La onzième édition du Zurich Film Festival (ZFF) touche à sa fin. Codirigé par Karl Spoerri et Nadja Schildknecht, le ZFF s’est imposé en une dizaine d’années comme l’un des événements cinématographiques majeurs en Suisse, notamment grâce aux nombreuses célébrités de renom que le festival est parvenu à faire défiler sur les rives de la Limmat lors de ses multiples séances de galas. Mais derrière toutes ces paillettes, que propose réellement ce festival au budget confortable (7.1 millions) qui prétend « célébrer le cinéma », comme le martèle son slogan? Eh bien, certainement pas une ode au septième art.

ZURICH, SWITZERLAND - SEPTEMBER 24: A general view at the Opening Party during the Zurich Film Festival on September 24, 2015 in Zurich, Switzerland. The 11th Zurich Film Festival will take place from September 23 until October 4. (Photo by Lennart Preiss/Getty Images)
Photo de la soirée d’ouverture du festival qui se déroule dans un magasin Globus (©Lennart Preiss/Getty Images)

L’hégémonie des sponsors

En arrivant sur le site du festival, il est déjà difficile de ne pas ressentir une légère exaspération lorsque l’on passe devant le tapis vert du ZFF, non rouge en raison d’une supposée velléité écologique, alors que le festival copine avec de grosses compagnies privées (telles que Etihad Airways, Crédit Suisse, Nespresso ou encore Davidoff) pas forcément très soucieuses des questions environnementales. Lors de la conférence de presse, l’équipe du ZFF se félicite évidemment de ces partenaires importants et se gausse au passage d’être le seul festival suisse à détenir un si faible pourcentage de fonds publics (660’000 CHF, soit moins de 10% du budget total).

Si de nombreuses critiques furent adressées au Festival del Film Locarno – le plus grand et plus ancien festival de cinéma suisse – en raison du poids et de la visibilité que prennent les sponsors au fil des années, notamment dans leur labellisation des prix décernés, la place du privé au ZFF s’avère nettement plus écrasante. Lors des projections de films on n’hésite ainsi pas à remercier ouvertement telle banque ou telle marque de montres pour permettre à une section d’exister ou à un invité d’être présent. Une forte visibilité est également accordée aux sponsors sur les réseaux sociaux du festival, où l’on n’hésite pas à afficher du contenu purement commercial. Le tout de manière glamour, évidemment, comme le suggèrent les publications publicitaires ci-dessous.

ZFF dior
Un exemple de Tweet pendant le festival (1)
champagne ZFF
Un exemple de Tweet pendant le festival (2)

… et des stars

Mais les sponsors n’existent pas que sur scène ou au centre du festival, comme nous le montrent les hôtesses d’Etihad Airways se pavanant dans le foyer du ZFF. Si chaque journaliste accrédité reçoit déjà dans le sac du festival une copieuse boîte de chocolats Lindt ainsi qu’un rabais de 20% pour un vol avec la compagnie émirat-arabique susmentionnée, on n’ose même pas imaginer les packages proposés aux invités de marque…

Rassurons-nous, ceux-ci viennent avant tout pour la bonne cause puisque – rappelons-le – ils sont là pour « célébrer le cinéma » avec le public. Raison pour laquelle les galas ou autres séances en présence d’invités notables sont majorées. Pour assister à la projection de Maggie introduite par Arnold Schwarzenegger, il fallait ainsi débourser la modique somme de 59 CHF ou, plus cher encore, de 89 CHF pour prendre part à la discussion avec l’ancien gouverneur californien. Une fête du cinéma pour tous, comme le slogan du festival ne cesse de nous le répéter.

Un exemple parmi d’autres: l’intitulé d’un communiqué de presse du festival.

Au-delà de ces prix exorbitants, il est vrai que ZFF réussit chaque année à ramener de nombreux grands noms de l’industrie du cinéma. C’est d’ailleurs précisément sur cette image que le festival construit sa stratégie de communication, comme l’illustre les communiqués de presse (voir ci-dessus) ou comme le suggère fortement le spot publicitaire diffusé dans les cinémas depuis quelques semaines.

Sur les réseaux sociaux, encore, beaucoup de poids et de place sont (naturellement) attribués aux stars. Toutefois, une certaine construction de leur accessibilité est en œuvre dans les communications du ZFF, le festival publiant de nombreuses photos de vedettes semblant faire preuve d’une interaction. Plusieurs photos de Liam Hemsworth – à qui le festival attribuait un prix de… meilleur nouvelle vedette? – montrent par exemple l’acteur se prêtant au jeu des selfies avec ses fans, visiblement ravies.

Le ZFF aime montrer que ses invités sont accessibles. Ici, Liam Hemsworth se prête aux joies du selfie.

 

Enfin, le festival ne se gêne pas non plus de réserver de l’espace de communication pour mettre en avant le traitement de faveur que reçoivent ses invités prestigieux, à l’image de Kiefer Sutherland dans l’image ci-dessous. Et les films dans tout ça?

Le quotidien d’une star au ZFF, sans oublier de citer un partenaire au passage!

