josiah obtiennent tous deux les faveurs de paysannes prêtes à les épouser. Nathan, quant à lui, se voit proposer de construire un hôpital dont il s’occuperait lui-même. Ils finiront tous par décliner l’offre : au fond, ils ne souhaitent pas réellement se poser. Même le jeune J.D., héritier de Chico, qui semble être le seul à pouvoir encore prétendre à une vie normale, restera freiné par cette logique sérialisante : sa romance avec Casey est ainsi étirée sans jamais aboutir réellement.
Au fil des épisodes, une lente progression est pourtant bel et bien perceptible. Si les mercenaires règlent à tour de rôle leurs conflits personnels et affrontent leurs démons respectifs (Chris résoudra ainsi le mystère entourant la disparition de sa femme et son fils), la toile de fond évolue elle aussi. La seconde saison revient en effet à l’idée de transition à venir, de fin d’une ère. Le premier épisode remet alors en question la légitimité des sept mercenaires : les sociétés de chemins de fer, désirant installer des voies à proximité de la ville, exigent que cette dernière soit sécurisée par des forces de police officielles. Un marshal est donc dépêché sur place, et les mercenaires ne sont plus les bienvenus. « On entre dans l’âge moderne, déclare un habitant. À quoi bon des bandits armés ? » Mais l’événement n’est au final qu’un prétexte pour séparer le groupe, avant de réaffirmer son autorité à la mort du nouveau marshal. La fin de cette ultime saison annonçant la formation d’un nouvel État, les mercenaires semblaient partis pour finir par connaître le même sort que leurs prédécesseurs. La série ayant été annulée, ils n’auront eu le temps ni de se caser, ni de disparaître.
Les Mercenaires de l’espace, Jimmy T. Murakami, 1980
« Je ne pense pas comme vous. Et si vous pensez différemment, vous êtes considéré comme mauvais. »
Théoriquement, une bonne histoire peut être transposée dans n’importe quel cadre, du moment que son intrigue reste simple dans sa structure et suffisamment évocatrice dans ses thèmes pour s’adapter à différents univers. Il était ainsi naturel de voir Roger Corman, en pleine vague Star Wars, lancer la production d’une adaptation des Sept mercenaires dans l’espace. L’idée était même plutôt séduisante.
Sur la planète Akir (en hommage, évidemment, à Kurosawa), un paisible peuple de paysans se retrouve sous la menace du tyran Sandor, bien décidé à les asservir à l’aide de son armée de mutants et d’un terrifiant convertisseur stellaire capable de réduire n’importe quel astre à l’état de minuscule étoile. Incapables de se défendre, les habitants envoient donc le jeune Shad à la recherche de guerriers pour leur prêter main forte. Il reviendra accompagné de six volontaires venus d’autres planètes, qui sauveront Akir au prix, pour la plupart, de leur vie.
À l’instar de Star Wars, Les Mercenaires de l’espace (Battle Beyond the Stars en VO) est un mix de quantité d’influences diverses ; à commencer évidemment par le western, le classique de John Sturges constituant l’inspiration première pour l’intrigue. Robert Vaughn apparaît ainsi parmi les mercenaires dans un rôle à peu près similaire à celui qui l’a fait connaître vingt ans plus tôt. Histoire d’appuyer la référence au genre, on trouve même un mercenaire originaire de la Terre qui se nomme… « Space Cowboy ». Indéniablement, le film est bien moins subtil dans ses emprunts et pertinent dans leur union que l’œuvre de George Lucas. Malgré quelques très beaux designs réalisés par un tout jeune James Cameron et un puissant score de space opera composé par un James Horner tout aussi débutant, Les Mercenaires de l’espace ne va pas vraiment au-delà du gloubi-boulga kitsch d’influences mal digérées.
