Ava, présenté à la Semaine de la Critique cannoise, projeté dans le cadre du Festival du Film Fantastique de Neuchâtel est le premier long-métrage d’une jeune réalisatrice, Léa Mysius. Récit d’un été au cours duquel une adolescente de treize ans (interprétée par Noée Abita), portant le prénom du titre, apprend qu’elle perdra suite à une dégénérescence rétinienne progressivement, et plus rapidement que prévu, la vue. Subissant une mère envahissante et peu apte à établir une frontière entre elle et sa fille (la toujours excellente Laure Calamy) confusément puis résolument attirée par un jeune gitan, Juan (Juan Cano) dont elle vole en tentative d’approche le grand chien noir, elle se lance dans l’aventure de sa vie, se confrontant sur les plages du Sud-Ouest français à ses propres limites. D’un lyrisme noir, d’une sensualité solaire, le film, d’une grande sûreté dans sa réalisation autant que son écriture (les deux sont ici organiquement liés), dresse le portrait d’un monde en état d’obscurcissement rapide, où la joie face aux ténèbres se trouve dans la révolte et la sauvagerie. Rencontre avec la cinéaste, au sujet d’un début à ne pas manquer en salles.


Comment avez-vous commencé à vous intéresser au type de cécité particulière dont vous traitez dans le film ?

En fait c’était un scénario pour un diplôme de fin d’études à la Fémis, l’école où j’étais. J’avais une date de rendu et j’étais très en retard. J’ai dû l’écrire assez vite. Et à ce moment-là, j’avais des migraines ophtalmiques. Rien de grave par rapport à Ava, mais du coup j’étais obligée d’écrire au moins toute la première partie du scénario dans le noir parce que je ne pouvais pas être à la lumière. C’est comme ça que je me suis demandée comment faisaient les gens qui vivaient dans le noir tout le temps et j’avais une amie qui m’avait parlé de cette maladie : la rétinite pigmentaire qui fait qu’en fait le champ de vision rétrécit petit à petit. On perd d’abord la vision en lumière basse et ensuite complètement et ça peut arriver à des gens très jeunes, quoi. J’avais rencontré quelqu’un qui avait cette maladie et qui m’avait dit que ses rêves rétrécissaient aussi. C’est comme ça que c’est venu.

Donc vous aviez l’idée dès le départ d’inclure au moins un rêve typique de personnes qui ont des maladies dégénératives ?

Oh ça ne l’est pas, puisque les personnes ayant des maladies n’ont pas des rêves typiques. Comme chacun… chacun a des rêves différents. Mais je voulais qu’il y ait un cauchemar d’Ava, oui.

C’est aussi une métaphore politique, sur l’obscurcissement de la société française voire, selon le film, d’une civilisation. Cet obscurcissement, vous l’associez à quoi ?

Vraiment à la montée de l’obscurantisme, en France ou ailleurs… puisque ce n’est pas seulement en France. Après je parle de la France, donc je suis dans une commune française. Mais ça parle du monde aussi et de l’inquiétude des jeunes générations face à la montée de l’extrême-droite, des extrémistes en général, de l’obscurantisme et du monde qui s’obscurcit comme ça autour d’eux.

Par rapport à ça vous filmez une communauté gitane. Ce n’est pas un groupe qui est beaucoup représenté, et les gitans andalous encore moins. Comment s’est passée la collaboration avec ces personnes ?

Très bien. Ils ont donné beaucoup d’eux, étaient très patients, très professionnels, très sympathiques.

Y-a-t-il eu des films de vacance qui agissaient pour vous, ou comme des références, ou alors comme des repoussoirs ? Parce que ce n’est pas vraiment un film de vacances…

Non, je ne fonctionne pas trop par références quand j’écris. Parce que je préfère justement ne pas savoir d’où elles viennent. Parce que, forcément, il y en a partout : que ce soit du cinéma, de la littérature, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu… Mais si je commence à les pointer du doigt,  après je trouve que soit je suis intimidée, soit je me mets à les imiter et je ne les ressors pas en fait à ma manière.

La disparition de la mère dans la dernière partie du film est très abrupte et le rapport mère-fille est violent. Est-ce que ça pointe aussi à un conflit de générations entre les personnes qui ont treize ans maintenant et celles qui les ont enfanté ?

Oui, c’est un conflit de générations qui, je pense, traverse toutes les époques. Après ce qui est particulier entre elles est que la mère soit beaucoup plus libre que la fille, puisqu’elle est peut-être un peu plus soixante-huitarde. Ava est très conservatrice, en fait, au début du film. Petit à petit elle va comprendre comment trouver sa liberté, être moins… coincée, on va dire.

Vous avez tourné en 35 millimètres. Quel est l’intérêt de la pellicule pour vous ? Est-ce que c’était compliqué de gérer la sous-exposition progressive du film ?

C’était un vrai travail avec le chef-opérateur et la cheffe déco, de savoir comment on allait assombrir l’image petit à petit et enlever des couleurs. Le choix du 35 c’était vraiment pour avoir une image avec de la matière, une image charnelle puisque c’est un film qui est sur le corps, sur le désir et que je voulais que l’image soit vivante aussi. Je trouve que le 35 a cette particularité-là, d’être charnel, et m’attirait, avec des vraies couleurs, des vrais noirs. Puis aussi la pellicule réagit à la lumière. Vu qu’Ava aussi réagit à la lumière, je trouvais que c’était bien.

Le film est assez surprenant dans ses ruptures de ton. Il y a eu des modifications importantes au tournage et au montage ou c’était déjà très écrit ?

Non, ça ressemble beaucoup au scénario. On a enlevé quelques séquences, après le rythme on le trouve au montage c’est sûr. Le plus dur, effectivement, c’était de passer ces ruptures de ton. Mais elles étaient là au scénario. C’est juste qu’après, une fois qu’on a la matière, il faut savoir trouver l’équilibre.

Vous seriez intéressée à aller vers du cinéma d’horreur ?

Pourquoi pas…

Vous avez collaboré au scénario du dernier film d’Arnaud Desplechin. Qu’est-ce que vous retirez de cette expérience d’écriture commune ?

J’ai appris beaucoup de choses, notamment sur l’écriture du scénario. Après on n’écrit pas du tout de la même manière, du moins pas forcément. L’idée c’est pas de l’imiter. Mais forcément ça nous influence quand on travaille avec quelqu’un, surtout un grand réalisateur comme ça. Et de connaître sa vision du monde, de belles visions. On a eu accès à autre chose. Voilà, ça change beaucoup de choses, c’est vrai.

Propos recueillis le 6 juillet 2017 à Neuchâtel. Remerciements à Mylène d’Aloia et Jean-Yves Gloor.

Photos © NIFFF

 

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