La 71e édition du Festival international du film de Locarno accueillait une rétrospective dédiée au réalisateur Leo McCarey, figure incontournable de la comédie hollywoodienne. Réunissant aussi bien les courts-métrages muets du cinéaste que ses longs-métrages parlants (en noir-blanc comme en couleur), la sélection était accompagnée par la parution d’un ouvrage collectif. Après Locarno, elle passera, entre autres, dans les salles de la Cinémathèque suisse et des Cinémas du Grütli.


À l’heure où l’on peut découvrir dans les salles locarnaises un extrait de sa prolifique filmographie (une grosse centaine de films au total), le nom de Leo McCarey n’évoque plus grand-chose. Pilier du slapstick et de la screwball comedy, le cinéaste reste pourtant une figure fondamentale de l’Histoire hollywoodienne, et méritait amplement une (re)mise en lumière.

Né en 1898, McCarey ne se destine pas immédiatement au tout jeune septième art. Avant cela, il tente plusieurs carrières différentes. Diplômé en droit, il officie un temps en tant qu’avocat ; néanmoins, moralement peu enclin à défendre des coupables, il perd la plupart de ses procès et abandonne bien vite l’idée. Sa carrière de boxeur sera tout aussi courte, mais son vrai rêve professionnel a toujours été musical. Passionné par la chanson, il composera lui-même quelques morceaux mais ne parviendra jamais à percer. Une frustration qu’il gardera toute sa vie et qui irriguera largement son cinéma.

Ses premiers pas à Hollywood, il les fait en 1919 auprès de Tod Browning. Assistant du futur réalisateur de Freaks et Dracula au sein d’Universal, McCarey réalise pour ce studio son premier film en 1921 : comédie satirique, Society Secrets ne rencontrera pas le moindre succès. C’est véritablement dans le registre de la comédie pure que le jeune cinéaste va s’affirmer. Et il y entrera par un biais tout à fait particulier.

Charley Chase dans Crazy Like a Fox, 1926

Un jour, il assiste à un match de handball, pendant lequel il réjouit l’assemblée de nombreux tours d’esprit. Assis non loin de lui, se trouve Hal Roach, grand producteur du burlesque de l’époque. Conquis par l’humour de ce jeune spectateur, Roach ne tarde pas à lui proposer du travail. McCarey est engagé aux Hal Roach Studios comme gagman, puis devient superviseur : il écrit, réalise et monte ses propres courts-métrages. Pendant un temps, il est le réalisateur attitré de Charley Chase, acteur comique aujourd’hui oublié mais à l’époque véritable vedette du slapstick au même titre qu’un Harold Lloyd. McCarey travaillera notamment sur la série des Jimmy Jump, le personnage emblématique de Chase, sur laquelle il développera un sens du rythme et du timing comique bien particulier. Les gags qu’il filme se fondent ainsi en grande partie sur le slowburn, cette technique d’humour cumulatif, où le rire naît du ralentissement et de la répétition jusqu’à l’absurde. Par exemple, dans Tell’ Em Nothing, Jimmy Jump tente de dissimuler à son épouse la présence d’une autre femme, cachée sous son lit. Lorsque l’intruse se met à avoir le hoquet, le héros fait mine d’être à l’origine du bruit. À chaque hoquètement qu’il feint de produire lui-même, il se voit alors offrir un verre d’eau par son épouse et se retrouve finalement forcé de vider un pichet entier, avant que Madame Jump ne se résigne à employer des méthodes bien plus drastiques.

Durant ses années aux Hal Roach Studios, McCarey mettra également en scène une autre figure du burlesque, double et bien plus incontournable : Laurel et Hardy. Officiellement, le cinéaste ne réalise que quelques courts-métrages pour le célèbre binôme, mais il prétendra par la suite être l’auteur de quantité d’autres de leurs aventures, allant parfois jusqu’à s’attribuer la création même du duo. Quel que soit son véritable rôle, on doit à coup sûr à McCarey quelques-uns des courts-métrages parmi les plus célèbres de Laurel et Hardy, dont le fameux Liberty et son final vertigineux sur des poutrelles de chantier. Dans tous les cas, il est intéressant de noter sa contribution (quelle qu’elle soit) à la constitution d’un duo, figure qui tiendra une place très importante dans la suite de son cinéma.