Ainsi, au milieu des cowboys de l’espace, des crocodiles anthropomorphes et des Valkyries à la poitrine opulente, les grandes thématiques du récit d’origine peinent à se dessiner. Et pourtant, il y avait de quoi faire : si le cadre du space opera, avec la présence d’aliens de tous horizons, se prête a priori parfaitement à la problématique raciale initiée par Les Sept mercenaires, cette dernière est au final totalement éclipsée, le héros s’émerveillant simplement face à la découverte d’autres cultures. Quant à la réflexion sur le rapport de l’individu au groupe, la motivation du mercenaire Cayman (dernier de son espèce qui souhaite venger son peuple disparu) comme la nature de Nestor (cinq clones formant une seule conscience) sont loin d’être exploitées comme elles auraient pu l’être. À ce titre, la thématique religieuse vaguement esquissée contenait également quelques éléments intéressants, comme l’exprime (un peu tardivement) l’ultime réplique du film rendant hommage aux mercenaires disparus :
« Les Akiriens croient qu’aucune forme ne disparaît tant que toutes les vies qu’elle a touché perdurent, tant que tout le bien qu’elle a fait perdure. Ils font à présent partie d’Akir et ils seront toujours avec nous. »
Enfin, malgré la présence en face d’eux d’une arme présentée comme « la plus puissante de l’univers », le caractère obsolète des mercenaires est peu mis en avant. Pas plus que leur solitude : tout juste Robert Vaughn recycle-t-il son mantra du film de Sturges (« Je n’ai ni foyer, ni famille, ni principes »).
Notons néanmoins une nouveauté intéressante : le héros qui rassemble et mène les mercenaires au combat est ici l’émissaire du lieu menacé. Idée que l’on retrouvera dans une autre relecture que nous abordons plus loin.
Trois amigos !, John Landis, 1986
« On pourrait se promener et vous pourriez m’embrasser sur la véranda.
– Sur les lèvres, ça suffira. »
Lorsque l’impact d’une œuvre entraîne un certain nombre de relectures, le matériau de base finit forcément par passer par la case parodique. Les Sept mercenaires n’échappe pas à la règle. L’intrigue nous transporte ce coup-ci en 1916. Suite à un quiproquo, trois vedettes de westerns à succès sont malencontreusement prises pour de véritables pistoleros par un groupe de paysans venus chercher de l’aide. Persuadés d’être engagé pour un spectacle en plein air, les acteurs vont se rendre compte bien trop tard qu’ils sont en réalité censés défendre le village d’une horde de bandits mexicains.
Porté par un trio de valeurs sûres de la comédie américaine (Steve Martin, Chevy Chase et Martin Short), Trois amigos ! est non seulement très drôle, mais se révèle également plutôt pertinent dans sa relecture. Le film de John Landis reprend ainsi les éléments-clés de l’original de Sturges (le village utilise d’ailleurs les mêmes décors) et les passe à la moulinette comique avec un sens de l’absurde pour le moins réjouissant. À l’instar de leurs modèles, les trois amigos du titre sont en fin de parcours : leur producteur vient de leur claquer la porte au nez et leur carrière est sur la pente descendante. Héros de fiction confondus avec leurs personnages, ces « sauveurs malgré eux » commencent par refuser la mission lorsqu’ils comprennent que ce qu’ils prenaient pour une performance est en fait bien réel, avant de se raviser pour embrasser pleinement leurs rôles et devenir pour de bon les « trois amigos ». Mettant leurs compétences de jeu en pratique, ils transforment alors le faux en vrai. Leur action inspire finalement le village, qui unit ses propres forces (la maîtrise de la couture) aux leurs afin de piéger les bandits mexicains grâce à l’illusion : déguisés en amigos, les paysans deviennent symboliquement des héros de western à leur tour.
Enfin, s’il semble parti pour accorder aux trois protagonistes le droit de rester et vivre heureux dans le village, le récit rappelle ultimement que ces derniers sont « sans foyer et destinés à errer » et rétablit la séparation entre les paysans et leurs sauveurs par un gag : « Je reviendrai un jour », affirme fièrement l’un des amigos à la femme qu’il s’apprête à quitter, avant de se voir demander « Pourquoi ? ». « Parce que je me disais que tous les deux… », commence-t-il, s’interrompant face au sourire gêné de la señorita.