 

Une programmation en deux temps

Parce que oui, malgré tout, le Zurich Film Festival est un festival de cinéma. Au vu de la structure de la programmation nous pouvons néanmoins comprendre que le spectateur s’y perde un peu.

Le ZFF propose trois compétitions : des longs-métrages de fiction, des documentaires et des films produits dans le bassin germanophone d’Europe (Suisse, Allemagne, Autriche). Si ces trois compétitions comprenant un total de 39 films représentent sans doute les programmes les plus exigeants du festival, ils sont également ceux qui sont le moins mis en avant. La raison? Il s’agit pour la majorité de films indépendants, souvent dépourvus de stars et produits dans des pays moins représentés, ce qui les rend par conséquent plus difficiles à vendre.

Une indifférence que ne subissent en revanche ni les « Premières Galas », ni les projections spéciales, alors qu’il s’agit de films possédant souvent un fort potentiel commercial en raison de leur tête d’affiche et qui sont pour la majorité déjà achetés pour le marché suisse. Sur les 32 longs-métrages présentés en galas – une quantité écrasante par rapport au total des trois compétitions –, seuls six d’entre eux ne possèdent pas (encore) de distributeur local.

Le gala pour Freeheld, en présence de son réalisateur Peter Sollet et surtout d’Ellen Page, qui partage l’affiche avec Julianne Moore, absente au festival.

Lors de la conférence de presse, Karl Spoerri ne s’est par ailleurs pas gêné d’annoncer que le programme comprenait « les films d’automne pertinents », exhibant sans détour la vitrine de luxe qu’offre le festival aux distributeurs suisses. Sorte de loto géant, ce bassin d’avants-premières offre la possibilité au ZFF d’avoir une grande sélection de films comprenant une liste encore plus grande de stars potentiellement disponibles pour fouler le tapis vert.

En plus de ces sections, le ZFF compte également de nombreux programmes parallèles à la cohérence pas toujours défendable et au nombre de films constamment variables. Le festival cumule ainsi cette année plusieurs petits focus, tels que ces « Windows » sur Hong-Kong ou sur le festival de San Sebastián, chacun constitué de quatre films seulement. Un nombre ridicule, surtout comparé à la quantité assommante des galas précités.

Qui plus est, le contenu de la « Window : San Sebastián » surprend lorsque l’on sait que la moitié des films retenus ne sont pas véritablement originaires du festival espagnol. El Club de Pablo Lorrain fut ainsi présenté à la prestigieuse Berlinale en février dernier – où le film remporta par ailleurs l’Ours d’Argent, Grand Prix du Jury – tandis que El Apóstata fit sa première au Festival de Toronto. Deux sur quatre, c’est dur.

… et racoleuse

Le programme le plus fâcheux de cette année reste « Nouvelle Vague au féminin », dont son racolage n’égale que l’impertinence de son existence. Face à l’importance historique de ce mouvement artistique et politique initié à la fin des années 1950 par Godard et consorts dont l’impact se ressent encore aujourd’hui, l’affiliation faite ici apparaît comme un affront tapageur et de mauvais goût.

Le problème majeur de cette sélection du ZFF ne se trouve pas tant dans le choix des cinéastes (certaines réalisatrices retenues n’appartiennent pas à la même génération et œuvrent dans le milieu depuis de nombreuses années) ni même dans la qualité des films retenus, mais dans la volonté du festival de voir un mouvement filmique là où il n’y en a pas et où aucune once d’idéologie commune transparaît.

Pire, cette catégorisation simpliste tend à provoquer l’effet inverse en invitant à percevoir une forme de marginalisation dans les productions de ces cinéastes. Finalement, à quand le « Nouveau cinéma suisse au féminin » avec une sélection de films d’Ursula Meier, Bettina Oberli, Séverine Cornamusaz et Andrea Staka?

Le focus sur le cinéma iranien représente le seul programme cohérent et solide de toute cette 11ème édition. L’on ne peut toutefois pas s’empêcher d’y percevoir une impression de réchauffé, de nombreux hommages et programmes spéciaux ayant été déjà faits autour de cette production nationale, tel que ce fut le cas en 2014 au Festival International du Film de Fribourg.

Au final?

Comme l’écrivait très justement Stéphane Gobbo dans Le Temps : au Zurich Film Festival, on rêve avant tout de glamour. Le cinéma passe en second plan – en témoigne la difficulté à trouver le palmarès à l’issue du festival – et devient une marchandise purement mercantile, noyée dans les strasses et les paillettes, voire quelque part dans la Limmat lors d’une soirée privée (voir ce-dessous). Nous ne sommes pas naïfs au point d’ignorer que l’industrie du cinéma est animée par l’argent, mais une forme d’indécence déplacée transparaît tant au ZFF que tous tenions à l’exposer ici.

Un journaliste américain tweetant son ZFF 2015.

Dans son ambition d’égaler Sundance ou Cannes, le ZFF devrait plutôt s’inspirer de la capacité de ces festivals à mettre en avant de nouveaux talents plutôt que de jouer à la surenchère de glamour. Peut-être qu’à ce moment-là le Zurich Film Festival aura la réputation qu’il s’efforce tant à acquérir. Pour l’instant, c’est pas encore ça.

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