Liberty, 1929

À la fin des années 1920, marquées par l’arrivée du son synchronisé, McCarey sent le vent tourner et décide de quitter les Hal Roach Studios pour se lancer dans des projets plus personnels. Prenant le pli du cinéma parlant, il poursuit dans la comédie et perfectionne son usage du slowburn. On peut notamment citer Six of a Kind et sa scène d’anthologie qui voit un W.C. Fields particulièrement ivre tenter péniblement de viser une boule de billard durant de très longues minutes, avant de finalement se l’envoyer en pleine tête.

Sur ses comédies du début des années 1930, McCarey éprouve également une méthode de travail reposant en grande partie sur l’improvisation. Sans doute l’un de ses films les plus drôles, Ruggles of Red Gap est le résultat d’une production constamment réorientée par le réalisateur. Comme sur bon nombre de ses tournages, McCarey modifie le script sur le plateau même et dicte aux acteurs la plupart de leurs répliques juste avant la prise. Si l’équipe technique et le casting ne goûtent pas toujours cette méthode, les films de Leo McCarey se caractérisent bien souvent par une spontanéité et une authenticité chez les personnages peu courantes dans le Hollywood de l’époque. Lorsqu’il improvise, il n’est pas rare que le cinéaste stoppe le tournage et se mette à jouer au piano, espérant trouver l’inspiration. S’il n’a pu satisfaire ses velléités musicales, il saura les réinjecter dans son cinéma, jusque dans la construction très mélodique de ses scènes, tout particulièrement dans la rythmique de ses gags.

Excellant dans la comédie, McCarey se met régulièrement au service de stars de l’humour déjà installées. C’est à lui que l’on doit le film le plus connu des Marx Brothers, Duck Soup, satire antimilitariste dans laquelle le cinéaste adapte tant bien que mal sa mise en scène aux gags des fameux frères. S’il constitue pour lui l’occasion de filmer quelques chansons, McCarey ne gardera pas un souvenir très joyeux de Duck Soup. Ses acteurs principaux sont impossibles à gérer et, au même titre que Milky Way avec Harold Lloyd, le réalisateur considère qu’il s’agit plus d’une vitrine pour ses têtes d’affiche que d’une œuvre véritablement personnelle.

Duck Soup, 1933

S’il est un genre dans lequel Leo McCarey démontrera pour de bon son talent, c’est bien celui de la screwball comedy. Il y applique non seulement son expérience du slapstick, mais travaille également un étonnant équilibre entre la comédie pure et le drame parfaitement sérieux. Exemple le plus emblématique de cette approche particulière du genre, Love Affair narre une romance contrariée, en débutant par une première partie qui enchaîne dialogues piquants et situations absurdes, pour virer dans la tragédie en milieu de récit. Si l’humour persiste et conserve une implacable précision, la mise en scène se révèle alors d’une efficacité semblable lorsqu’il s’agit d’illustrer le drame : de simples plans sur des reflets (celui de l’Empire State Building dans une vitre ou celui d’un tableau dans un miroir) résument en une image les sentiments qui unissent les deux héros.[1]

Cette nuance dans la comédie par la présence du drame, McCarey la travaillera encore davantage dans Make Way For Tomorrow. Avec cette histoire d’un vieux couple forcé d’emménager séparément chez ses enfants, le réalisateur casse les codes de la comédie de remariage et prend le genre à revers. S’il propose, comme Love Affair, de vraies scènes de comique de situation, Make Way For Tomorrow est aussi un véritable drame sur la vieillesse et la mort. Son déchirant plan final sur un quai de gare fera dire à Orson Welles que « ce film ferait pleurer une pierre ». Revendiqué comme son œuvre la plus personnelle, Make Way For Tomorrow est sans doute le chef-d’œuvre de Leo McCarey. Pourtant, s’il a depuis été réhabilité, il est un échec financier en 1937, et lorsqu’il gagne son premier Oscar pour The Awful Truth, sorti la même année, McCarey déclare avoir été récompensé pour le mauvais film.