1001 pattes, John Lasseter et Andrew Stanton, 1998
« On laisse une seule de ces fourmis se rebeller et un jour elles se rebellent en masse. Ces « fourmis de rien du tout » sont deux-cents fois plus nombreuses que nous. Laissez-les prendre conscience de cela, et notre paradis devient l’enfer. Peu importe la nourriture, nous devons les forcer à rentrer dans le rang. »
Si l’on a transformé les samouraïs originels en pistoleros aussi bien qu’en extraterrestres, pourquoi ne pas en faire des fourmis ? Moins improbable qu’elle n’y paraît, l’idée se prête au final parfaitement à l’exploration de l’un des thèmes phares du matériau de base : quel meilleur cadre qu’une société d’insectes fonctionnant sur le polyéthisme pour réfléchir sur le rapport de l’individu au groupe ?
Reprenant l’idée de Trois amigos !, 1001 pattes transforme les puissants guerriers du titre original en imposteurs, d’abord pris pour les sauveurs qu’ils ne sont pas avant de se muer en véritables héros grâce aux pouvoirs de l’illusion. Les mercenaires sont ici des insectes acteurs de cirque qu’une fourmi, persuadée d’avoir affaire à des justiciers, engage pour libérer sa colonie du joug de tyranniques sauterelles. Ces dernières font quant à elles écho aux traditionnels bandits mexicains, leur refuge se trouvant être rien moins qu’un énorme sombrero. Enfin, à l’instar des Mercenaires de l’espace, le véritable héros du film n’est pas un « mercenaire », mais bel et bien l’un des « paysans » à protéger.
Le studio d’animation Pixar a régulièrement conté le parcours d’inadaptés devant quitter leur foyer pour trouver leur place dans le monde. Dès sa première scène, 1001 pattes travaille cette question : au pied de l’arbre qui lui sert d’habitat, l’on découvre la colonie en pleine activité. Une file de fourmis achemine fruits et graines vers la réserve de nourriture, lorsqu’une feuille morte tombe au sol et interrompt le mouvement. Séparée de l’avant de la chaine, une fourmi panique alors, ne sachant plus où aller, jusqu’à ce que l’on vienne lui indiquer la possibilité de contourner l’obstacle pour rejoindre la file. Par ce simple gag, le film pose déjà la problématique qui sera au cœur de son récit : écartée du groupe, la fourmi est incapable de penser individuellement. La scène suivante nous présente le héros seul dans le cadre : inventeur brillant mais maladroit, Tilt est un inadapté. Il ne suit pas le groupe mais pense par lui-même, ce qui l’isole inévitablement de ses congénères[2]. Pourtant, s’il se rend par l’une de ses bourdes responsable des problèmes de son peuple, il sera également à l’origine de sa libération : ce sont bel et bien ses inventions qui finiront par sauver la mise et, ultimement, améliorer le travail de récolte.
À l’instar des Sept samouraïs, 1001 pattes souligne l’importance du collectif tout en démontrant la nécessité d’une pensée individuelle. Au début du film, l’antagoniste Le Borgne matte l’insurrection naissante de Tilt en lui intimant de « rentrer dans le rang ». Lors du final, c’est le courage du héros s’opposant seul aux sauterelles qui inspirera l’entier de la colonie dans une révolution collective :
Le Borgne : « Que ceci vous serve de leçon à tous : les idées sont dangereuses et inutiles ! Vous n’êtes que de petits racleurs de terre ineptes, posés sur Terre pour nous servir ! »
Tilt : « Ce que vous dites est faux. Nous ne sommes pas nés pour être vos esclaves, Le Borgne. Les fourmis accomplissent des prouesses, année après année elles récoltent la nourriture pour leur peuple, et pour le vôtre ! Alors, qui est l’espèce inférieure ? Nous ne sommes pas vos esclaves, Le Borgne. C’est vous qui avez besoin de nous ! Nous sommes plus forts que vous ne le laissez croire… Et vous le savez, j’en suis sûr. »
C’est donc l’initiative individuelle qui permettra au groupe d’échapper à la fatalité et de changer le cycle naturel exposé par Le Borgne en début de film : « Le soleil donne la nourriture, les fourmis prennent la nourriture, les sauterelles mangent la nourriture » devient ainsi « les fourmis prennent la nourriture, les fourmis gardent la nourriture et les sauterelles s’en vont ».
Le 13e Guerrier, John McTiernan, 1999
Nous sommes déjà revenus en détails sur le chef-d’œuvre maudit de John McTiernan, mais nous ne pouvions manquer de l’évoquer au passage, puisqu’on y trouve également d’intéressants échos à l’œuvre de Kurosawa. Visuellement, tout d’abord, McTiernan citant très clairement le maître japonais à l’écran, mais aussi dans ce qu’il raconte. Outre son pitch (un petit groupe de guerriers vient en aide à une population terrorisée par une bande bien plus nombreuse), les passages emblématiques et certaines idées thématiques des Sept samouraïs sont ici transposées dans l’univers nordique : l’accueil méfiant des villageois, la partie centrale qui voit les locaux et leurs défenseurs s’apprivoiser peu à peu et bâtir ensemble des fortifications autour du lieu, l’expédition secrète dans l’antre de l’ennemi, jusqu’à l’affrontement final sous des torrents de pluie.
Comme leurs homologues japonais, les treize Vikings se retrouvent face à une menace conséquente et relativement abstraite : le chef des Wendols, qui confère un visage à la masse informe de sauvages, est apparemment un ajout tardif de l’écrivain-producteur Michael Crichton. John McTiernan souhaitait à l’origine conserver un antagoniste multiple et insaisissable, l’ultime combat devant paraître interminable du fait du perpétuel retour des hordes de cavaliers.
Quant à l’héritage laissé par les guerriers, si les villageois ne réapparaissent pas du tout à l’écran une fois les Wendols vaincus (privant ainsi leurs sauveurs, comme les samouraïs, d’une véritable reconnaissance), l’action des vikings trouvera néanmoins un écho chez le poète Ibn Fahdlan qui, transformé par leur rencontre, s’assurera que leurs faits d’armes ne soient pas oubliés. Si le matériau d’origine se prêtait parfaitement à l’évocation de la fin d’une ère (comme c’est le cas dans la version de Robert Zemeckis), les guerriers nordiques semblent ici moins voués à disparaître que les héros de Kurosawa.
Le Roi Arthur, Antoine Fuqua, 2004
Enfin, après être passé par les cowboys, les Vikings, les aliens et les fourmis, terminons sur les chevaliers bretons. A priori, l’insertion du Roi Arthur dans cette liste peut paraître un brin capillotractée et sembler surtout motivée par la volonté de raccrocher les wagons avec Antoine Fuqua. Pourtant, au-delà des apparences, le film contient en son sein la plupart des éléments évoqués jusqu’ici.
Indéniablement, si cette adaptation entend proposer une interprétation historique de la légende arthurienne, sa relecture se révèle passablement oubliable sur ce point précis, le discours sur le mythe et la figure du héros étant à mille lieues de la pertinence d’un 13e Guerrier. Le récit n’est néanmoins pas exempt d’intérêt, en particulier concernant la problématique qui nous concerne : de nombreux parallèles peuvent en effet être dressés avec Les Sept samouraïs.
Dans cette version, on imagine que les Chevaliers de la Table ronde sont en réalité des descendants de guerriers sarmates qui furent vaincus puis épargnés et incorporés à l’armée romaine. Condamnés à servir l’Empire, ils rejoignent la troupe du jeune Artorius Castus, dit Arthur, aux côtés duquel ils défendent l’île de Bretagne contre les Pictes menés par Merlin. Au début du film, on les découvre en fin de course : après quinze ans de lutte, la gigantesque Table ronde qui nous est présentée semble avoir perdu quantité de membres. Les derniers survivants (qui sont au nombre de sept !), arrivent enfin au terme de leur engagement. Après des siècles de domination, Rome s’apprête à quitter définitivement l’île. Mais des hordes de Saxons marchent vers le Mur d’Hadrien. Les chevaliers se voient alors confier une ultime mission : ramener saine et sauve une riche famille romaine avant l’arrivée de l’ennemi. Leur tâche accomplie et leurs obligations terminées, ils acceptent finalement de rester aux côtés d’Arthur afin de défendre le territoire breton contre l’invasion saxonne.