Make Way For Tomorrow, 1937

Bon nombre de ses longs-métrages ne rencontreront pas le succès escompté lors de leur sortie en salles, et malgré quelques belles réussites au box-office, la seconde moitié de la carrière du réalisateur participera probablement à le faire tomber dans l’oubli. Au cours des années 1940, son cinéma devient en effet toujours plus concerné par des problématiques sociales, et McCarey laisse de plus en plus transparaître ses opinions politiques comme ses croyances religieuses. En 1944, Going My Way, qui met en scène Bing Crosby dans le rôle d’un prêtre bienfaiteur, est un véritable carton et remporte sept Oscars. L’année suivante, The Bells of St. Mary’s, toujours avec Crosby, devient le plus grand succès de la RKO. Quand bien même ces deux exemples parviennent à nuancer le moralisme puritain (la mère supérieure de The Bells of St. Mary’s, incarnée par Ingrid Bergman, apprend tout de même à un garçon brimé à rendre les coups), l’on commencera plus tard à reprocher à McCarey le catholicisme très appuyé de ce genre de films.

En parallèle, le cinéaste signe plusieurs films ouvertement anticommunistes. Si Ruggles of Red Gap, en 1935, vantait déjà les mérites de l’American Way of Life à travers une jouissive confrontation avec les modes de vie européens, dix-sept ans plus tard, l’esprit républicain de McCarey s’exprime de façon bien moins subtile et nuancée dans My Son John. Narrant la perversion d’un honnête américain par la propagande communiste, le film connaîtra un échec retentissant.[2] Le maccarthysme revendiqué de McCarey[3] déplaira de plus en plus au public, et son tout dernier film, Satan Never Sleeps, sera très mal reçu.

The Bells of St. Mary’s, 1945

Souvent comparé à un Frank Capra, Leo McCarey ne bénéficie pas aujourd’hui de la même notoriété que le réalisateur de It’s a Wonderful Life. Un grand nombre de ses films est désormais inaccessible et son nom n’évoque plus grand-chose aux oreilles non initiées. S’il n’hésitait pas à s’attribuer la paternité de certains faits collectifs (l’épineuse question Laurel et Hardy), il restait d’une réputation humble. Sa vision même du septième art évoquait simplicité et honnêteté : « J’aime qu’on rie, j’aime qu’on pleure, j’aime que l’histoire raconte quelque chose et je veux que le public à la sortie de la salle de projection se sente plus heureux qu’il ne l’était auparavant. » Du burlesque muet au mélodrame parlant, Leo McCarey aura su mêler le rire aux larmes, durant quarante ans et presque deux-cents films à (re)découvrir de toute urgence.


[1] En 1957, dix-huit ans après Love Affair, Leo McCarey remakera lui-même son film avec An Affair to Remember. Destinée à raconter la même histoire à une nouvelle génération, cette nouvelle mouture est une reprise quasi plan pour plan de l’original, en couleur, et avec la présence de Cary Grant, qui ajoute davantage d’humour.

[2] My Son John connaîtra d’ailleurs une production catastrophique qui forcera Leo McCarey à user de son talent d’improvisation comme jamais : Robert Walker, acteur principal du film, meurt avant la fin du tournage. Après un temps d’incertitude, on lui trouve finalement une doublure pour les scènes restantes, et pour le plan qui doit montrer le héros mourir, McCarey contacte son ami Alfred Hitchcock. Avec la bénédiction du Maître du suspense, McCarey lui emprunte le plan de la mort du personnage de Walker dans Strangers on a Train, le redouble lui-même et l’intègre à son film.

[3] En pleine chasse aux sorcières, Leo McCarey témoignera devant le congrès concernant les soupçons d’activités communistes à Hollywood.

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