Au travers d’un propos traitant du libre arbitre face aux dogmes religieux, Le Roi Arthur évoque ainsi les grandes problématiques au cœur des Sept samouraïs. L’aspect communautaire est une nouvelle fois central : dans la scène où les héros affrontent seuls une troupe de deux-cents Saxons sur un lac gelé, ils parviennent à défaire leurs ennemis en forçant l’individualisme de chaque soldat (les faisant, ironiquement, se « regrouper » afin de faire céder la glace sur laquelle ils avancent). Et lorsque Pélage, le mentor d’Arthur, présente à son jeune élève ses futurs compagnons, il lui explique leur mission en ces termes : « Il incombe à certains de se sacrifier pour le bien de tous. »
Les sept guerriers sont eux aussi des êtres qui n’appartiennent plus véritablement au monde dans lequel ils évoluent : étrangers païens aux ordres d’un Empire chrétien, les chevaliers, tandis qu’ils pensent avoir achevé leur devoir, discutent du retour au pays et rêvent alors tous à fonder une famille, eux qui n’ont plus aucune attache. Arthur, quant à lui, est tiraillé entre ses origines bretonnes et ses accointances romaines (Guenièvre le présente comme « le fameux Breton qui tue les siens »). Mais la Rome à laquelle croyait le futur roi, celle de Pélage, a disparu ; elle est morte avec son mentor. Arthur finit donc par écouter les paroles de Merlin :
« Les Romains s’en vont, les Saxons sont arrivés. Le monde pour lequel nous nous sommes battus n’existe plus. Il faut en bâtir un nouveau. »
Une fois les Saxons vaincus, le héros reste finalement pour s’unir à Guenièvre et réconcilier ainsi l’ensemble du peuple breton. Comme l’explique le discours final, les guerriers sarmates ont combattu pour un pays qui n’était pas le leur, mais ont ultimement donné leur vie pour une cause plus grande : la liberté. Arthur et ses chevaliers survivront alors à travers la légende.
Histoire simple mais véhicule de thématiques fortes et questionnements profonds, Les Sept samouraïs est un puissant message à l’adresse du Japon de l’après-guerre, mais touche également à l’universel. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait durablement marqué l’Histoire du cinéma et inspiré quantité de raconteurs d’histoires. Son influence va bien évidemment au-delà des quelques films cités dans ce texte. Encore aujourd’hui, elle perdure, puisque Zack Snyder, qui a longtemps réfléchi à l’idée d’adapter l’intrigue à l’univers de Star Wars, a récemment confessé que le monument de Kurosawa faisait partie de ses inspirations pour son futur Justice League. Mais avant cela, il y a bien entendu Les Sept mercenaires d’Antoine Fuqua, écrit par Nic Pizzolatto. Et, il faut l’avouer, cette seconde perspective n’est pas forcément beaucoup plus réjouissante que la précédente : malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour le réalisateur de Training Day et l’extrême respect que l’on peut accorder au créateur de True Detective, les premières images laissent augurer d’un western jouant surtout la carte du cool et du grand spectacle. Un projet assez éloigné du récit désenchanté d’origine, donc. Mais après tout, des nombreuses relectures auxquelles Les Sept samouraïs a eu droit, bien peu sont réellement fidèles, sans être inintéressantes pour autant. Soyons confiants : l’héritage du Kurosawa n’est pas prêt de s’éteindre, et il se trouvera toujours quelques vrais cinéastes pour s’en rendre dignes.
[1] Stephen Prince, The Cinema of Akira Kurosawa. The Warrior’s Camera, p. 214
[2] À ce propos, il est intéressant de noter qu’à l’origine Tilt devait être une fourmi rouge membre du cirque et non de la colonie, et lors d’une scène se peignait en bleu pour se fondre dans la masse.
Connais tu la série les 7 samouraï
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